Paris. Librairie Plon. 1976. 624 p.
Il n'existe chez les Foula d'autre groupe de filiation qu'agnatique. La forme du patrilignage est relativement complexe car on distingue plusieurs modes d'organisation qui s'interpénètrent:
A l'intérieur de la paroisse (misiide) et des teekunji (groupes) qui la constituent groupes territoriaux qui peuvent être considérés comme les unité politiques minimales les lignages s'ordonnent selon des rapports de domination/subordination résultant de leur rôle respectif dans la conquête militaire du terroir qu'ils occupent.
Enfin les différenciations internes du lignage dominant de la paroisse reflètent un type d'organisation politique associative (partis) qui, à une certaine époque, s'est imposé d'abord au niveau supérieur (confédération) puis intermédiaire (région) du commandement. Ces deux modes d'organisation intègrent donc les lignages et leurs fonctions administratives dans la structure politique globale.
C'est de l'organisation interne du lignage qu'il sera surtout question dans ce chapitre, sous son aspect fonctionnel d'abord, formel ensuite bien que ces trois types d'organisation soient indissociables. Les caractères de la hiérarchie politique des lignages locaux de la misiide seront plus particulièrement soulignés dans les derniers paragraphes, tandis que la division en partis du lignage dominant apparaîtra nécessairement liée à des formes de segmentation proprement lignagères 1.
Le lignage non seulement administre les biens collectifs du groupe terre et défend son intégrité lorsqu'il la croit menacée, en matière d'adoption particulièrement, mais il intervient aussi dans les affaires de caractère plus familial :
Cette gestion est collective et non autocratique, car elle est entre les mains du conseil des hommes adultes dirigé par l'aîné du groupe. A quel niveau se situe-t-elle ? Lorsqu'il s'agit de biens terre, femmes leur administration concerne le dernier (suudu) ou l'avant-dernier segment (dambugal) 2. Par contre, les décisions qui touchent aux valeurs spirituelles, à la continuité, à la personnalité, à l'idéal de « pureté » du lignage, intéressent un groupe plus vaste et peuvent nécessiter l'intervention des membres du lignage maximal (gorol) du lieu.
La fonction économique la plus importante du lignage est liée à l'appropriation collective de terres de culture et d'habitation. Les bases de l'organisation foncière Foula sont complexes, car elles sont constituées d'un amalgame syncrétique de droits divers qui s'imbriquent:
Telle est la séquence historique de ces droits qui s'inscrivent dans la pyramide hiérarchique :
Ce sont en pratique les lignages exploitants qui sont les propriétaires du sol. La reconnaissance du pouvoir éminent des chefs politiques s'exprime par le versement de taxes, celle du pouvoir religieux des autochtones par des rites agraires, concessions aux croyances des intercesseurs auprès des génies du sol 4 et le versement annuel d'une petite part des récoltes (farilla). Mais cette condition ne fut observée que dans les régions où les autochtones se maintinrent numériquement en force. Ailleurs, comme dans la misiide Tarambali-Dionfo où les Pulli sont en minorité et les hameaux diallonké enclavés dans les possessions Foula, ce droit fut, semble-t-il, toujours verbal, et les autochtones ne réclament aucune compensation en nature pour avoir été évincés de leurs terres.
Une des preuves de l'importance attachée par le lignage à ses droits fonciers est l'opposition manifestée dans les villages au droit acquis par vivification sur une terre prêtée. Ce droit qui serait d'origine islamique, est considéré par les Foula comme une véritable usurpation. Aussi évitent-ils de prêter les terres susceptibles de se transformer en concessions-jardins à des étrangers qui pourraient en devenir propriétaires après dix années de vivification 5.
Les lignages associés en teekun sous la conduite d'une famille dominante, ont conquis des terres qu'ils ont ensuite partagées par lignage local (dambugal) sans l'intervention du pouvoir central, lequel n'était guère organisé à l'époque. Un ou deux autres partages entre segments agnatiques de même niveau (suudu) eurent lieu aux générations suivantes, le dernier correspondant, pour chaque lignage, à son dernier niveau de segmentation. Il existerait encore quelques terres communes au dambugal, non réparties entre ses segments; l'autorisation d'y cultiver ne donnerait droit à aucune appropriation, ni cession de droit d'usage aux héritiers naturels de l'usager.
L'homme le plus âgé de chaque segment (mawɗo) est considéré comme le maître du sol (jom leydi). Les maîtres du sol sont donc aujourd'hui relativement nombreux et lorsque le mawɗo du segment réside en dehors du hameau occupé par son groupe, il délègue ses pouvoirs à l'aîné du lieu. Les membres du dernier segment de lignage sont co-usagers de terres collectives, en principe inaliénables et dont la cession dépend de leur accord unanime.
Les Foula distinguent de nombreux types de terres 6 qui appartiennent à quatre catégories de tenure foncière:
Cultivée ou non, toute la terre est collectivement appropriée par les lignages à l'exception des grands boowe (sol latéritique dégradé), s'étendant entre les villages et appartenant aux villageois qui peuvent y ramasser du bois, collecter des fruits, paître le bétail de la grande brousse et des forêts presque totalement disparues par déboisement intensif, où l'autorisation de cueillette était autrefois donnée à une époque de l'année par les anciens et le chef de village.
La brousse, buruure, est devenue rare ; certains lignages en posséderaient encore et l'autorisation du mawɗo est nécessaire, même pour y paître le bétail. Mais c'est surtout sur les concessions-jardins, occupées ou non, les champs et jachères que le lignage fait porter son contrôle.
La concession-jardin enclose (suntuure, galle) est le seul terrain aménagé qui soit hérité de père en fils, même chez les serviteurs . Cette raison, jointe à sa valeur de potager fumé et cultivé en permanence et souvent aussi à sa situation, justifie l'intérêt que lui portent les Foula. Cependant les concessions ne sont pas toutes individuellement appropriées, certaines sont indivises à un groupe plus ou moins étendu de parents agnatiques Nous avons souligné qu'à l'époque du premier partage des terres, chaque lignage du teekun avait reçu une parcelle de terre dans l'agglomération centrale ou misiide, gérée par son mawɗo et confiée généralement au chef du village. L'habitude de conserver, dans une succession importante de père à fils, au moins un enclos indivis, amena leur multiplication à des niveaux divers et la maintenance de la propriété collective, tandis que par l'appropriation individuelle de l'enclos, s'introduisait le droit à la propriété foncière personnelle. Le galle-suntuure comprend en effet des constructions de plus en plus onéreuses, des arbres fruitiers, toutes valeurs dues au travail du chef de famille et de ses gens.
Des concessions-jardins indivises peuvent donc appartenir au dambugal, à la suudu (ainsi celles que Tierno Ibrahima, petit-fils du fondateur du site, donna à chacun de ses fils dans la misiide, sont toujours la propriété collective de chacun des segments, cuuɗi qui en descendent), ou à un groupe moins étendu de parents agnatiques, voire à une famille jointe de frères. Celles-ci sont en général occupées par les aînés des fragments ou, dans les lignages dominants, par ceux de leurs membres qui détiennent le commandement. Il est impensable que ces concessions indivises, occupées ou non et gérées par l'ainé du groupe, puissent être vendues, car il s'y attache une valeur de souvenir : on les prête tout au plus quelques années, tandis qu'un membre du groupe en cultive une partie, pour la forme, par crainte que des étrangers n'y acquièrent par fructification des droits de préhension.
Il a été question dans un chapitre précédent du partage et de la succession des concessions individuelles, appropriées mais inaliénables. En l'absence d'héritiers directs, les parents du lignage minimal font valoir leurs droits sur ces concessions, plus âprement que sur tout autre bien personnel, bétail ou argent, dont une partie peut être détournée de la ligne normale de succession. C'est pourquoi pour éviter des contestations après sa mort, un homme sans descendant installe ses successeurs sur certaines de ses concessions, tandis qu'il fait, devant témoins, quelques dons à des parents de son segment
Lorsque ce partage n'a pas été fait du vivant, les concessions sont réparties entre tous les frères classificatoires du lignage minimal (suudu) habitant le même hameau que le défunt, et seulement en leur absence entre les hommes de la génération des fils. Ceux qui sont partis s'installer à l'étranger, n'ont aucune part dans le partage. S'il n'y a plus d'héritier mâle dans la suudu, les concessions sont dévolues aux autres segments germains, descendant du même aïeul et de la même aïeule que le segment du défunt, « parce qu'ils sortent du même galle ». La raison en est évidemment le partage des concessions-jardins familiales entre les épouses qui les cultivent avec leurs enfants. Chaque segment reçoit une part égale dont il confie des parcelles aux plus vieux représentants de chacune de ses branches et qui demeurent indivises.
En l'absence de segments germains, les niveaux supérieurs de segmentation, dambugal, gorol, prennent place dans la succession. Ces cas de retour de concessions individuelles au patrimoine collectif du segment de lignage ne sont pas exceptionnels, car nombreux sont les ayants droit qui ont quitté la communauté pour tenter de faire fortune hors du pays. Le lignage en effet ne peut céder un suntuure, bien foncier, à un héritier indirect qui n'en ferait pas usage, alors que le principe est admis pour un bien meuble. Il ne peut non plus laisser passer en d'autres mains ce bien foncier, individuel mais inaliénable en principe, édifié sur la terre ancestrale.
A la différence des concessions, les champs ne s'héritent pas, bien que leur droit d'usage se maintienne ordinairement dans la famille. Les terres de culture ne sont pas distribuées au hasard. Les notables du village décident de la mise en culture d'un secteur, sur lequel travailleront tous les villageois en pratiquant une rotation annuelle (fonio, arachide). Un autre secteur de terres en jachère sert de pâture aux troupeaux du village.
Tout cultivateur Foula peut faire un champ sur une terre de son lignage et il peut aussi en emprunter à un autre lignage, tandis que le serviteur reçoit de son maître une parcelle cultivable. Dans les deux derniers cas, l'usager doit verser la farilla (1/10 des récoltes), soit au patriarche maître des terres, soit à son maître. Entre Foula de même village ou de villages voisins, les terres se prêtent sans versement.
Avant d'entreprendre une culture, il faut l'autorisation du maître des terres du segment propriétaire, qui transmettrait la demande au patriarche du lignage (dambugal); l'usager fait ensuite, en sa présence, une offrande religieuse, composée de galettes de riz et de miel (cobbal) que l'on consomme sur place en demandant à Dieu de bonnes récoltes sans accident. Chaque année, le cultivateur renouvelle personnellement son offrande et ne porte pas le premier coup de houe sans avoir prononcé Bismillahi.
Segmentation d'un lignage dominant et d'un lignage subordonné de
la misiide
Généralement chaque cultivateur reprend, après jachère, son ancien champ et le père de famille installe ses fils dans une des parcelles qu'il cultive. C'est ainsi qu'un Foula appelle « mon champ » la parcelle sur laquelle il retourne après chaque jachère et qui fut cultivée par son père et son grand-père Ce n'est en fait qu'un usage, car la terre appartient toujours collectivement au lignage et un homme ne peut réserver une jachère pour ses descendants. Le père travaille aussi avec ses fils sur d'anciennes jachères de la famille qu'il garde indivises : c'est lui qui dirige le travail sur ces champs familiaux, en interdit la vente, etc. Le fils ne devient nominalement usager d'un champ qu'après l'avoir cultivé plusieurs années. Le contrôle des terres de culture du lignage s'établit donc à plusieurs niveaux : père de famille, segment et lignage, représentés par leurs maîtres des terres.
Le lignage intervient dans toute opération foncière. La vente nécessite l'assentiment de tous les hommes du fragment qui fixent généralement un prix de vente relativement élevé. S'il s'agit d'une terre non cultivée, la somme résultant de la vente est partagée entre tous et les notables reçoivent quelques cadeaux. Au tribunal, des ventes de terrain sont souvent contestées, la somme versée étant considérée comme un cadeau d'usage. Celui qui désire vendre une de ses concessions, créée par lui ou héritée, a besoin de l'autorisation de tous les membres du segment : le bénéfice de la vente lui reviendra personnellement, moyennant quelques cadeaux au maître des terres, aux anciens et parents agnatiques proches. En ville et plus encore à Timbo, capitale de la confédération, qu'à Labé, on vend des terres et des concessions mais dans les villages les ventes sont peu fréquentes et les prix assez variables. Plus souvent voit-on de pauvres hères, sans un sou, sans hériter direct et sans aucune aide manuelle, riches de nombreuses concessions qu'ils n'osent pas vendre, car les lointains héritiers du lignage ont un oeil sur elles.
Sauf en ville, on ne loue pas de terrain terre de culture ou concession mais on le prête. Alors que le prêt d'un objet mécanique importé ou d'un animal pour la culture attelée se pratique moyennant une contrepartie monétaire, le prêt d'objets traditionnels vache laitière, fusil, terre ne nécessite qu'une petite valeur en nature considérée comme un cadeau de remerciement. L'étranger qui emprunte un champ, est tenu de verser la dîme sur certaines récoltes, au maître des terres : celle-ci doit être distribuée aux indigents comme la farilla de carême que chaque chef de famille apporte au marabout. Ce prêt d'usage se fait devant témoins et n'est valable que jusqu'à la jachère. Par contre une concession prêtée n'est pas reprise, c'est pourquoi les Foula craignant l'appropriation par vivification, prêtent rarement des concessions à des étrangers. C'est dans ces conditions que les serviteurs cultivent, tandis qu'ils sont propriétaires-usagers de leurs concessions comme les Foula. En principe ils ne peuvent quitter le runde et s'installer ailleurs.
Entre eux les Foula se font des dons définitifs de concessions, suivis de contre-dons de terres cultivables : ces services réciproques sont fréquents, dans la misiide Tarambali, entre les anciens Pulli et les lignages dominants. Le contrat est scellé un vendredi à la sortie de la mosquée. Le récipiendaire apporte des galettes de riz (cobbal) que consomment tous les témoins et les héritiers du donateur qui sont présents. Cet unique cadeau n'est pas suivi de la farilla annuelle, exigible en cas de prêt.
La terre peut être aussi mise en gage : il est rare que le lignage abandonne un terrain gagé, il rassemble la somme demandée pour le reprendre, en en vendant une partie si nécessaire.
Les Foula connaissaient autrefois un système d'échange, basé sur l'équivalence de biens, comptés en multiples d'une unité, appelée waalaare. Ce système ingénieux, encore partiellement en usage en 1933, permettait d'échanger bandes de coton, grains, bovins, ovins, caprins, nattes et poulets et divers objets usuels, mais la terre n'y était pas représentée 7.
De ces diverses opérations foncières, dont les seules traditionnellement admises seraient le don et le prêt la vente est récente, il ressort que le lignage attache une importance considérable au maintien de la terre acquise par ses ancêtres, valeur qui pour la plupart remplace le bétail. Les réclamations de terrain par les segments ne sont pas rares et les Foula conservent jalousement les concessions de leurs ancêtres dans la misiide, même s'ils sont incapables de les cultiver. Le maître des terres n'est que le représentant hiérarchique des intérêts du groupe contrôlés également par tous les hommes adultes et son rôle religieux apparaît accessoire. On ne s'étonne pas que d'anciens bergers aient adopté une forme aussi communautaire de tenure foncière, proche du droit soudanais archaïque, lorsqu'on sait que la société Foula est fondée sur l'occupation commune du sol par des groupes de parents agnatiques.
Si la terre est exclue du système d'échange des valeurs économiques, c'est qu'elle représente une valeur différente, de caractère social. Elle joue en effet un rôle important dans les rapports entre les gens et les groupes sociaux. C'est assez souvent entre beaux-frères, ou entre un oncle maternel et son neveu marié à sa fille, que se pratiquent des prêts ou des dons de terre en échange de services agricoles (prêts de charrue ou de boeufs de labour, aide manuelle). Des prêts de terre précèdent ou accompagnent certaines alliances matrimoniales entre familles A l'intérieur du segment ou même du lignage (dambugal), les concessions vacantes et les veuves dont la succession est ouverte, circulent en sens inverse comme nous le verrons dans les lignes qui suivent. Des échanges de terres de culture contre des concessions ont lieu entre lignages dominants et subordonnés du même teekun ou plus rarement de la même misiide.
Les lignages dominants (waawɓe), s'attachèrent des lignages faibles (waawaaɓe), par le partage des terres conquises ensemble, symbole durable de leur alliance militaire et politique. Habiter la misiide, cogérer des terres collectives, est un trait fondamental qui caractérisé l'homme libre : c'est pourquoi il n'y a pas d'adoption-affranchissement de serviteur sans don de terre.
Les opérations foncières apparaissent donc, à l'échelle du groupe local et de la société, comme une des expressions les plus importantes des alliances entre personnes, familles, lignages, catégories sociales Conquise, puis administrée avec une sagesse toute africaine par les groupes familiaux, circulant à travers la société, la terre ne constituait pas un instrument de pouvoir entre les mains des chefs politiques comme le furent les fiefs dans certaines sociétés islamisées. C'est une des raisons qui explique, nous semble-t-il, la solidité et la persistance des paroisses (misiide), en face de la fragilité du système politique, ce dont ont pris conscience, après une série d'échecs, les administrateurs de l'époque coloniale 8.
L'autorité qu'exerce le lignage en matière matrimoniale s'exprime à la fois, mais par des procédés différents, sur les femmes acquises de l'extérieur et sur les siennes propres.
Une demande en mariage nécessite le consentement du patriarche du segment et de celui du lignage de la jeune fille et c'est entre les hommes les plus âgés rassemblés pour recevoir la demande en mariage qu'est partagé le premier cadeau de noix de cola. Mais il s'agit là surtout d'une démarche respectueuse. La contribution des parents agnatiques du jeune homme a également un caractère symbolique, dans les cas ordinaires.
Le lignage n'intervient pas dans la fixation du montant de la dot, qui dépend de l'accord des deux familles. Pas plus non plus n'est-il invité au partage de l'animal sacrifié, alors qu'à l'occasion de la circoncision et des funérailles, rites de caractère tant religieux que social, la viande des victimes est répartie entre tous les membres du lignage et ceux des lignages associés du teekun : rituel qui souligne la solidarité socio-politique du groupe territorial.
Le mode de partage du bétail ante et post mortem étant essentiellement virilinéaire, permet au lignage de conserver le sien et d'en acquérir de l'extérieur dans les transactions matrimoniales. En effet, la dot et le douaire d'une femme servant en priorité à marier ses fils, ce bétail du mariage est en définitive réutilisé par les hommes du lignage 9. D'autre part, par son endogamie très accusée, le patrilignage intervient dans la disposition de ses femmes et de leurs biens.
Cette même attitude de rétention s'étend à tout le lignage lorsqu'il s'agit de succession de veuves. Les Foula ont interprété et étendu l'institution léviratique dans la mesure où elle favorisait les intérêts des hommes du patrilignage.
Les mariages de succession sont très fréquents et seules les veuves âgées et sans fortune ne sont pas réclamées par les parents du lignage. Le lignage dispose des veuves théoriquement consentantes, pour permettre à des parents handicapés de se marier. Dans certains cas, il s'agit d'un échange de services entre segments femme contre concession. Ainsi K., resté célibataire parce que paralysé de naissance, a pu hériter de deux veuves assez jeunes d'un cousin issu-issu-de-germain : c'est un arrangement de famille car à la mort de K. les fils de ce cousin hériteront avec son neveu proche de ses nombreuses concessions.
Il arrive que les membres du lignage se cotisent pour aider un parent pauvre à rassembler la somme nécessaire pour se marier, à moins qu'on ne lui offre une femme du lignage. Les anciens peuvent aussi prononcer le divorce d'un parent parti depuis plusieurs années et qui n'entretient pas sa femme.
Les lignages Foula pratiquent à très faible dose un type d'adoption-filiation permettant d'intégrer complètement des serviteurs ou des étrangers de statut social élevé (ordinairement marabout). En dehors de ses effets juridiques et formels 10 il semble utile de souligner l'importance attachée par les parents agnatiques à un acte qui engage tout le lignage maximal (gorol). L'opposition souvent violente d'une partie des hommes du lignage à l'intégration d'un serviteur, révèle la valeur attachée aux droits agnatiques.
Aujourd'hui un serviteur ne parvient à se faire adopter dans le lignage de son maître que grâce à son entêtement, sa puissance économique, sa ruse ou ses menaces. Il lui faut gagner l'appui des anciens du lignage et vaincre les résistances des opposants. Ainsi l'affranchissement d'un sergent donna lieu à des débats passionnés qui durèrent des années 11 et se soldèrent par deux incendies de cases, une poursuite en justice pour vol avec emprisonnement de huit mois. En l'absence de son maître, parti travailler au Sénégal, le sergent enrichi parvint à obtenir l'assentiment de la plupart des anciens du lignage qui décidèrent de procéder à son affranchissement « parce qu'il était riche et brave » (nécessité passe vertu). On l'installa donc sur une concession qui avait appartenu au frère de son maître et où vivait B., un homme du lignage, paralysé et sans enfant, qui profita de l'aide manuelle du sergent. Mais B. avait des héritiers qui travaillaient au Sénégal. Lorsque l'un d'entre eux, I., en revint, il construisit ses cases sur la concession que les anciens avaient cédée au sergent, pour tenter de l'évincer. Il s'ensuivit une dispute qui les amena au tribunal ; I. accusa le serviteur d'avoir volé un boeuf et lui fit purger huit mois de prison ; celui-ci pour se venger aurait incendié la case de I. et celle d'un notable du village qu'il croyait de connivence.
Ces tensions violentes font ressortir l'opposition de catégories sociales en évolution, dans une société fortement stratifiée qui se désagrège : celle du noble sans fortune et du serviteur enrichi 12.
On rencontre chez I. toute la morgue et la jalousie du seigneur dont les valeurs s'effondrent et qui a tenté d'en acquérir d'autres sans y réussir (il est revenu sans galon de l'armée); « Tant que je serai vivant, affirme-t-il, je ne l'appellerai pas Foula. Il ne touchera pas à ma terre, il restera là où mes grand-pères l'ont trouvé ». Mais le sergent continua la lutte, soutenu par les anciens qui ne pouvaient que louer ses qualités et les services rendus à la famille. Très dévoué à son maître, il raisonne en Foula, ses valeurs sont Foula; c'est par la méthode traditionnelle qu'il désire son incorporation au monde de ses maîtres. Il ne s'est pas rendu au conseil du marabout qui l'encourageait à acheter son titre de Foula (sans être adopté) et à continuer à vivre dans son runde.
Le patriarche du lignage prit sur lui de lui imposer un nom en présence du chef du village, des notables et de tous les membres du lignage L'affranchi paya le mouton qu'égorgea son affranchisseur en lui donnant le nom d'un de ses oncles paternels décédé. La viande du mouton fut partagée entre la famille de l'affranchisseur et celle de l'affranchi. Un des hommes du lignage lui donna sa soeur en mariage, que l'affranchi épousa sans répudier ses épouses serves.
En dehors du contrôle des terres, du remariage des veuves, de l'adoption d'étrangers, le rôle du lignage est réduit en matière sociale, juridique et religieuse
Aux principales cérémonies imposition du nom particulièrement les parents des différents segments du lignage apportent une petite contribution de nourriture. Le devoir d'assistance matérielle incombe au parent le plus proche, père, frère, cousin, non à tout le lignage. Il se trouve toujours un parent pour enterrer un pauvre isolé, car c'est un devoir religieux qui acquiert des mérites pour le ciel. Celui des cousins qui épouse la veuve du défunt, offre la vache du sadaka funéraire, mais les funérailles seront sobres, l'assistance peu nombreuse, tandis que le lignage maximal tout entier honorera de sa présence l'enterrement d'un homme influent pour lequel s'ouvrira la mosquée, battra le tambour (tabalde), se multiplieront les sacrifices funéraires C'est également un parent agnatique proche qui donnera un nom au bébé, en l'absence du père
Le lignage est théoriquement responsable des dettes de ses membres absents ou insolvables, mais lorsqu'il a vendu, pour les régler, ce qu'ils possèdent, il considère que ses obligations s'arrêtent là. La pauvreté du pays, cause de nombreux départs de plus ou moins longue durée, engendre l'indépendance économique. Beaucoup de jeunes migrants ne se préoccupent plus du sort de leurs épouses ni de leurs vieux parents.
Le lignage ne détient pas de pouvoir juridique. S'il n'est pas parvenu à régler ses affaires intérieures en réunissant les hommes de la plus vieille génération (mawɓe) autour de son patriarche, il peut avoir recours au tribunal de la misiide.
L'inexistence d'un culte familial, l'universalisme des valeurs islamiques, expliquent l'absence de fonctions religieuses au niveau du lignage. Ce n'est pas au mawɗo mais au plus instruit en matière coranique que celles-ci sont confiées. Le seul rite traditionnel qui se soit conservé en s'islamisant, la distribution de sel aux animaux (tuppal) 13, qui a pour but de promouvoir la fécondité animale et humaine, s'organise au niveau de la misiide et se déroule dans le cadre familial.
Cérémonie du tuppal
La solidarité du lignage dont nous avons vu les effets se manifester à son dernier niveau, pour les affaires courantes liées à la corésidence et à l'appropriation commune de la terre, et au niveau local supérieur pour les affaires plus graves qui touchent à sa structure, s'exprime aussi par des attitudes et des comportements collectifs. Le bolonda (mot malinké qui désigne le groupe agnatique sans spécification de niveau), reçoit un seul panier de viande (debeere wootere) aux cérémonies où l'on sacrifie du bétail, mais celle-ci est partagée avec les autres lignages de son teekun, (un des groupes territoriaux et politiques de la paroisse). C'est également par teekun que se rangent les lignages à la mosquée, que s'exécutaient autrefois les travaux collectifs. Dans certaines misiide, chaque lignage possède son cimetière 14.
Il semble que la compétition pour l'acquisition de terrains de culture n'ait pas joué un rôle important, une fois le terroir conquis organisé. Chaque groupe agnatique de la misiide disposait en effet d'une quantité de terre suffisante et pouvait aussi en emprunter sans difficulté.
La vitalité d'un lignage ou d'un groupe de lignages associés (teekun) s'exprimait en partie par son extension territoriale; les hameaux créés à proximité de la misiide ou parfois dans un canton très distant, par des membres agnatiques le plus souvent cadets, continuaient à en faire partie 15. C'était la paroisse qui profitait de ces gains territoriaux. Elle se renforçait politiquement par l'addition de nouvelles fondations qui reconnaissaient leurs liens d'origine, bien qu'elles fussent par la suite rattachées à d'autres cantons administratifs. Lorsque le commandement français tenta de réorganiser le Fouta-Djallon, il se trouva donc en face d' une situation territoriale complexe et morcelée 16 . A travers le lignage, c'est le sentiment d'appartenance à une misiide qui domine et aujourd'hui encore les migrants Foula installés au Sénégal oriental, se disent originaires de telle misiide et non de tel village.
La dépendance des unités résidentielles et de leur terroir était d'ordre politique hameaux par rapport à la misiide d'origine, misiide secondaires par rapport à la misiide principale mais ne touchait pas l'autonomie de gestion des groupes agnatiques sur les terres qu'ils avaient mises en valeur.
Par contre la compétition pour le pouvoir apparaît comme une cause essentielle de division à l'intérieur des lignages dominants. Ainsi deux dambuɗe d'un lignage dominant se sont différenciées à l'époque de l'installation : l'un des segments détient le commandement de la misiide, l'autre en a été exclu. L'inégalité entre les branches parallèles, considérées encore comme équivalentes, est frappante : celle qui détient le commandement et qui est demeurée dans la misiide, a prospéré et s'est normalement accrue, l'autre s'est atrophiée ; ses hommes actifs qui ont émigré n'ont laissé au village que des vieillards impotents, malades, pauvres, qui n'attendent et ne demandent aucun secours de leurs parents du segment aîné, tandis que les concessions abandonnées se multiplient.
Sans aller jusqu'à la scission, chaque segment exprime son exclusivisme en cherchant à conserver pour soi seul les avantages acquis. L'endogamie en est la manifestation la plus éclatante. Le plus riche en bétail des segments d'un lignage (Dembeleyaaɓe) est celui dont l'endogamie segmentaire est la plus accusée. Le segment d'un lignage dominant qui a accaparé par la force le commandement de la misiide, est plus endogame que les segments évincés.
La solidarité du lignage fait place à la compétition de ses segments lorsque ceux- ci sont en concurrence pour l'acquisition de biens (bétail) ou de titres, transmissibles : le renforcement et le rétrécissement de l'endogamie apparaissent à un certain stade de ce processus de différenciation 17.
Le lignage Foula est généalogique avec des axes historiques fixes. Il est segmenté, l'importance des segmentations dépendant de facteurs fonciers et politiques.
L'emploi de trois termes pour désigner les groupes agnatiques d'après leur profondeur
prouve que les Foula conçoivent leur patrilignage comme segmenté.
Le gorol maximal peut se diviser plusieurs fois en d'autres niveaux de même nom, le dernier donnant naissance à des dambuɗe, qui se divisent également une ou plusieurs fois en cuuɗi (cases). Le dambugal est la cheville de ce mécanisme de division lignagère, car il correspond au segment local, propriétaire ou usager permanent de terres et descendant de l'ancêtre installé le premier sur les lieux. Quelle que soit la date d'arrivée des ancêtres des différents groupes agnatiques composant une misiide, leur descendance porte toujours le nom de dambugal ; cette concordance correspond à l'équivalence de leur rôle foncier 18. Les dambuɗe de différents lignages maximaux peuvent donc avoir des profondeurs variables dans une même misiide et le fait que des dambuɗe, issues d'ancêtres qui ont participé ensemble à l'aménagement du terroir, aient la même profondeur, est un argument en faveur du caractère historique du schéma généalogique :
Cette équivalence fonctionnelle justifie l'usage du même terme, dambugal, pour désigner un autre segment de son propre gorol, installé dans une autre misiide, quel que soit son niveau de segmentation, lequel est souvent inconnu
Ces termes sont évidemment relatifs : lorsqu'un gorol local se compare à un autre, issu d'un ancêtre commun, ils s'appellent dambuɗe. Ainsi le gorol Usuneyanke Alfa Musa de Tarambali, qui s'est divisé à la génération suivante en deux dambuɗe
s'appellera dambugal lorsqu'il s'opposera aux Usuneyanke Fulaaɓe de Sannou, descendants d'un frère d'Alfa Moussa, ou aux Usuneyanke Mama de Dionfo Puroya, issus du même manta soro (niveau imprécis) qu'Alfa Moussa ; leur gorol commun est alors celui des Usuneyanke.
Les divisions du dambugal en cuuɗi correspondent au partage des terres collectives et leur nombre varie selon. L'importance de ces terres par rapport au groupe d'exploitants. On constate qu'un groupe agnatique arrivé depuis plusieurs générations et qui n'a obtenu qu'un droit d'usage permanent, ne s'est pas divisé. La plupart des lignages subordonnés les plus anciennement arrivés et rattachés à un teekun, se sont divisés en autant de cuuɗi que l'ancêtre avait de fils ; ainsi le dambugal Dembeleyaaɓe qui ne s'est segmenté qu'une fois, il y a quatre intervalles de générations.
La situation est différente pour le lignage politiquement dominant de la misiide. Ses segmentations sont plus nombreuses et particulièrement dans la branche régnante. Certaines de ces segmentations, toujours accompagnées de partage des terres, furent provoquées par la concurrence pour le commandement de la misiide, d'autres par l'expansion démographique des descendants et l'abondance des terres. Il semble en effet à peu près évident, bien que nous ne possédions pas de données historiques précises ou cadastrales sur ce sujet, que les lignages dominants s'étaient réservé des portions plus importantes de territoire. Ces lignages possédaient aussi plus de serviteurs et leurs hameaux sont plus nombreux. Ainsi les fils du fondateur de la misiide Tarambali ont donné naissance à deux dambuɗe :
Le dambugal cadet fut évincé du commandement et ses terres sont beaucoup moins importantes que celles du dambugal aîné. Il ne s'est divisé qu'une fois en cuuɗi, à la génération suivante, entre frères agnatiques : un seul de ses segments sur quatre ayant proliféré il est probable, bien qu'on n'en conserve pas le souvenir, que certaines branches sont parties s'installer ailleurs, la situation de ce dambugal étant notoirement inférieure, tant au point de vue politique qu'économique.
Par contre le dambugal aîné s'est segmenté deux fois, d'abord entre les deux fils, Ibrahima et Issa, la branche cadette Issa étant évincée du commandement par la branche aînée. Chacune d'elle se resubdivisa en autant de cuuɗi qu'il y avait de fils, chaque suudu étant une unité foncière centrée autour de hameaux créés par les descendants. La concurrence pour le commandement regroupa les cuuɗi issues d'Ibrahima, en deux partis politiques Alfaya et Soriya.
Les segmentations du lignage apparaissent limitées par la quantité de terres disponibles dans le dambugal, mais elles peuvent être provoquées soit par l'extension démographique du groupe, soit par l'attitude compétitive des branches qui, par le biais de l'autonomie foncière, cherchent à renforcer leur position politique. A cette extension naturelle s'est ajouté aussi, dans le passé, l'accaparement par un lignage dominant de terres appartenant à un de ses lignages subordonnés (exemple de la misiide Sannou).
L'émigration, définitive ou de longue durée, est une réponse au déséquilibre entre la quantité de bonnes terres disponibles dans la suudu et le nombre de ses exploitants. On se rend compte que ce phénomène présente une ampleur très différente d'une suudu à l'autre du moins pour les générations actuelles, les renseignements étant incomplets pour en juger l'importance dans le passé. Ainsi l'émigration est réduite dans un segment possédant une importante quantité de terres et de bétail dans un fulasoo distant de la paroisse et de faible densité, alors que les segments parallèles du même dambugal, resserrés dans la misiide ou à proximité, se sont en partie vidés de leurs membres actifs (exemple des segments Dembeleyaaɓe). C'est, semble-t-il, la puissance politique qui justifie l'extension démographique plus grande, les segmentations plus nombreuses, l'émigration moindre du segment régnant d'un lignage dominant par rapport à son segment parallèle, confiné dans un fulasoo et évincé du commandement.
Les segmentations qui se sont produites entre le niveau du dambugal et celui du gorol maximal, issu de l'ancêtre arrivé au Fouta-Djallon, ne sont connues que pour le lignage dominant de la misiide. Les autres dambuɗe sont en effet des rameaux faibles qui ont changé d'appartenance politique, en quittant leur lieu d'origine, pour se rattacher au teekun d'un lignage dominant. C'est là qu'apparaît le critère distinctif entre segmentation et scission. Quelle que soit l'origine de la segmentation extension du lignage et division des terres, concurrence politique elle s'opère sur place, ne modifie pas l'appartenance politique des nouveaux segments et s'exprime toujours par une redistribution foncière. Les dambuɗe subordonnés de la miside représentent des branches scindées qui ignorent leur rattachement généalogique à leur gorol maximal parce qu'elles ont perdu les droits politiques acquis par lui dans une région, alors que les dambuɗe du lignage dominant de la miside se rattachent généalogiquement à un lignage maximal dont elles restent des segments, parce que celui-ci domine politiquement dans la région (diiwal). La scission correspond un évincement politique et en conséquence territorial.
Les premières scissions apparurent au début de la conquête Ainsi l'ancêtre du lignage dominant du diiwal de Labé, Maoundé, écarta son frère cadet qui émigra dans la région de Kébou. Il est probablement l'ancêtre d'un lignage, mais qui n'a plus aucune relation avec le lignage Mawndeyaaɓe. Une autre division s'opéra entre les fils de Maoundé, chacune des branches parvenant à dominer politiquement dans une ou plusieurs misiide.
Puis entre cette période de pénétration dans la région et celle de la fixation des groupes agnatiques, qui lui succéda, on constate une aire d'incertitude généalogique de trois à quatre générations. Les dambuɗe issus de l'ancêtre du lignage primaire (segments Usuneyanke, Njobboyanke) acquirent leur statut dominant ou subordonné et leur autonomie administrative.
Les segmentations des niveaux supérieurs (gorol) correspondent au partage du pouvoir politique basé sur la conquête, celles des deux niveaux inférieurs (dambugal, suudu) à l'installation territoriale puis au partage des terres conquises et administrées collectivement. Les branches scindées de leur tronc d'origine, dans cette période intercalaire généalogiquement mal connue, se retrouvent en tant que lignages subordonnés dans une misiide qui n'est pas celle créée par leur ancêtre direct : telle est la situation des dambuɗe Mawndeyaaɓe Njobboyanke et Mawndeyaaɓe Usuneyanke Buruuji par rapport aux Mawndeyaaɓe Usuneyanke Alfa Musa, lignage dominant dans la miside créée par Alfa Moussa, dans le diiwal de Labé, où domine politiquement le lignage maximal Mawndeyaaɓe.
Quel rôle ont joué les alliances matrimoniales dans ce mécanisme segmentaire ? Le lignage Foula, comme nous le verrons dans un chapitre ultérieur, est endogame. Les niveaux auxquels se pratique cette endogamie étant multiples et celle-ci pouvant s'élargir ou se rétrécir dans le temps et selon les circonstances, elle apparaît à la fois comme un facteur de cohésion et de division. Une endogamie restreinte renforce la solidarité d'une branche en face d'autres branches de même niveau et l'isole' favorisant son autonomie. La controverse trop formaliste qui oppose les tenants de la théorie endogamie-segmentation et endogamie-cohésion lignagère apparaît futile 20. A des niveaux différents, elle joue évidemment ces deux fonctions. Mais un « modèle » n'agit pas per se : ce n'est pas parce que le lignage Foula est endogame qu'il se segmente, le lignage nomade l'est aussi et il se multiplie par division non segmentaire, car il n'a pas les mêmes fonctions foncières. Le lignage Foula se segmente d'autant plus qu'il possède de valeurs collectives durables transmissibles terre commandement divisibles ou offertes à la compétition.
C'est pour acquérir puis conserver des avantages exclusifs que les branches du lignage utilisent un mécanisme complexe exo-endogamique, dont nous étudierons plus en détail le fonctionnement. Ce mécanisme est lié a un phénomène de segmentation, lorsque les valeurs ainsi manipulées présentent un caractère de stabilité et de permanence.
Structure lignagère et politique au niveau de la paroisse (misiide Tarambali-Dionfo
La solidarité du lignage présente trois niveaux d'intensité qui correspondent à la reconnaissance d'un degré plus ou moins éloigné de parenté. Elle est maxima au niveau du segment local de misiide (dambugal, rarement gorol), elle subsiste entre segments (dambuɗe) résidant dans des misiide différentes le plus souvent de la méme région (diiwal). Entre lignages primaires (gorol) occupant le même diiwal (Mawndeyaaɓe Usuneyanke, Njobboyanke, Kalduyanke), elle apparaît d'un caractère plus particulièrement politique, s'exprimant par des règles d'étiquette qui traduisent les statuts politiques respectifs des lignages.
Il n'existe de hiérarchie proprement segmentaire qu'à l'intérieur du segment de lignage local (gorol ou dambugal d'une miside). Le lignage local solidaire peut avoir des rameaux situés à assez grande distance du noyau d'origine et qui lui restent attachés bien que géographiquement enclavés dans d'autres communautés, parce qu'ils sont des dépendances de leur misiide d'origine. Ainsi un segment Sobeyanke, occupant le fulasoo Daro, proche de Dionfo et recensé dans cette miside, n'est qu'une suudu originaire de la misiide Nila-Sannou où se trouvent le dambugal et son chef, dont dépend ce segment pour ses affaires locales (naissances, circoncisions, problèmes fonciers importants). Le segment local solidaire possède donc parfois des ramifications relativement éloignées dans l'espace.
A l'intérieur de ce segment local, plus ou moins concentré dans l'espace, il existe une hiérarchie segmentaire verticale, mais non horizontale. La subordination des niveaux inférieurs par rapport aux supérieurs, implique que tout acte social d'intérêt collectif imposition du nom, mariage, divorce, circoncision, prêt de terre, affranchissement-adoption passe par la voie hiérarchique. L'intéressé prévient son frère aîné ou père qui met au courant le mawɗo suudu lequel s'adresse au mawɗo dambugal qui, dans certaines circonstances informe le mawɗo gorol. Il n'est pas tenu compte de la séniorité des segments de même niveau, bien qu'elle ne soit pas ignorée, mais seulement de leur apparentement maternel.
Les cuuɗi issues de fils aînés et cadets ne se différencient pas quant à leur ordre de séniorité, mais celles qui descendent de la même suudu (même aïeul et même aïeule) sont plus proches et partagent avant les autres des droits communs à l'héritage des concessions de leurs membres. Ce rapprochement des cuuɗi germaines à sa source dans le mode de partage des concessions du père de famille entre ses fils. Leur égalité structurale est reconnue dans la distribution de la viande qui revient au bolonda (parents agnatiques). Le boeuf égorgé aux funérailles est partagé par moitié entre le lignage du défunt et les autres lignages de son teekun. Cette portion est ensuite divisée en autant de parts égales que le dambugal compte de cuuɗi. A l'intérieur de chaque suudu, les trois générations reçoivent des portions déterminées, celles-ci totalement inégales en quantité et qualité et qui traduisent leur position hiérarchique.
Parallèlement le mawɗo de chaque segment n'est pas l'aîné de la branche aînée, mais le plus âgé de la plus vieille génération. De même, dans le groupe familial et la vie quotidienne, les aînés mawniraaɓe et cadets minnyiraaɓe d'un individu sont, par rapport à ses camarades d'âge goreeɓe, les hommes de sa génération circoncis avant ou après lui.
Ce patriarche n'est d'ailleurs qu'un primus inter pares. C'est autour de lui que se concentrent les intérêts du segment dont il n'est que le représentant symbolique. En pratique aucun mawɗo ne prend sur lui de refuser le consentement qu'on lui demande. Il est simplement l'aîné d'un groupe de mawɓe (membres de la plus vieille génération) qui, d'une manière assez démocratique et sans exclure les hommes adultes plus jeunes, discutent ensemble des avantages et des inconvénients de telle entreprise familiale.
Il n'y a pas plus d'ordre de séniorité entre les dambuɗe de misiide différentes qu'il n'y en a entre les cuuɗi du dambugal et le principe de la filiation complémentaire n'intervient plus à ce niveau pour les différencier ; elles n'ont en effet plus de droits réciproques sur des biens collectifs. Administrativement indépendantes et de statuts politiques divers, ces dambuɗe sont toutes des rameaux du même gorol. Cette origine agnatique commune plus ou moins lointaine le niveau de segmentation de ces dambuɗe n'est pas toujours connu et il n'importe pas s'exprime par une participation réciproque aux événements sociaux importants, funérailles et impositions de noms particulièrement.
Lorsque des membres de dambuɗe parallèles viennent assister à une cérémonie d' imposition du nom chez un lointain parent de lignage, apportant leur quote-part de cadeaux de nourriture, l'étiquette impose de proposer au plus âgé d'entre eux et au mawɗo, s'il est présent, de choisir le nom du bébé. Chaque dambugal reçoit une part de viande équivalente de l'animal offert par le père du bébé On n'oublie pas l'existence de ces dambuɗe parallèles, résidant dans des misiide voisines, dans le partage de la viande des animaux égorgés pour les cérémonies religieuses.
Au niveau supérieur on reconnaît aussi l'origine agnatique commune de lignages locaux qui se sont différenciés, quel que soit également leur statut politique. Ainsi dans la misiide Tarambali sont représentés trois lignages Yirlaɓe Mawndeyaaɓe :
La portion de viande réservée au groupe agnatique, à l'occasion des funérailles et de la circoncision, est partagée en trois parts, qui sont données aux hommes les plus âgés de chacun des trois lignages. Par contre si seuls sont présents à la cérémonie, des hommes Alfayanke Galle et Alfayanke Ndeylal, deux dambuɗe du lignage dominant, la première régnante, la seconde évincée du commandement, la portion agnatique est divisée à égalité entre les deux segments.
Aussi lointaine soit-elle et contrebalancée par des facteurs externes de hiérarchisation, la parenté agnatique engendre une égalité juridique : appartenir au même bolonda c'est partager le « même panier » de viande à cause de l'ascendance commune :
soro gooto ɓe seedi = ils se sont divisés à partir d'un même ancêtre
Ce droit peut paraître mince et faire figure de simple étiquette de politesse, il prouve néanmoins la maintenance du concept de solidarité agnatique en dépit des contingences historiques.
En dehors du groupe agnatique local dont les segments se hiérarchisent verticalement, l'égalité structurale des segments de niveaux supérieurs est seule affirmée :
Le mécanisme d'opposition des segments du lignage local dans la misiide, bien que théoriquement possible, vu la hiérarchie de ses niveaux de segmentation et l'égalité structurale des segments de même niveau, n'intervient pas pour maintenir l'équilibre interne du lignage.
La plupart des lignages locaux en effet ne se sont segmentés qu'une fois, ceux qui se sont segmentés plusieurs fois étant presque toujours semble-t-il 22, des lignages dominants. Ce principe d'équilibre ne pourrait donc jouer que chez ces derniers et non dans la communauté locale toute entière constituée de segments de lignages associés sur une base territoriale et politique, mais non raccordés. Ce n'est pas à partir de ce principe que s'établissent des relations ou que se résolvent des conflits au niveau du lignage ou de la misiide. Il peut y avoir accord ou concurrence entre les descendants de branches parallèles. Mais les alliances sont librement choisies, parfois à l'extérieur du lignage, et ne résultent pas d'une opposition de caractère segmentaire. Il arrive qu'elles rapprochent des segments germains s'opposant à d'autres seulement agnatiques de même niveau : c'est de cette manière que se sont regroupés à Tarambali les segments du lignage dominant, engagés dans l'évolution politique globale et forcés de se rallier à l'un des deux partis (Alfaya et Soriya) alternant au pouvoir dans la région de Labé. Ces tactiques d'alliances utilisent entre autres les noeuds de la parenté lignagère et de la filiation complémentaire.
L'équilibre interne de cette société stratifiée, étatisée, islamisée, composée localement d'une mosaïque de lignées, alliées politiques, ne dépend pas d'un principe simple d'opposition segmentaire, mais de différents types d'organisation qui se superposent : conseil des adultes du lignage qui est une assemblée démocratique présidée par son aîné, conseil des lignages associés (teekunji), tribunal de la paroisse, tribunal de la région.
L'incorporation d'étrangers dans le lignage peut être considérée comme une technique d'assimilation politique. Contrairement aux Arabes préislamiques, chez lesquels l'adoption était une pratique courante, les Peul nomades les moins islamisés n'adoptent pas d'étrangers dans le lignage : ceux-ci sont simplement assimilés au groupe lignager corésident sans acquérir les droits que donne la filiation adoptive.
Comment les Foula islamisés en sont-ils venus à cette pratique qui était étrangère à leurs institutions antérieures et que le Prophète, désirant épouser la femme de son fils adoptif, un esclave libéré, avait abolie à la suite d'une révélation ? Les sectes interprétèrent différemment cette révélation et les Malékites, par opposition aux Hanafites, conservèrent l'adoption, la restreignant aux personnes n'ayant aucun droit naturel à l'héritage 23. Les Foula l'auraient-ils empruntée au rite malékite auquel ils aɗèrent ? Cette supposition n'est pas à rejeter car ils considèrent l'adoption, sous certains égards, comme un acte religieux recommandable. Il faut souligner que l'adoption est rare et qu'elle ne concerne que des étrangers, les uns serfs affranchis, les autres marabouts ou hommes religieux 24.
Lorsqu'il s'agit de serfs, elle implique un changement de filiation et de résidence, l'introduction dans la lignée de l'affranchisseur en tant que dernier des fils, le don d' une fille du lignage et la participation à ses biens collectifs (concessions, terres de culture). L'adoptant pourrait hériter de son fils adoptif, non l'inverse, les descendants seulement de l'adopté prenant place dans le système de succession des biens individuels des membres du lignage local.
Les lignages subordonnés aussi bien que dominants adoptent encore aujourd'hui un petit nombre de serviteurs affranchis. Il est difficile de dire l'importance qu'avait cette coutume dans le passé, car les membres du lignage n'aiment pas divulguer l'origine servile de certaines de leurs branches. Néanmoins la tradition prétend que quelques-uns des plus illustres conquérants auraient été des affranchis, adoptés de cette manière dans un lignage 25.
L'adoption d'hommes pieux et de marabouts semble encore plus rare et ne se rencontre, à notre connaissance, que dans les lignages dominants. Un seul cas a pu être relevé, celui d'un marabout toucouleur, dans les généalogies des lignages composant la misiide Tarambali-Dionfo.
Alfa Moussa, l'ancêtre du lignage dominant, alla compléter, dit-on, ses études religieuses au Boundou. Son maître, un Toucouleur, lui proposa de ramener au Fouta-Djallon un de ses parents, Doura, qu'Alfa Moussa « considéra comme son fils ». Néanmoins dans la généalogie Doura n'apparaît pas comme le fils d'Alfa Moussa mais comme un des fils de son fiIs aîné Karimou. Le segment (suudu) Dura partage la part (terre, viande, et cadeaux aux cérémonies) du segment Mamadu, issu du troisième fils de Karimou, installé à Dionfo. Il a sa place dans les successions des concessions sans héritiers directs
et des veuves, en tant que dernier segment descendant du fils aîné d'Alfa Moussa.
Bien qu'il ait pu se mêler des considérations d'ordre moral ou religieux à l'origine de ces deux types d'adoption reconnaissance envers un serviteur fidèle ou un maître coranique vénéré il semble de toute façon que cette pratique ait servi les intérêts politiques des lignages. S'attacher quelques-uns des serviteurs les plus doués en leur ouvrant les portes de l'affranchissement total, c'était faciliter l'assimilation de la masse asservie de la population, démographiquement dominante et culturellement différenciée.
A en juger d'après le degré d'adaptation des serviteurs aux valeurs Foula et l'énergie qu'ils déploient encore aujourd'hui pour se faire adopter dans un lignage libre ou pour acheter leur affranchissement, ce procédé a eu des effets positifs.
D'autre part l'adoption d'étrangers, socialement faibles mais détenant un pouvoir religieux, s'intègre dans la poursuite d'un idéal théocratique islamique identifiant chefs religieux et politiques, et correspond aussi à une tendance à l'accaparement des fonctions de commandement et des statuts, qui est caractéristique du lignage peul en général 26.
Les chefs politiques Foula et les notables des lignages dominants ne se sont pas contentés de s'attacher des marabouts, ils ont cherché à acquérir eux-mêmes des connaissances coraniques et des titres religieux. La tradition fait toujours d'un conquérant et fondateur de misiide un saint homme, d'un médiocre lettré un karamoko.
Maître (karamoko) et élève (jangoowo)
En dépit de l'importance des conséquences socio-politiques de l'adoption, sa rareté, qui en constitue la valeur, ne peut modifier que superficiellement la forme du lignage qui reste basé sur la continuité de l'affiliation agnatique naturelle. L'adoption dans le lignage est la forme la plus aiguë du processus d'intégration socio-politique et d'assimilation culturelle.
D'autres étrangers ont été seulement incorporés au teekun d'un lignage dominant. Ils sont les ancêtres de lignages autonomes, possédant leur patrimoine foncier, leur maître des terres. La seule différence qui sépare ces lignages étrangers des autres, d'origine peul, et appartenant à un teekun, est leur adoption du nom de clan (yettoore) du lignage dominant.
Ces étrangers qui étaient recueillis par le teekun du lignage dominant dirigeant la paroisse ou région, possédaient le plus souvent un statut religieux supérieur : comme l'adoption, cette incorporation au teekun avait donc surtout une signification politique.
Les deux seuls lignages rattachés de cette manière à Tarambali-Dionfo (Dikkoyaaɓe et Maleyaaɓe Diallo) l'ont été au premier des trois teekun de la misiide, celui du lignage dominant Usuneyanke Alfayanke. Le père de Dikko, ancêtre des Dikkoyaaɓe, était un marabout toucouleur du Boundou qui revint à Tarambali avec Alfa Moussa, dont il épousa la soeur : pour cette raison, les Dikkoyaɓe sont dits « enfants de soeurs » des Usuneyanke Alfayanke. Dans la même région, il existe un lignage d'origine targui, rattaché au teekun des Kalduyanke, lignage du chef de diiwal de Labé. L'ancêtre était également un marabout attaché au chef Alfa mo Labé. Les Kalduyanke cédèrent des terres à ses descendants qui y installèrent leurs concessions et adoptèrent le nom de clan, Diallo, des Kalduyanke ainsi que leurs relations à plaisanteries (sanaku). Ce lignage est autonome et n'a aucun droit successoral chez les Kalduyanke. Ces descendants d'étrangers se sont enrichis, possèdent des serviteurs dans le canton de Sannou et ont fait plusieurs mariages dans les meilleures familles de la misiide Tarambali-Dionfo, où ils se fixèrent par la suite.
Les lignages issus d'étrangers animistes, portent le nom de clan du lignage Foula, ou antérieurement assimilé aux Foula, qui travailla à leur conversion et avec lequel ils s'intermarièrent. C'est ainsi que furent islamisés et assimilés, sur les marches de la confédération, des Diallonké, Bassari, Tandanké 27.
Cette assimilation s'est faite par groupes interposés, des lignages étrangers foulanisés en convertissant d'autres, encore animistes. Elle fut rapide et presque totale : on s'étonne que les actuels Fulɓe Boini, qui appartenaient il n'y a que trois ou quatre générations à la société bassari matrilinéaire et animiste, aient été aussi profondément acculturés, ne conservant guère que leur langue et quelques techniques
Par contre des étrangers arrivés plus récemment au Fouta-Diallon qui n'ont pas participé à la conquête ne furent rattachés ni à un teekun ni à un clan. Ainsi l'ancêtre d'un lignage toucouleur, Savané, grand-père de la plus vieille génération vivante, obtint du lignage dominant du second teekun de Tarambali l'autorisation de s'installer dans un fulasoo : à l'exception de leurs concessions, ces Savané n'ont sur les terres qu'un droit d'usage et ont conservé leur nom de clan.
Les Diakanké, rameau de race malinké originaire du Macina, qui déjà islamisés ont participé à la conquête avec les Foula, ont conservé leur langue et leur nom de clan (Jabi, Suare, Jaxabi). Bien que foulanisés, ils ne furent pas, semble-t-il, rattachés à un teekun et n'obtinrent que des droits d'usage sur les terres de culture 29. Les artisans castés, d'origines diverses, n'ont pas changé d'affiliation clanique, ils constituent un groupe social intermédiaire, attaché à des familles patronnes, tandis que les serviteurs adoptent parfois le yettoore de leur maître qui se transmet par la mère ou n'en portent pas.
Le clan, vaste groupe agnatique d'origine mythique, contrairement à ce qui s'est passé chez les Peul du Sénégal, n'a pas été utilisé ici comme symbole d'un statut politique attaché à la filiation agnatique : c'est le lignage et sa situation dans le teekun qui jouent ce rôle. Le clan est au Fouta une marque d'appartenance assez vague, impliquant des degrés divers de relations socio-politiques : appropriation pour les serviteurs, partage de droits fonciers pour les lignages libres incorporés à un teekun. Le clan n'étant pas l'expression directe du statut politique dans la confédération 30, les relations à plaisanteries entre membres de clans croisés ne revêtent pas l'importance qu'elles ont au Sénégal. Les Ba sont considérés comme les aînés des Diallo, selon la légende mythique, bien que politiquement ils leur soient généralement inférieurs au Fouta-Djallon, de même les So par rapport aux Bari, clan dont est issue la dynastie des Almami, chefs supérieurs de la confédération.
Les relations entre clans, toujours asymétriques, n'apparaissent souvent que comme une simple étiquette et le saali n'a pas la forme agressive soulignée chez les Latyé. Mais elles ne sont pas nécessairement dépourvues de fonction sociale dans une société où les intermédiaires sont indispensables dans les relations entre groupes une demande en mariage peut se faire par son sanaku de clan et si les plaisanteries sont réciproques, ce sont les supérieurs, enfants de frère, qui doivent aux inférieurs les cadeaux les plus importants. Règle générale qui, dans cette société très stratifiée, s'applique à toutes les relations entre groupes.
Des différenciations socio-politiques subtiles, résultant de rapports de force, sont apparues entre les lignages de la misiide s'exprimant souvent sous une forme lignagère : rattachement à un lignage par adoption et position cadette du lignage adopté, rapports de séniorité des teekunji, incorporation dans le clan.
Les relations entre les groupes composant la société catégories sociales et lignages étaient fondamentalement inégales et hiérarchisées; elles unissaient les faibles ( waawaaɓe) aux forts (waawuɓe), ces derniers se mettant sous la protection héréditaire de familles puissantes 31. Le système était pyramidal ; « les familles patronnes » de la paroisse dépendaient elles-mêmes des familles patronnes de la région, lesquelles se soumettaient à la suprématie de la famille régnante, celle des Almami. Ce pouvoir était d'ailleurs tempéré et ces groupes sociaux étaient liés par des obligations réciproques, s'échangeaient des services et parfois aussi des femmes.
Si l'on s'en tient au niveau de la paroisse, les lignages d'hommes libres se disposaient sur une échelle graduée, en fonction essentiellement de leur statut politique, secondairement social pour les plus faibles.
Au sommet de l'échelle se situe la branche régnante (suudu laamu) Suivie des autres branches du lignage dominant (lamotooɓe), lequel est toujours le lignage dirigeant du premier teekun de la misiide. Puis viennent les lignages dirigeant les teekunji cadets de la miside qui le plus souvent sont des branches du lignage gouvernant la région (diiwal). La coordination des lignages autonomes Foula par rapport aux précédents s'exprime par leur situation relative à l'intérieur de leur teekun. Enfin les segments raccrochés par adoption possèdent le méme statut peut-être que leur lignage adoptif mais occupent la position cadette.
Les lignages étrangers ont été intégrés ou assimilés selon des procédés divers qui ont déterminé leur statut. Ceux qui étaient déjà islamisés ont été rattachés au teekun du lignage dominant dont ils ont adopté le nom de clan, tandis que les animistes ont été simplement assimilés au clan du lignage convertisseur. Enfin les groupes de filiation arrivés après l'extension territoriale et religieuse, n'ont reçu que des droits d'usage sur les terres, à la différence des précédents, et n'ont été incorporés ni à un teekun, ni à un clan de la misiide.
Cette hiérarchie qui était l'expression d'une organisation socio-politique agressive et expansive basée sur la transmission héréditaire des rapports de force entre groupes de filiation, s'est évidemment estompée mais sans disparaître complètement.
Notes
1. Voir aussi chap. XIV et fig. 61 : mode de succession du commandement de la misiide.
2. L'importance numérique du dernier segment lignage minimal est très variable. Par exemple les quatre lignages minimaux Dembeleyaaɓe sont composés respectivement de 8, 11, 18, 11 hommes mariés.
3. Ce caractère serait commun aux sociétés islamiques, les autochtones soumis et convertis étant autorisés à conserver leurs terres. Cf. Levy (1962), p. 13. Au Fouta-Djallon, les terres sont restées entre les mains des lignages associés qui ont les ont conquises, alors que certains Etats musulmans elles sont distribuées entre les guerriers et les premiers occupants. Il n'y a pas eu centralisation du capital foncier système de fiefs, le mode d'appropriation du sol est demeuré traditionnellement africain. Bien que G. Vieillard ait utilisé des termes médiévaux pour décrire les relations hiérarchiques entre les groupes qui composaient la confédération, il écrit: « C'était bien une sorte de féodalité mais fondée sur l'hérédité du vasselage entre familles, non sur la terre » (1930, p. 25) S. JA. Kozlov (1965) interprète les relations foncières, à l'époque de la confédération et du régime colonialiste qui suivit, en termes de relations purement féodales. Mais il n'analyse pas le caractère complexe de ce droit foncier, constitué d'éléments coutumiers et islamiques (p. 50), que signalent les auteurs qu'il cite.
4. Vieillard (1939), p. 80.
5. Le règlement de la Risala (chap.VII) invoqué par l'administration coloniale de l'époque, ne concerne que les immeubles bâtis sur une terre prêtée, non les arbres, plantations saisonnières et paillotes. Il est dit au chapitre VII: « Celui qui revendique une terre qui a été mise en valeur par le détenteur (qui ne s'en est pas emparé par la violence) paiera le montant des améliorations existantes. S'il refuse de le faire, c'est l'acheteur (ou le détenteur) qui lui paiera la valeur du terrain nu ...»
6. Richard-Molard (1953), pp. 168-182.
7. Vieillard (1939), p. 112.
8. Demougeot (1944), pp. 53, 67, 72 sq., 81.
9. Fig. I, p. 36.
10. Cf. p. 408 de ce Chapitre.
11. Nous assistâmes sur le terrain en 1955 aux dernières phases de cette tumultueuse affaire.
12. Il conviendrait de parler ici de « lutte de classes » si les sociologues n'avaient réservé ce concept à un phénomène particulier aux sociétés industrialisées. Celle-ci résulte au Fouta-Djallon d'une évolution différentielle à la fois culturelle et économique, les serviteurs ayant accédé plus rapidement et plus profondément que les maîtres à la scolarisation occidentale et à une économie de profit, par le salariat en particulier. Mais le processus de cette lutte des classes est particulier: les serviteurs qui possèdent, dans cette situation nouvelle, des avantages économiques supérieurs à ceux des maîtres, luttent pour obtenir, à l'intérieur du cadre traditionnel, les avantages socio-politiques attachés à la classe supérieure (Foula libres). Cette lutte des classes met en relief le fondement et le contenu essentiel des catégories sociales de ces sociétés africaines stratifiées.
13. Diallo (1944).
14. Fig. 33, p. 285.
15. Cantrelle et Dupire (1964), p. 539.
16. Demougeot (1944), p. 67.
17. Voir chap. XIV.
18. Les paroisses de Tarambali et Dionfo avec leurs hameaux sont composées de 13 lignages locaux, totalisant 554 chefs de concessions Foula.
19. Fig., 49 et 31.
20. Murphy et Kasdan (1959), Barth F. (1954), Cuisenier (1962).
21. Fig. 50. p. 414.
22. Constatation valable à l'échelle de l'enquête dans les misiide Tarambali et Dionfo.
23. Levy R. (1962), pp. 147-149
24. La remarque de P. Marty s'accorde avec les données de notre enquête ; adoption est rare et se produit en faveur de serviteurs ou de taalibe dont on veut récompenser le zèle (1921, p. 390). Consulter également Vieillard (1939), p. 70. La coutume indigène admet la filiation adoptive, mais exceptionnellement. Elle la confond un peu avec une forme de l'affranchissement (rinɗinaaɗo: adopté et affranchi). En dehors de ces cas, l'adoption paraît avoir été inusitée. Un oncle peut nourrir, élever, combler de cadeaux ses neveux orphelins, mais ceux-ci ne prennent jamais la place d'un fils ».
25. Marty (1921), p. 37.
26. Comparer avec le lignage Latyé.
27. Dupire (1963), pp. 228, 286.
28. Dupire (1963), pp. 289-292.
29. Les Diakanké de la région Tarambali-Dionfo sont d'anciens serviteurs et artisans. Il est probable que des Diakanké de statut supérieur tels que des marabouts ont été incorporés au teekun.
30. Il joue un rôle plus important chez les émigrés vivant en bordure de la confédération. Cf. Dupire (1963), p.238.
31. Vieillard (1930). p.23.
32. Fig. 50.