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Taariika / Histoire


Gilbert Vieillard
Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon

Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages


INTRODUCTION

Cette étude concerne les populations peules dans les cercles de Labé, Mamou, Kindia.
Cette définition ethnique dans le cadre administratif, correspond assez bien à un organisme politique, l'ancien Etat du Fouta-Dyalon, et à une région naturelle nommée d'après cet état, massif du Fouta-Djallon.
L'Etat ne subsiste, officiellement, que dans l'état-major héréditaire du commandement cantonal, mais il est encore vivant dans les esprits ; c'est un mythe beaucoup plus réel que les découpages administratifs qui l'ont remplacé.
Tout au long de cette étude, je parlerai même souvent de l'Etat du Fouta-Dyalon ou de la région du Fouta-Diallon, parce qu'ils ont tous deux une personnalité. Les habitants emploient toujours les noms de leurs provinces et de leur pays: quand nous [l'administratio française] avons donné un nom nouveau au canton, ils l'ignorent absolument et pour déclarer leur domicile administratif disent seulement : « Nous dépendons du chef Untel ».
Quant à l'existence du Fouta comme patrie, il suffit d'avoir entendu une petite fille exilée, parler de son pays natal, et de quel ton ! « Fûta amen », « notre Fouta » 1.
Je dois prévenir aussi de l'emploi de certains termes: cette étude est conçue dans le cadre local, certaines parties en ont été rédigées sous la dictée des habitants; avec leur vocabulaire, qui n'a pas changé en quarante ans. Or le haut Moyen Age français fournit d'assez bons équivalents des statuts sociaux au Fouta-Djallon: « Seigneur », « Maître » « Vassal », « fief », « serf » et « servage », « noble » et « manant », traduisent assez bien les mots peuls; cela ne signifie pas que féodalité et servage prospèrent dans une colonie française: ils ne prospèrent pas, ils sont en complète dissolution ; mais rien ne les a remplacés, ni dans les esprits, ni dans le vocabulaire.
Les institutions et les mœurs actuelles ne sont que les institutions et les mœurs anciennes, plus ou moins amputées ou engourdies, mais sans élément nouveau : ce n'est pas romantisme ou stérile amour des choses mortes que d'étudier le présent avec le vocabulaire du passé.
Autre chose : étant le reflet de l'opinion publique au Fouta, cette étude peut paraître assez fortement marquée de l'esprit « laudalor temporis acti » [laudateur des temps révolus] ; ceci ne provient pas d'une attitude pessimiste, encore moins hostile à la colonisation, conséquence inévitable de la solidarité, planétaire.
Toutes les sociétés qui s'organisent elles-mêmes, et par un choix libre dans les civilisations voisines, aboutissent à une construction sociale acceptable. Patriarcat, féodalité, servage, esclavage et razzia même, sont des phénomènes satisfaisants pour l'esprit, dans des conditions données.
La fédération musulmane du Fouta était un organisme plus vivant, plus excitant pour ses habitants, que les « Cercles de la moyenne Guinée », parce qu'elle était leur oeuvre, une source de fraternité et de fierté ; même si notre colonisation réussit à donner à un plus grand nombre d'habitants un confort individuel supérieur, la chaude vie sociale n'aura pas été remplacée.
Il est possible, il est certain, que cette société aboutira à un état supérieur à l'ancien, à des institutions meilleures ; mais pour le moment nous assistons à l'agonie des choses anciennes, et une agonie, ce n'est ni joyeux, ni beau à contempler.

Fréjus, 15 octobre 1937.

Note
1. Avec le « notre » exclusif du langage peul, qui exclut de la possession celui à qui on parle.