Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages
Il semble qu'en cette matière les initiatives officielles aient peu de succès et, au Fouta, la seule influence européenne est celle de l'Administration.
Les techniques indigènes, mises en concurrence avec les produits importés, sont restées intactes ou bien sont mortes.
Il y a eu cependant une influence européenne sur le Fouta-Djallon, venue de la Côte au cours des deux derniers siècles. De nombreux emprunts le prouvent.
Le hamac dans toutes les cases, l'oranger dans toutes les cours, sont des emprunts évidents et anciens. Pour faire la guerre, les Peuls ont emprunté l'arc dialonké, le sabre mandingue, puis les fusils à pierre et à capsule, que leurs forgerons savaient réparer. Le maïs, le tabac, l'igname, la colocase, la tomate sont des emprunts. Il y en a certes beaucoup d'autres, d'Europe, des Amériques et d'Afrique du Nord. Le travail du cuir, la broderie sont sans doute marocains, etc.
Ces emprunts sont rassurants pour l'avenir. L'Africain n'est pas aussi routinier qu'on veut bien le dire et il sait très bien utiliser ce qu'il trouve à sa mesure dans les choses étrangères.
Il y a eu des essais malheureux, comme l'introduction de la charrue en pays montagneux. La chose représentait un ensemble d'apprentissage trop complexe : dressage de l'homme qui laboure, des bufs qui tirent, du forgeron qui répare..
Quoi qu'il en sait, le spectacle de la charrue travaillant est rare au Fouta [si l'on excepte les fermes-écoles de Tolo (Mamou) et de Popodara (Labé)]. Je ne l'ai vu que deux fois, chez un chef Soso du Tamisso, dans les plaines avoisinant le confluent Kora Kolenten et dans le Cercle de Télimélé. Dans les deux cas, il s'agissait de chefs de canton, disposant d'une abondante main-d'uvre gratuite.
On voit en revanche beaucoup de charrues rouillées sous les vérandahs. Interrogés, les propriétaires répondent, amers ou narquois : « Nous avons vendu les bufs pour payer l'impôt. »
La situation des champs, sur les pentes, et leur composition caillouteuse sur fond rocheux est un gros obstacle à l'adoption d'un engin, nouveau. Nous ne devrions pas faire d'expériences à résultats douteux avec des indigènes aussi méfiants.
Dans un pays protégé par son caractère montagneux et le particularisme buté de ses habitants, les vieilles techniques soudanaises ont tenu bon. S'il y a eu influence étrangère, elle a été adoptée spontanément.
L'extraction du fer a été souvent décrite. Quoique le fer des boutiques lui fasse concurrence, elle subsiste encore dans de nombreux cantons. Les forgerons (wayluɓe) sont d'origine malinké: les uns castés, les autres d'origine servile, car les maîtres peuls mettaient leurs esclaves en apprentissage pour avoir des artisans à leur service.
Le façonnage des outils et des armes est de leur ressort. Leur principal ouvrage est la forge des houes; chaque printemps. Ils imitent d'ailleurs des objets européens, font même des canifs à lame pliante. Le travail du bois est également aux mains des forgerons. Ils savent façonner des coffres, de lits, des sièges, des portes et des serrures; les piliers des cases sont façonnés par eux. Ils ont quelque peu modifié leurs techniques; savent imiter tant bien que mal des meubles européens; lits, buffets, tables. Leurs vieux meubles massifs avaient plus de caractère que ces mauvaises copies. Leur outillage s'est un peu enrichi: la scie et la plane par exemple ; mais pour la plupart ils ont conservé les outils traditionnels, le petit marteau oblique, les pinces longues et minces, etc.
Elle est restée aux mains d'une caste spéciale, les Lawɓe, qui ne travaillent que les bois tendres, pour en faire des vaisseaux de toute taille; originairement ce sont des artisans vivant en compagnie des campements peuls dont ils sont les fournisseurs et les vassaux, fabriquant pour eux vases à traire et vases de laiterie. Il y a entre eux et les Peuls de curieux liens héréditaires. Les Peuls ne les appellent que « grand-père labbo » et les traitent avec le mépris bienveillant coutumier dans ces sortes de rapports.
Il est également aux mains d'artisans castés, les garankeeɓe. Leur industrie se défend assez mal, car c'était surtout une industrie de luxe: étuis à Coran, fourreaux de sabre. La sandale n'était portée que par les riches. Elle est concurrencée par la chaussure de toile à semelle de crêpe, et la sandale faite d'un morceau de pneu que fabriquent des serfs émancipés. Certains de ces garanke avaient une grande habileté, quoique leurs travaux soient loin de valoir ceux des artisans de la zone soudanaise. Le tannage à l'écorce de teli ne vaut pas le tannage aux gousses de gonakié.
Certains groupements sont spécialisés dans la poterie, qui est un humble métier. Les femmes font les vases, les hommes leur procurent l'argile et le combustible. C'est aussi un métier très atteint, par la quincaillerie européenne.
Les maîtresses de maison faisaient tisser le fil qu'elles avaient filé avec leurs servantes, par des esclaves tisserands. Aujourd'hui, le tisserand est souvent un artisan ambulant. Le métier est du type soudanais habituel. En Sierra-Leone, chez les Temné, le métier parait plus évolué, produit des bandes plus larges, ornées de dessins plus élaborés.
La protection des industries indigènes est très difficile. On peut regretter la disparition de ces techniques manuelles, de ces travaux exécutés avec soin et amour par des artisans travaillant en famille, ou par petits groupes d'ouvriers de même profession. Mais la clientèle préférera de plus en plus les produits européens. Au Fouta-Djallon, l'appauvrissement général de ces dernières années a rendu un peu de vigueur aux industries locales.
Travail des humbles, non spécialisés. Tous les Malinké et Dialunké sont d'excellents vanniers, mais les meilleurs fabricants de nattes sont les habitants des districts méridionaux, limban, soso, etc.
Les villageois africains sont souvent des débrouillards ! Les Malinké surtout sont industrieux mais on peut en dire autant de la plupart des Noirs. Placés dans un milieu quelconque, ils savent en tirer parti admirablement: construire une demeure, un enclos, tirer de la nourriture d'un milieu végétai riche mais hostile, etc... Le civilisé se sent un peu humilié de sa fragilité et de sa maladresse au sein de la nature, lui qui a souvent perdu l'endurance, la sobriété et la connaissance des gestes nécessaires à la vie primitive.
Le Peul, en revanche, trop habitué à tout tirer du troupeau, puis à se confier à l'industrie de ses esclaves, est beaucoup moins riche en connaissance de la brousse et en techniques générales. Il n'y a aucune industrie proprement peule, si ce n'est l'industrie pastorale. Le seul objet issu de ses mains est le disque de vannerie, le beɗo, que tressent les filles et les femmes peules. C'est la broderie de ces dames : jaune paille, ocre et noir au Fouta-Djallon et au Cameroun; l'ocre est remplacé par le rouge dans les pays soudanais où pousse le gros mil à teinture. On retrouve ce disque spiralé, plus ou moins plat ou concave, dans tout le monde méditerranéen, du Maroc au Djebel Druze et sans doute ailleurs. Chez les Peuls, c'est avant tout un couvercle pour les vases à lait, puis un objet d'art féminin, souvent, offert en cadeau.