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Taariika / Histoire


Gilbert Vieillard
Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon

Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages


CHAPITRE VI
Le travail et les habitants du Fouta-Djallon

Le travail manuel n'a pas ici la même honorable auréole que dans nos sociétés; il faut, pour comprendre le climat économique, se rappeler la formation de la société foula :

1. Le travail chez les noirs

Ce sont des sociétés patriarcales, masculines et gérontocratiques : les hommes d'âge (mokobaaɓe en poular-malinké) sont les directeurs et les profiteurs ; c'est un monde où l'on prend sa retraite de bonne heure. Un homme de trente à trente cinq ans doit avoir acquis un « croît » (ɓenyguure) suffisant pour ne plus travailler « que du doigt », c'est-à-dire pour commander ses femmes, ses enfants, ses serviteurs et ses futurs gendres: sinon c'est un maladroit, un niais.
Le travail est une nécessité pénible il faut donc exploiter ceux qui ne sont pas en mesure de résister.
Il est juste de dire que le rôle protecteur de I'homme est important en Afrique : le mâle est un guerrier armé qui protège et exploite ceux qui, par leur âge ou leur sexe, ne peuvent se défendre.
Sont donc travailleurs: les femmes, les enfants et les jeunes gens qui ne sont pas encore chefs de famille. Dans les sociétés soudanaises animistes, cette utilisation des « jeunes classes » est organisée. C'est un des aspects de la division bien connue en classes d'âge. Elle est particulièrement bien conservée chez les Dialonké du Sangala (Mali), où elle offre une image de ce que devait être le Massif Djallon, ou Dialonkadugu, avant la conquête musulmane.
Chez ceux-ci, la population mâle comprend de 20 à 40 ans, quatre classes actives, auxquelles incombent toutes les activités économiques du village; sous la direction de leurs chefs de promotion, eux-mêmes commandés par les anciens de plus de quarante ans, dirigés par le Chef de la plus ancienne promotion survivante.
Outre cette exploitation des femmes par les hommes et des jeunes par les hommes mûrs, le travail Noir est caractérisé par son caractère collectif et son caractère sportif.
Autant qu'on le peut, on se réunit, on va tour à tour travailler sur les champs des parents et des voisins : les défrichements, les labours, les récoltes, sont faits par équipes nombreuses. Il en est de même pour la construction et la réparation des cases, etc. Parfois c'est la nature de la besogne qui exige des bras nombreux, mais souvent c'est uniquement par désir de rendre la corvée moins pénible, comme par exemple les réunions de fileuses. Les artisans aiment aussi à se réunir, sans pour cela s'associer (cordonniers, forgerons, etc.)
Pour rendre l'effort attrayant, on ne néglige pas le concours de la musique, le chant et même l'orchestre des griots. On met l'émulation en jeu, par exemple, le terrain à labourer est partagé en équipes rivales qui lutteront de vitesse.
Les travaux sont des « coups de collier » où l'on donne tout son effort pendant une période limitée. Ils sont du reste précédés ou suivis de rites religieux et de repas plantureux ; cérémonies agraires et ripailles donnent à la vie économique une chaleur intense auprès de laquelle nos usines paraissent bien « les enfers de la force obéissante et triste ».

2. Le travail chez les Peuls pasteurs

La vie pastorale est l'activité humaine la moins favorable à l'effort: la technique est relativement peu compliquée et elle est d'ailleurs presque toute confiée aux femmes. Les hommes n'ont guère à assurer que la garde et la protection du parc, la recherche des bêtes égarées, le vol sportif du bétail des autres groupes, quelques rares soins comme la distribution du sel, compliquée de rites et de jeux, etc. Le travail manuel est bon pour les Nègres et pour les gens de caste que le Noble entretient, « porte sur son dos comme une mère son bébé ». La culture est chez eux réduite au minimum. On se borne à semer le terrain où les animaux ont passé l'hiver (bingal); labour et sarclage sont bâclés.

3. Le travail dans le Fouta-Djallon musulman

La conquête musulmane a fait de la razzia et du dressage des serfs la principale occupation des nobles, ci-devant pasteurs, et l'esclavage a porté un rude coup à la dignité du travail manuel.
« Travailler » et « esclave » sont synonymes (huuwoowo, maccuɗo), et ces assimilations verbales engendrent des associations mentales durables. Chez les Nobles, ne travaille que celui qui n'a pas su acquérir d'esclaves. C'est-à-dire le lâche, le faible et le malchanceux, toutes catégories détestables. Dieu a imposé le travail à notre Père Adam; mais il a créé ces Païens au crâne dur et aux bras forts, bons tout au plus pour le travail de la terre, et. évidemment destinés à servir les croyants. L'esclavage est reconnu par Dieu. Bilal, le nègre, qui servait Mahomet, continue à le servir au Paradis, car la servitude n'est même pas interrompue dans l'autre monde.
Quant aux serfs, ils sont maintenus dans un état d'infériorité et de dépendance qui en fait des êtres sans courage et sans initiative. Il a, comme un fonctionnaire, nourriture et sécurité assurée, mauvaises conditions dans la vie primitive où l'homme ne vaut que grâce aux duretés de sa vie dangereuse. S'il y est soustrait, il n'a rien en lui qui le soutienne. En définitive, peu de goût pour le travail manuel :