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Taariika / Histoire


Gilbert Vieillard
Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon

Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages


INCANTATION POUR LA PROSPERITE DU TROUPEAU

Se récite lorsque le sel est donné au troupeau en présence de tout le campement (Fouta Méridional).
Toutes les huttes de Peuls vachers contiennent, parmi les livres religieux, un recueil d'incantations pour préserver bêtes et gens de tout mal, à réciter dans toutes les occasions de la vie pastorale. Celle-ci est parmi les plus brèves…

Soleil levant, soleil couchant,
main gauche, main droite.
Sôlé, qui ruminait au bord des étangs,
eut trois génisses, mères des vaches et des taureaux: fécondité, nourriture et bénédiction…
Bruit de mes vaches au Levant
j'appelle: elles répondent: les voici…
Elles foncent sur moi, elles me chargent, elles arrivent comme un fleuve en crue, comme des rivières avides de mêler leurs eaux;
le Konkouré, le Fleuve Noir et le Dioliba ont conflué,
leur flot coule : mes vaches m'inondent, me submergent, je suis noyé, dans mon troupeau…

La corde me manque pour lier mes veaux:
mes vaches arrivent :
elles entrent, piétinement : girdigirdi… elles sortent, bousculade : kurdu-kurdu … elles paissent et broutent : purutt-durutt … elles soufflent à l'ombre: fau-fau
elles se relèvent, et s'étirent, s'ébrouent: say-say
elles vont boire l'eau calme: ô paix.
elles passent le jour dans les montagnes, elles descendent dans les vallées,
et elles rentrent ; ô les bienvenues…
elles s'accouplent : gada-gada
les voilà qui vont pleines, qui s'arrondissent,
elles vêlent et mugissent de tendresse,
le lait suinte de leurs mamelles trop pleines,
goutte à goutte: sindidin-sindidin
le lait est trait à grand bruit : bururum

Mes vaches se multiplient comme babouins.
elles s'attroupent comme des passereaux…

ô mes taureaux, mes génisses, mes veaux…
ô mes vaches: coureuses, égaillées, ressemblées,
au flanc des monts, sur les crêtes, vous grimpes,
vous descendez, vous mangez, vous vous rassasiez
d'herbe tendre, d'herbe courte, d'herbe haute, de printemps
et d'automne, d'herbe qui pousse après le feu ô bonne herbe
de prairies, roseaux, « herbe aux flûtes

Vous vous abreuvez d'eau pure, vous rentrez au parc,
ô mères.
Je vous enferme, je fais le tour du paroi vous êtes gardées:
Elles se couchent, elles ruminent, elles mugissent, elles, pètent elles remuent la queue, elles font de la poussière, elles se lèchent, elles tendent leurs cous flexibles, elles tournent la tête vers moi ; elles rêvent de bonheur, et s'éveillent dans le bonheur.

Dieu les garde, la Prophète est leur berger,

Gabriel les abrite sous ses ailes.
0 . Prospérité, abondance…
Plein les écuelles à traire, plein les vases à cailler,
plein les vases à beurre… ô les mains grasses de crème, les ventres pleins, les bouches rassasiées…

ô mon Repos, mon loisir; mes femmes. Nombreuses, mes garçons nombreux, mes campements nombreux, mes esclaves nombreux…

Qui m'aime est dans la joie,
Qui me hait est dans la Peine,
Ma famille est rassasiée,
Ma demeure est fortifiée,
Mont nom devient fameux,
Mes souhaits sont comblés,
Me religion s'affermit,
Ma prière est efficace,
à Dieu, au Prophète, à ma mère…
………………………………………………………..

Le sol résonne sous le pas de mes vaches. la brousse retentit, les vallées mugissent de leurs mugissements… mon troupeau se lève, part, ébranle la terre, secoue les futaies, défonce les marais, détourne les ruisseaux, éclaircit les fourrés, trace des sentiers; le bruit de mes troupeaux fait trembler la terre, le sol vibre ; devant eux s'enfuient les buffles et les antilopes; la poussière monte, les babouins aboient, lu fauves s'écartent, la misère s'éloigne…

Comme « Dioulkarnaïni » 1 avait de l'or, j'ai des vaches
Comme les richesses de Dieu
Comme la falaise a des singes,
comme la montagne a des sources,
comme la lande a des antilopes,
comme la rivière a des poissons,
comme la forêt a des oiseaux,
comme la grande brousse a des éléphants,
j'ai des vaches…
L'oeil de l'ennemi ne les verra pas…
Ses complots ne l'atteindront pas…
Son coeur ne peut rien contre moi…
Venez, je vous monterai ma vaste Richesse,
plein la hutte, dans la hutte et hors de la hutte:
plein les yeux, plein le coeur.

Je suis « gagne et garde »
Enflez-vous, gonflez-vous, ô mes troupeaux,
Comme les vagues du fleuve sous le vent,
Autour de moi, comme les flots autour d'une souche submergée, noyée…

Les deux poèmes précédents montrent bien la préférence des Peuls pour leur bétail; le premier, sur l'agriculture, est l'oeuvre froide d'un lettré. Le second, anonyme est vivant, tout vibrant d'amour, et, dans le texte original, de poésie.

Note
1. Alexandre le Grand.