Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages
Le cadavre est enterré dans les vingt-quatre heures qui suivent la mort.
Lorsque les funérailles ont été effectuées par les soins
des laveurs de morts et du du'aniiɗo, lettré chargé de prononcer les
prières d'intercession au cimetière, les parents reviennent à sa
case, qui avait été fermée à clef avant le départ
pour le cimetière et se font montrer les biens (jawdi) laissés
par le mort, en vêtements, grain, métaux précieux et bétail.
Un parent, généralement l'aîné du parentage du mort,
indique à la famille du défunt, épouses et enfants, ce qu'elle
doit faire. Une personne de confiance choisie parmi les habitants du lieu est désignée
pour assurer la garde de la succession, et quelques jours après, pour laisser
au parentage habitant au loin le temps d'arriver, a lieu le règlement de
la succession.
Il s'agit de régler:
Veuves. Les veuves doivent en principe, accomplir le deuil réglementaire (4 mois lunaires et 10 jours); les bijoux leur sont enlevés, confiés à une personne. estimée; elles continuent à habiter leurs cases jusqu'à l'expiration du deuil; au bout de ce temps, elles sont reconduites chez leurs anciens par les frères cadets du mort (ƴeekiraɓe) et sont souvent redemandées en mariage par ces derniers.
Enfants. Les enfants mineurs restent avec leurs mères; ils deviennent souvent les pupilles de leurs oncles paternels, époux normaux de leurs mères, dont ils sont d'ailleurs les ɓiɓɓe (enfants), comme les oncles sont leurs baabiraaɓe (pères).
Les enclos. L'enclos du mort revient à un collatéral et non à un descendant, si cet enclos a été fondé par l'aïeul du parentage (galle mawnde). Si le mort était l'aîné du parentage, son successeur hérite. du galle; le successeur étant celui qui vient après lui dans l'ordre des naissances. Il lui succède dans ses droits en matière de répartition des jachères ancestrales, ainsi que dans toutes ses charges d'Ancien. S'il n'y a plus de collatéral, l'enclos passe au fils aîné du mort. S'il y a des enfants en âge d'être mariés, l'Ancien prend toutes mesures propres à hâter leur mariage, leur fait construire, par une équipe familiale aidée de serviteurs, une case et un enclos pour leur ménage.
Biens meubles. Quant aux jawdi (ou jawle) ils sont le plus souvent partagés à l'amiable entre les enfants mâles et adultes, les veuves reprenant leurs douaires, gardant leurs biens féminins, tous ustensiles de ménage, sauf ceux d'origine européenne, le produit de leur travail de jardinage et parfois le grain qui leur avait été confié par le défunt. Les successions sont, en général, peu compliquées parce que peu importantes. Cependant, lorsque le défunt a laissé une certaine fortune, ou s'il y a des contestations possibles, on fait appel aux bons offices de lettrés, deux de préférence, qui indiquent aux Anciens les règles juridiques musulmanes. Mais il est rare qu'on les suive intégralement. Le plus fréquent, « ce n'est pas le droit strict, mais des arrangements licites ».
Le kaddaqal ou kaddangal. Les biens sont évalués
non en argent, mais selon l'ancienne échelle des valeurs qui servait avant
l'introduction de la monnaie (et qui sert encore dans les marchés en naturel.
Partant d'une quantité quelconque, la coudée de cotonnade, la mesure
de grain, la natte, etc... on forme une unité, le waalaare (par exemple :
4 mesures de maïs, ou 8 mesures de fonio, ou 1 natte, ou 8 coudées,
font 1 waalaare).
Le kaddangal (pl. kaddale) sert d'unité de compte pour évaluer les biens du défunt (selon des conventions établies pour les successions, qui ne sont pas celles des marchés où joue la loi de l'offre et de la demande).
Grâce à cette mesure de compte, des parts fractionnables étaient constituées, que l'on pouvait diviser selon la science des parts 'ilmul faraïti chère aux juristes musulmans. En pratique, on n'utilise guère la « science des parts » que pour retirer de la succession les « parts obligatoires » des épouses et des père et mère : c'est le farillaaku. Même les illettrés connaissent le sumunu (1/8) des épouses et le sudusu (1/6) des parents. Le reste est partagé entre les enfants, selon les désirs du défunt, assez souvent exprimés devant témoins, c'est le asabaku (arabe:) les agnats. On n'oublie pas de donner quelque chose à des parents présents qui, selon le droit, n'auraient rien du tout; ce sont les fitta-gonɗi, « ce qui essuie les pleurs ». Reste encore à pourvoir celui qui a aidé à régler la succession (gidmatul 'auni) et à rétribuer le ou les lettrés qui ont donné leurs conseils.
Dettes. Les dettes doivent être payées avant l'ouverture de la succession, si ce sont de petites dettes.
Legs. Les donations faites par le défunt sont exposées par les donataires et soumises à un examen: elles sont « consolidées » si elles ont été faites régulièrement, à condition, toutefois, qu'elles ne dépassent pas le tiers de l'avoir, ce qui ne se voit d'ailleurs jamais.
Les Peuls de Timbo distinguent quatre façons de régler une succession:
Régime successoral maléki. Trois manuels juridiques répandus:
L'héritage revient aux parents mâles en ligne paternelle (gorol),
les asabat. Mais, avant de partager, il convient de retirer les « parts
obligatoires » de certains parents:
Au garçon, la portion de deux filles; s'il n'y a que des filles, elles prennent
les deux tiers (sulusudi e ɗiɗi) ; la fille unique prend la moitié (fettyere);
s'il y a un enfant: chacun des parents a le sixième (sudusu ou jegoɓal)
; s'il n'y a pas d'enfant, le tiers va à la mère et le tiers au père
(sulusu); mais, s'il y a des frères, le sixième seulement à chacun
des père et mère (sudusu); le veuf a la moitié de ce
que laisse l'épouse, s'il n'y a pas d'enfant de cette épouse, et le
quart s'il y a des enfants (nayaɓal); les veuves ont le quart de l'héritage
de l'époux, (nayaɓal) s'il n'y a pas d'enfant, et le huitième
(sumunu) s'il y a des enfants; si un homme n'a pas de descendant, son frère
et sa sur ont chacun un sixième de ce qu'il laisse ; s'ils sont plus
nombreux, ils ont le tiers (tataɓal) ; si un homme périt sans laisser
d'héritiers, sa soeur a la moitié ; si c'est une femme, son frère
hérite d'elle ; s'il y a deux surs, elles prennent les deux tiers;
le frère a la part de deux surs. Lorsque les héritiers à part
réservée ont été servis, les enfants se partagent le
reliquat. Celui-ci est divisé en autant de parts qu'il y a de filles et deux
fois plus qu'il y a de garçons: n filles + n2 garçons, et la part
unité est obtenue en divisant l'héritage par ce nombre.
Exemple: 10 vaches entre 4 garçons et 2 filles :
10/2 + 42 = 1 vache, soit 2 vaches par garçon, 1 par fille
Le régime successoral patriarcal: en peul yarlondiral, en
arabe taraïli dans lequel les héritiers sont d'accord pour
se soumettre à leur aîné (aîné des oncles ou aîné des
enfants, ou aîné des frères, selon les cas), le plus âgé des
survivants parmi les descendants de l'aïeul.
L'Islam a lutté contre cette forme de succession, qui est dans la tradition
des éléments cultivateurs et sédentaires plus que dans celle
des Peuls; en cela, d'ailleurs, il est d'accord avec l'évolution moderne
qui réduit la part et le rôle de l'Ancien du parentage.
Cependant, il subsiste toujours, du droit patriarcal:
Droit d'aînesse. S'il ne s'agit pas de la succession d'un
Ancien, mais d'un homme encore jeune, simple père de famille, dans l'ensemble
du parentage, ce n'est pas l'aîné de tous, mais seulement l'aîné des
enfants qui est l'héritier privilégié et qui recevra Coran,
fusil, enclos paternel. C'est un droit d'aînesse : geɓal 'afo, part
de l'aîné.
Quant aux biens meubles (jawdi), ils sont partagés, sauf les exceptions
citées ci-dessus, à peu près également et selon la règle
islamique.
La succession partagée à l'amiable « entre les enfants du défunt; chacun recevant une part suffisante à peu près équivalente. C'est le procédé le plus simple et le plus fréquent. Souvent le père a désigné avant sa mort à chacun sa part, spécifiant: « Telle bête pour un tel, etc. ».
Le tirage au sort est appliqué parfois en cas de contestation entre les héritiers, lorsque les lots sont de composition hétérogène; les lots sont tirés au sort en commençant par l'aîné.
La « petite part » des chefs (geɓun lanɗo)
Les chefs politiques, de paroisse, de province et l'Almami prélèvent une « petite part » sur les héritages, surtout lorsqu'il n'y a pas d'héritier direct. Ils sont d'ailleurs héritiers normaux, comme Trésor public (beït el mâli), pour les successions en déshérence. Leur part est plus forte lorsque le défunt est un courtisan dont la fortune avait été constituée par les libéralités des chefs. A ne pas confondre avec le kommabite, qui était une confiscation pure et simple des biens du défunt.
Ouverture de la succession du défunt
La succession est réglée quelques jours après les funérailles. Plus elle est importante, plus on attend, pour que les parents aient le temps d'être avertis et de venir au domicile du mort. Il peut y avoir des délais pour certains points de détail :
« Ce sont les gens capables, qui peuvent administrer les biens » On écarte
donc les mineurs, les fous et les idiots, dont les biens sont administrés
par un tuteur (wali'u) (cf. section IV).
Il faut posséder: la majorité: kellefuye ; la raison haqil.
Saisine ou investiture des biens héréditaires. On l'a vu, l'Ancien joue quelquefois le rôle d'un exécuteur testamentaire.
Divers ordres de succession. Lignes directe et collatérale
Nous avons vu que les biens meubles se transmettent en ligne directe, les collatéraux
n'héritant qu'à défaut de descendants directs.
Il n'y a succession collatérale que pour certains biens de famille (v. droits
de l'Ancien).
Biens paternels, biens maternels. Les « biens féminins » sont transmis par la mère à ses filles, ou par la fille à sa mère.
Droits des fils, des filles, des neveux, du conjoint, des ascendants, des oncles. Après soustraction des parts réservées aux ascendants (sudusu ou sixième), aux épouses (sumunu ou huitième):
Les grands-parents héritent à la place des parents, les petits-enfants à la place des enfants, mais seulement s'il n'y a ni parents, ni enfants.
Le droit musulman admet des règles de succession assez favorables aux femmes:
La représentation (droit de recueillir une succession comme représentant
d'une personne prédécédée). - « Le mort hérite
du mort, si bien que les vivants héritent de ce mort ». Si un héritier
meurt avant qu'il ait pu recevoir la part à laquelle il avait droit, les
héritiers de celui-ci ont droit à cette part. Ceci peut arriver lorsque
les décès se suivent de près, ou bien lorsque des héritiers
n'ont pas exigé le partage des biens; à leur mort, les fils peuvent
se plaindre et demander la part que leur père aurait dû avoir.
Exemple: une femme d'Usman mourut laissant deux frères; Usman conserva les
biens de cette femme; les frères ne protestèrent pas, mais lorsqu'ils
furent morts à leur tour, plus de dix ans après, leurs fils réclamèrent
la part des biens de leur tante qui aurait dû revenir à leurs pères;
ce qui leur fut accordé.
La renonciation n'est pas connue à moins que l'on considère comme renonciation tacite le fait de ne pas réclamer le partage selon le droit musulman.
En droit musulman, quoique le Coran commande de ne partager l'héritage qu'après avoir réglé les legs et les dettes, les héritiers ne sont pas tenus de payer les dettes de la succession ; ils se trouvent placés de droit dans la situation où la législation française place les héritiers bénéficiaires. Il est seulement louable pour eux de payer les dettes du défunt, qui souffre dans l'autre monde tant que ses créanciers ne sont pas satisfaits. Les créanciers s'arrangent avec les héritiers pour récupérer une partie de leurs créances.
Si les héritiers renonçaient à la succession, celle-ci passerait aux héritiers suivants dans l'ordre successoral et, à défaut, au « beît el mâli », c'est-à-dire au Chef de province qui représente le Trésor public.
En fait, les frères du mort règlent le sort des enclos, des veuves
et des mineurs; les veuves gardent leurs douaires et leurs biens personnels. Les
fils adultes prennent les biens de leur père, cheptel et objets mobiliers.
Très souvent, aucune réunion familiale n'a lieu pour le partage: les
possesseurs deviennent propriétaires de ce que le défunt leur avait
confié.
Le tobɓugol, ou partage coranique, est rarement appliqué.
Beaucoup proclament:
« Nous ne suivons que la force, c'est aux puissants qu'appartiennent les biens. Les mineurs, ce sont tout juste des bâtards qu'on ne chasse pas ; personne n'ose se plaindre, parce que chez nous on a honte de se plaindre de ses aînés et de ses Anciens ».
« Autrefois, l'attribution des biens du défunt était faite tout de suite après les funérailles ; sur du sable pris sur la tombe fraîche, un lettré faisait les parts 2 ; les gens étaient émus par la perte qu'ils faisaient, ils pensaient au défunt et non aux biens de ce monde; chacun prenait sa part et s'en contentait ».
Le rapport à succession. On ne rapporte pas à l'hérédité ce que l'on avait reçu par avance du vivant du de cujus ; l'héritier peut donc cumuler sa part successorale avec le montant des donations antérieures faites en sa faveur par le de cujus. En matière de bien meubles, jawdi, le père a la plus grande liberté pour disposer de ses biens ; mais il n'en abuse guère. Selon le droit musulman, la quotité disponible est du tiers des biens (tataɓal).
Testament oral. Assez généralement, les hommes âgés réunissent leurs enfants et leur font connaître quels biens ils leur destinent : telle tête de bétail pour un tel, tel serviteur pour tel autre ; les dispositions faites en public, devant les bénéficiaires et devant témoins respectables sont admises. Lors du règlement de la succession, les donataires proclament la façon dont leur père entendait partager son bien et produisent leurs témoins; ces dons (dokke) sont confirmés (sellingol) par les Anciens qui jouent le rôle d'exécuteurs testamentaires. Dans les bonnes familles, c'est même à la reconnaissance de ces donations que se borne la succession. Si cependant la partialité du testateur est évidente, si un enfant légitime a été frustré, les Anciens annulent la donation. Le fait est rare. Si, d'autre part, le père avait disposé de son enclos en faveur d'un de ses fils et que cet enclos lui vînt de son père à lui (grand-père de l'héritier), les frères du défunt revendiquent la possession de ce bien de famille. Souvent aussi, des dispositions concernant la veuve ou les veuves du défunt, par exemple pour les recommander à tel de leurs enfants, spécifiant qu'elles auront le droit d'habiter telle case jusqu'à leur mariage, ou même jusqu'à leur mort si ce sont des femmes âgées (qui se remarient avec un mari honoraire, mais ne vont pas toujours habiter chez lui), de bénéficier des fruits de tel arbre situé près de leur case.
Le testament écrit (wasiya). Le testament écrit
est très rare : lorsqu'il existe, il ne contient généralement
que des dispositions en vue des funérailles: le choix de l'ami qui prononcera
les prières sur la tombe (du'aniiɗo), et la désignation des
animaux du sacrifice funéraire (halasi).
Les lettrés lèguent assez fréquemment leurs livres par écrit.
Certains laissent la liste de leurs enfants légitimes qui, seuls, ont droit à l'héritage,
en léguant aux fattuuɓe ou bâtards quelques legs de consolation.
Mais toute disposition écrite est exceptionnelle au Fouta Djallon, tant chez
les riches que chez les pauvres.
Les legs. Des legs peuvent être faits en faveur d'amis, de voisins, de lettrés musulmans, de professeurs surtout, ou d'étudiants préférés. Mais il est plus fréquent et plus sûr de faire des donations avant sa mort. La donation une fois la chose livrée, est irrévocable tandis que le, legs peut être contesté par les héritiers.
Les donations entre vifs. Tout propriétaire d'un bien meuble peut en disposer en faveur d'un individu majeur ou mineur; le donateur doit être sain d'esprit.
Ses formes. Comme pour tout contrat entraînant changement de propriétaire, le don (dokkal, dokke) s'accompagne autant que possible de certaines formes. La preuve testimoniale étant de règle, le donateur ('okkuɗo) agit devant témoin (deux au minimum) par une livraison publique (fandingol et jonnugol). Par exemple, s'il s'agit d'un animal, le donateur prend la corde qui l'attache et la met dans les mains du donataire (okkaaɗo) ; s'il veut conserver la garde de la bête, un veau qui tête encore, par exemple, le donateur conduit celui-ci chez le donataire, attache le veau chez lui, puis coupe la corde et la lui laisse. C'est le don avec livraison de la chose donnée (dokkal fandinangal), tandis que le don où le donateur se borne à désigner au donataire l'objet du don (dokkal hinnirangal) peut être attaqué par les héritiers, s'il n'y a pas eu publicité suffisante. En somme : « possession vaut titre ». C'est la livraison (jonnugol) et l'usage (huutorgol qui « consolident » la donation. Ceux qui ont reçu quelque chose l'emmènent chez eux, le fils dans son galle, la fille dans le galle de son mari ; la propriété ne peut plus leur être contestée.
La donation n'est pas révocable.
A moins qu'il ne s'agisse d'enfants mineurs, encore « sous les pieds du père »;
en ce cas, un père mécontent peut annuler les dons qu'il leur a faits
et qui n'ont pas encore quitté son enclos. La donation est employée
surtout par les parents qui ne peuvent laisser leur héritage aux donataires;
par exemple, l'oncle maternel.
Notes
1. Evaluations antérieures à la colonisation
européenne.
2. C'est-à-dire faisait les comptes en traçant
sur le sable des marques avec le bout de doigt.