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Taariika


Gilbert Vieillard
Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta-Dialon

Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages


IV
Tutelle, émancipation, interdiction

Dans quels cas la tutelle est-elle conférée par la coutume ?

  1. La mort du père. Lorsqu'un homme meurt et laisse des enfants mineurs (tokosoy), ceux-ci suivent leur mère, à qui revient l'élevage (needi) des garçons jusqu'à sept ans, des filles jusqu'au mariage. Les garçons lui sont, d'ailleurs, souvent laissés également: mais la « propriété » et les « devoirs paternels » incombent au parentage. Le tuteur normal est un oncle ou un frère aîné des mineurs: le lévirat résout le problème.
  2. La déchéance paternelle. Très rare. Il faut qu'il y ait folie déclarée ou abandon de famille.
  3. La femme veuve ou divorcée, tant qu'elle n'est pas remariée, tombe sous la tutelle d'un homme de son parentage : de son père, s'il est vivant, de son oncle, ou de son frère, même de son frère cadet: c'est à ce tuteur que s'adresse le prétendant, à lui qu'il verse le toraare, ou argent de la demande en mariage. Mais ceci ne concerne guère que les divorcées, les veuves étant épousées par un parent du mari, qui verse un très léger toraare au tuteur et constitue un nouveau douaire.

La tutelle conférée par l'un des parents

La tutelle est conférée par le conseil de famille, c'est-à-dire par les Anciens du parentage invités aux funérailles du père. Chez les bons musulmans a lieu parfois une réunion, 40 jours après le décès « lorsque la tête du cadavre se sépare du tronc » où est réglé le sort des mineurs et des veuves, si cela n'a pas été fait plus tôt: par exemple, s'il s'agit d'une puissance famille aux nombreuses branches dispersées. Lorsque les Anciens disposent d'une grande autorité, la tutelle est déférée par eux, de même que les époux des veuves sont désignés par eux. Dans la plupart des cas, et chez les pauvres gens, « on s'arrange; la veuve choisit parmi les yheekiraaɓe, frères et cousins de son mari, celui qui est capable de l'entretenir et qui lui plaît le mieux ».

Attributions
Droits et devoirs du tuteur

Quant à la personne de l'enfant: « Le tuteur doit se conduire comme un père, le mineur a envers lui tous les droits et devoirs d'un fils des reins, sauf qu'il n'a aucun droit d'hériter de lui, pas même une aiguille ». La veuve accompagnée d'enfants qui vient vivre chez son nouvel époux, frère du défunt, demande souvent à être logée un peu à part ; s'il y a un petit enclos, on le lui donne. Les enfants cultivent pour elle le matin et les jeudis et vendredis, et les autres jours pour leur oncle, comme ils auraient fait pour leur père 1 ». Les filles restent toujours avec leur mère, mariée ou non avec un frère du défunt: lorsqu'un prétendant vient demander sa fille, elle en fait part au tuteur qui joue le rôle du père. Même, si son mari a assuré l'entretien de la fille de sa femme, c'est au parentage paternel qu'appartient le droit de la marier.

Biens du mineur

Quoique les Peuls connaissent les règles musulmanes, en matière de tutelle, qu'ils nomment waliyagol (de l'arabe wali'u), ils ne les pratiquent guère. Témoin, le cynique dicton:

« Un enfant mineur, c'est un bâtard qu'on ne chasse pas ».

Les biens de l'enfant sont administrés par le tuteur, qui a droit de s'en servir pour l'entretien de l'enfant uniquement. Mais cette administration est rarement consciencieuse, dit-on. Pourvu que l'enfant soit logé, nourri et marié par les soins du tuteur, le mineur n'a rien à dire.
« Il est rare que des compter de tutelles soient réclamés; cela ne se fait pas; cela n'est pas convenable, on ne peut pas se plaindre de ses anciens ».

Evolution

Aujourd'hui, les individus agissent à leur tête; la femme s'en va vivre avec un nouvel époux de son choix, hors du parentage paternel. Les enfants appellent le mari de leur mère: kaawu, oncle maternel, et non baaba, père. Il n'y a plus alors de tutelle régulière; le mari de la mère s'occupe des petits parce qu'il aime la mère.

Tutelle déférée aux parents de la mère. — Si le parentage paternel, gorol, ne peut, ou ne veut fournir un tuteur, on cherche dans le parentage maternel ou deyol.

L'oncle maternel et les orphelins. — Devant l'avarice et la dureté dont font preuve souvent les oncles paternels, il est très important pour un orphelin de père d'avoir une mère appartenant à une bonne famille capable de l'aider. Le kaawu (oncle maternel), qui reste toujours uni avec sa sœur (bandiraawo), a beaucoup d'affection pour les enfants de celle-ci. C'est pourquoi les fils peuvent reprocher à leur père: « Tu ne m'as pas choisi un bon oncle maternel, tu as pris ma mère dans une mauvaise petite famille de Peuls de brousse, etc... » Faute de parents pour s'acquitter des devoirs de tutelle, celle-ci peut être conférée au chef de province. Les orphelins entraient ainsi dans la clientèle du chef, qui les nourrissait et les établissait.

L'émancipation

Garçons — La majorité du garçon (kellefuyee) se confond avec la puberté et le développement intellectuel: si le garçon est précoce (farbuɗo), vers 15 ans; s'il est en retard (tommuɗo), vers 17 ans et plus.

Les « diminués » (uytiiɓe) ou arriérés intellectuels, les infirmes et avortons (boofo) n'atteignent jamais leur majorité juridique et restent toute leur vie sous l'autorité d'un membre du parentage paternel.

Entre la circoncision et le mariage le garçon est traité peu à peu en adulte. On admet que « dès qu'il n'est plus complètement dans le galle paternel, le garçon majeur endosse ses actes, il en revêt son cou, c'est-à-dire qu'il en est responsable pécuniairement et moralement. Devant la justice, le père n'est plus tenu de payer ses dettes et de réparer le dommage causé, parce qu'il ne peut plus assurer sa surveillance et l'empêcher de nuire, si c'est un mauvais. Mais il y a beaucoup de pères qui acceptent de payer, pour éviter la honte à leur famille et le châtiment à leur fils ». Après le mariage (vers 18 ans, si le père fait son devoir), le nouveau chef de case est pleinement responsable de ses actes; il a acquis un ɓeynguure personnel (épouses, enfant), dont il devient à son tour responsable.

Filles. — La fille n'est majeure, adulte (hellifaaɗo), que lorsqu'elle est nubile, c'est-à-dire que ses menstrues sont régulières. « Par son mariage, elle quitte les mains du père pour celles de l'époux ». Elle ne s'appartient jamais complètement: « Si elle divorce, elle retombe aux mains du père ; si elle est veuve, elle est aux mains des frères de son mari qui, cependant, la reconduisent après un délai aux mains du père, lequel la leur remet généralement après demande ». Dans une certaine mesure, la femme mariée et surtout la femme remariée après un premier mariage jouit d'une indépendance de fait: la coutume, oeuvre masculine, cherche à les asservir, mais les femmes se défendent par tous les moyens. Un proverbe dit:

« Celui qui n'accepte pas de recevoir le douaire (que sa femme lui offre pour recouvrer sa liberté) pourrait bien recevoir du poison ».

Fraternités d'âge. — Au moment où le garçon, après la circoncision et avant mariage, n'est plus aussi dépendant du père et n'a pas acquis l'indépendance, il vit beaucoup avec ses compagnons d'âge (goreeɓe), ceux de sa génération, celle-ci englobant les jeunes gens nés pendant une période de trois, quatre, cinq ans. Cette sorte de « promotion » se nomme yirde (pl. gire) ; on la désigne par l'évènement marquant de cette époque. Exemples:

Ces associations, moins importantes que chez les animistes, existent partout au Fouta-Djallon. Elles ont leurs chefs et dignitaires, leurs réunions et un système d'entr'aide par échange de services et de cotisations.

Les aliénés

On distingue parmi les causes d'aliénation.

  1. Des accidents nerveux assez répandus, attribué aux génies (jinna). Ils sont intermittents. On dit: « Un tel est possédé par ses génies en ce moment » Généralement, le malade est laissé libre de vivre comme tout le monde, d'administrer sa famille, etc...
  2. Si les accidents sont trop fréquents, « si le malade parle comme on ne doit pas parler et agit comme on ne doit pas agir », on lui retire toute autorité sur ses gens et sur ses biens qui sont confiés à un tuteur, « c'est-à-dire que le parentage se réunit et que les anciens confient la garde du fou à un membre du parentage capable de le garder et de le nourrir ».

Trop souvent, le fou non dangereux, ou considéré comme tel, est laissé libre d'errer et de mendier à sa guise.
S'il est fou furieux, le gardien le fait attacher et mettre aux fers dans une case, jusqu'à sa guérison ou jusqu'à sa mort. Le gardien est responsable, en théorie, des accidents causés par le fou.
Les idiots congénitaux sont, de même, entretenus par le parentage de leurs pères ; ils sont nourris par leur tuteur (wali'u) et travaillent pour lui : ce sont les uytiiɓe ou « diminués ».

Conclusion

La coutume ne connaît guère nos distinctions et celles du droit musulman, en matière de tutelle et d'interdiction. « Il y a des gens capables (wawɓe), achevés (timmuɓe), par le corps, la raison et l'instruction ; c'est à eux de posséder les biens, d'en disposer et de commander les incapables (wawaaɓe, nufullahoy); incapables à cause de leur faiblesse (femmes), de leurs âge (enfants), de leurs infirmités de naissance ou acquises (feetuɓe, uytiiɓe, fous, diminués). C'est à l'Ancien du parentage de voir ceux qui peuvent nourrir et faire travailler les incapables ».
Les informateurs rangent volontiers, parmi les incapables, les serfs, et il faut bien avouer que l'état dans lequel les Peuls maintenaient leurs serfs avait rendu ceux-ci dignes de l'esclavage dont nous les avons tirés, et où ils retomberaient sûrement si nous n'y prenions garde.

Notes
1. Les jours de travail sont les mêmes pour les serfs.