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Taariika / Histoire


Gilbert Vieillard
Notes sur les Peuls du Fouta Djalon (Guinée Française)

Administrateur-adjoint des Colonies
Bulletin de l'IFAN, Dakar. Tome 1, n° 1. 1939. p. 87-209


Préface

La France s'est fait un devoir de respecter, sauf en ce qu'elles avaient d'incompatible avec les principes essentiels de sa propre civilisation, les coutumes des populations de civilisation différente placées sous sa domination. C'est pour cela que les tribunaux indigènes des divers degrés comprennent des assesseurs indigènes dont le rôle est de dire la coutume des parties. Mais il ne suffisait pas que la coutume fût dite à chaque affaire et l'on a bientôt compris l'intérêt que présenterait l'établissement de coutumiers, non pour codifier et fixer la coutume, mais pour permettre d'en suivre et d'en orienter, au besoin, l'évolution inévitable à notre contact, et aussi pour guider les juges et servir de garantie aux justiciables.
Après la vaste enquête instituée en 1931 dans les colonies de l'A.O.F., le Gouverneur Général demandait, en 1935, l'envoi de coutumiers qui fussent « de simples recueils de préceptes transcrits, autant que possible, « comme ils sont exprimés » et établis, « par races ou tribus », en suivant un questionnaire rédigé à Dakar par la Commission de codification des coutumes.
M. Vieillard, qui avait depuis peu achevé son stage à l'Ecole Coloniale, était en service à Mamou. Son goût pour les Peuls, leur langue et leurs moeurs, affirmé par quelques articles remarqués, était connu et l'avait fait affecter en Guinée. Il était tout désigné pour mener à bien l'enquête demandée chez les Peuls de l'obédience de Timbo, au milieu desquels il se trouvait. Il en fut chargé et c'est ainsi que nous nous sommes enrichis de cette remarquable étude dont M. le Gouverneur Général doit être remercié d'avoir assuré la publication.
La critique scientifique de ces coutumes appartient à de plus qualifiés, je dirai simplement le plaisir que j'ai eu à en lire l'exposé et le profit que j'en ai retiré. Le plaisir, parce que M. Vieillard étant toujours clair et donnant de la vie à tout ce qu'il décrit, se lit avec un intérêt toujours soutenu. Le profil, parce que, grâce à sa connaissance de la langue, il a pu noter en peul le mot propre et l'énoncé même de la coutume, ce qui m'a permis, avec le dialecte du Fouta-Toro, que j'étudie, des rapprochements souvent très utiles.
M. Vieillard ne s'est heureusement pas borné à un sec exposé. Tout en restant toujours très objectif, il nous a montré, dans ce milieu à la foi si vive, ceux qui appliquent le droit musulman se faisant tolérants lorsqu'ils le peupent et admettant, recherchant même dans la plupart des litiges, des règlements à l'amiable. Et celle crainte du scandale est la part du caractère peul tel qu'il nous l'a décrit dans un bel article paru en 19392 dans « Outre-Mer » 1. Il nous a montré aussi comment la sécurité et la facilité des communications, dues à notre domination, ont amené, comme en Maurilanie, par diminution de la solidarité moins nécessaire, un relâchement des liens entre suzerains et vassaux et une désagrégation de la famille globale, qui tend à faire du ménage la cellule sociale réelle. Il a enregistré enfin des plaintes, déjà entendues ailleurs, contre nos écoles, accusées de faire perdre aux enfants le respect de leur père et des anciens. Et il était bon que cela fût dit.
M. Vieillard est de ces fonctionnaires trop rares qui, s'intéressant aux populations qu'ils dirigent, emploient leurs loisirs à en étudier les mœurs et la langue. Au cours d'un premier séjour, à Say, en pays de langue peule, il avait fait une abondante moisson d'observations ethnographiques et de textes divers. A son deuxième séjour il se trouvait, eu 1929, en service à Dogo n'Doutchi, en bordure du Dallol Maouri, où j'avais campé vingt-huit ans auparavant, en suivanl à Zinder le lieutenant-colonel Péroz, lors de la première occupation. Il y avait des Peuls dans le Dallol el M. Vieillard avait repris ses études. Mais il ne rencontrait parmi ses collègues personne qui s'intéressât aux mêmes choses que lui et pour sortir de cet isolement, prenait l'initiative de m'écrire. Il me mettait au courant de ses travaux et m'offrait de faire pour moi, chez les Peuls, toute enquête qui pourrait m'être utile. Or je me trouvais, à Saint-Louis, dans une situation analogue. Entouré, certes, de sympathies et d'amitiés, je ne voyais autour de moi personne, en dehors de mes informateurs indigènes, qui s'intéressât aux Peuls ni surtout à leur langue. La lettre de M. Vieillard ne pouvait donc arriver plus à propos et elle a été la première d'une série qui ne s'est jamais interrompue. Lettres pleines de foi et d'enthousiasme, lettres pleines de faits, de remarques, de suggestions, et qui apportent, dans ma retraite saint-louisienne, une odeur de brousse qui évoque mes meilleures années.
La richesse de documentation que révèlent ces lettres montre combien M. Vieillard aime les Peuls, car ceux-ci, d'habitude si réticents, ne se livreraient pas ainsi s'ils ne le sentaient pas non seulement humain mais plein de sympathie. Lettrés ou porteurs, il les a mis en confiance.
Chez les lettrés, et dès son premier séjour à Say, il a recueilli des fragments d'un poème sur Ousman Fodio, l'islamisateur et conquérant du Sokkoto, par une de ses filles, et des poèmes religieux provenant des Toucouleurs semés au cours de leur exode vers le Haoussa, par les fidèles d'Ahmadou, fils d'El Hadj Omar, fuyant devant l'occupation française. Mais c'est quelques années plus tard, au Fouta-Diallon, seul pays où le peul écrit en caractères arabes soit d'usage courant pour la correspondance, qu'il devait trouver la littérature écrite la plus abondante. Il nous l'a d'ailleurs dit lui-même dans l'Avant-Propos qui précède de bien curieux poèmes et dont il donne le texte en caractères latins et une traduction élégante et fidèle 2.
M. Vieillard est surtout attiré par la littérature orale, de beaucoup la plus intéressante, celle des griots, des bergers et des femmes.

« Quelque chose de bien passionnant et de difficile, m'écrivait-il de Tahoua en 1929, ce sont les chants des griots, louanges ou insultes aux héros ou aux femmes, dictons sur les cités fameuses, etc… C'est là que j'ai trouvé la source la plus riche, à mon avis, en vraie poésie peule, sans influence islamique, ou guère, mais l'abondance des jeux de mots, des mois composés, des formes rares, des raccourcis d'images, en rend le sens difficile à saisir et quasi impossible à traduire. »

Il y a aussi les cycles épiques comme celui qui glorifie les chefs du Kounari (région de Mopti), dont nous avons, traduits par lui, quatre beaux récits 3, il y a les légendes, les contes populaires, les chansons des femmes et des bergers, les devinettes, les proverbes, tout un folklore très abondant. C'est celle mine, presque inépuisable, que M. Vieillard exploite avec ardeur. Tout ce qui est oral est, par lui, noté au vol. C'est une bonne méthode, à condition de reprendre plus tard son texte, mot par mot, avec un informateur dressé, afin d'en corriger les fautes ou les imperfections de notation inévitables.
L'étude des moeurs est poursuivie en même temps et avec le même soin et une note intéressante sur une curieuse épreuve par bastonnade ou flagellation par laquelle passent les jeunes Peuls d'entre Niger et Tchad, montre sa méthode : il recueille, pour les traduire ensuite, les récits d'un jeune homme tout fier d'avoir subi l'épreuve peu auparavant, grâce à quoi nous savons de façon sûre tout ce qui précède, accompagne et suit l'épreuve elle-même et les sentiments de celui qui s'y soumet 4.
M. Vieillard a déjà rassemblé ainsi, en Haute-Volta, au Niger et en Guinée, une masse de documents de dialectes différents, précieux tant pour l'ethnographie des Peuls que pour l'étude de leur langue. Fonctionnaire consciencieux, il a souvent regretté que l'obligation de faire d'abord sa tâche administrative l'empêchât de pousser ses investigations aussi à fond qu'il l'aurait voulu.

« Il y a bien longtemps, écrit-il en 1931, que je rêve d'un voyage à cheval, à petites étapes, de campement peul en campement peul, du Baghirmi au Sénégal, en cueillant des chansons et des cantefables comme d'autres collectionnent des coléoptères ! ».

Et voici que ce rêve est devenu une réalité. M. Vieillard est actuellement détaché en mission d'études au Macina.

« C'est vraiment, écrit-il, une chance inouïe de faire ce voyage avec toute la liberté d'un particulier et tous les privilèges d'un fonctionnaire : je voyage seul, sans cuisinier, à la merci des maîtresses de maison qui me font d'ailleurs faire très bonne chère. Au début, je me méfiais un peu mais, sauf l'huile de poisson, tout est bon et sain, et il y a même des plats excellents, le “tâtiri Mâsina” 5, riz cuit au beurre, au sel et au poisson-chien pilé menu, les “trois” ingrédients de ce plat national macinanké ».

Au dire des Peuls qui ont voyagé, les dialectes du Foula Toro et du Macina sont les plus corrects, le dialecte du Fouta-Djallon est le plus doux et le plus harmonieux à l'oreille. Le Macina est un des plus vieux pays peuls, « les trois aristocraties, celle du Livre, celle de la Lance et celle de la Houlette», y sont représentées et M. Vieillard est admirablement préparé à y faire une riche et profitable moisson. Souhaitons que la cuisine peule lui soit salutaire et faisons-lui confiance pour le reste.

Henri Gaden
Ancien Gouverneur des Colonies.

Notes
1. Gilbert Vieillard, “Notes sur le caractère des Peuls.” Outre-Mer, 1932, 1er trimestre. Paris, Larose.
2. “Poèmes peuls du Fouta-Djallon.” Bulletin du Comité d'Etudes historiques et scientifiques de l'A.O.F. Tome XX, N°, 3, juillet-septembre 1937).
3. Récits peuls du Macina et du Kounari (loc. cit.), tome XIV, nos 1-2, janvier-juin 1931).
4.“Note sur deux institutions propres aux populations peules d'entre Niger et Tchad ; le soro et le gerewol.Journal de la Société des Africanistes, tome II. 1932.
5. « Tâtiri Mâsina », « le mets aux trois du Macina ».