Revue juridique et politique de l'Union française 1957 (2) avr.-juin: 333-355
Présence africaine, no. 22 (oct.-nov.), 1958, pp. 29-47
Répartis du Sénégal au Cameroun et du Sahel à la lisière de la forêt tropicale, les Peuls constituent le plus important groupement ethnique de l'Ouest Africain et aussi, à bien des égards, le plus original, le plus curieux et en même temps le moins connu. Nomades et semi-nomades éparpillés dans le Sahel et menant encore la vie pastorale, errante et libre des ancétres, ou groupements importants et sédentarisés, échelonnés du Fouta-Toro à l'Adamaoua, les Peuls représentent quatre millions et demi d'âmes, dont plus de deux millions et demi dans les territoires français, soit approximativment le dixième de la population totale de cette partie de l'Afrique Occidentale.
L'étude de l'origine des Peuls a fait l'objet d'une abondante littérature. La question n'en demeure pas moins fort obscure, voire entière.
Les traditions orales des intéressés semblent trop romancées et leurs explications écrites trop empreintes de préoccupations religieuses pour avoir une valeur historique certaine. Les anciens et les lettrés Peuls enseignent qu'à l'origine, leurs ancêtres étaient des Arabes qui se sont expatriés pour convertir les païens et répandre l'Islam.
De fait, il est curieux de constater que le Peul se considère toujours avec une invincible conviction comme un Blanc, et ce lors même que son teint est plus foncé que celui du plus authentique nègre.
[Note. — La langue Pular/Fulfulde exprime la perception des différences physiques objectives (traits du visage, cheveux, teint cuivré ou “rougeâtre” (boɗe)) entre les Fulɓe et leurs voisins, désignés par le terme générique Ɓaleeɓe (Noirs). Mais c'est l'idélogie colonialiste qui transforma ce constat descriptif en une dichotomie raciale et en une taxinomie suprémaciste. Les manuels scolaires coloniaux rangeaient les Maures et les Fulɓe parmi les “blancs” et appelaient les autres populations les “noirs”. Et, comme indiqué plus haut, bien avant la Traite des Noirs et la Ruée européenne sur l'Afrique, le prosélytisme arabo-islamique et l'idéologie orientaliste avaient fourni aux élites musulmanes les dogmes proclamant l'origine orientale des Fulɓe et des autres peuples sub-Sahariens convertis à l'Islam.— Tierno S. Bah ]
Quant aux Européens, ils ont élaboré de nombreuses hypothèses qui rattachent les Peuls successivement aux Malayo-Polynésiens, aux Fellahs d'Égypte, aux bergers d'Israël, aux Juifs, aux Annamites, aux Hamites inférieurs, à des peuples de l'Inde, à des tribus carthaginoises...
[Note — Lire, entre autres, les critiques et synthèses proposées par Louis Tauxier. — T.S. Bah]
Si la plupart de ces opinions s'appuient sur quelques traits réels des moeurs et de la mentalité caractéristique des Peuls, aucune d'entre elles ne s'avère historiquement décisive. Aussi, comme le note judicieusement notre regretté J. Richard-Molard :
« Tant qu'on n'aura pas pris la peine de considérer de près l'ensemble du monde peul, il faudra bien se contenter d'ignorer, plutôt que d'avoir recours à ces élucubrations fantastiques. »
L'opinion la plus commune demeure actuellement celle qui fait venir les Peuls de l'Est-Africain, probablement de l'Ethiopie. Remontant par l'Egypte, la Libye, la lisière nord du Sahara — alors plus humide — ils auraient atteint le sud du Maroc d'où les auraient refoulés les Omeyyades.
Ils seraient ainsi arrivés par la Mauritanie dans le royaume de Tékrour, l'actuel Fouta-Toro, au VIIIe siècle, et de là auraient essaimé à travers l'Afrique, reprenant en sens inverse leurs pérégrinations vers l'est de leur pays d'origine, pérégrinations qui les a menés dans le Macina au XVe siècle, dans le Fouta-Djalon au XVIIe siècle, dans la Nigéria au XVIIIè siècle, et enfin au XIXè siècle dans l'Adamaoua où les aura stoppés l'intervention européenne.
Les Peuls furent parmi les artisans les plus décisifs de l'islamisation de toutes les régions de savane de l'ouest africain. D'abord soumis aux païens autochtones auxquels ils payaient tribut, ils conquirent le pouvoir politique au nom de l'Islam, s'emparèrent des régions les plus riches et les plus favorables à leurs troupeaux et constituèrent de puissants empires qui firent l'admiration des Européens au Fouta-Djalon, au Macina, dans la Nigéria et l'Adamaoua.
Seule la colonisation, européenne mit fin à leur expansion.
Nomades et pasteurs à l'origine, les Peuls se sont sédentarisés dans leur très grande majorité. Vainqueurs, ils soumirent une notable partie des païens à l'esclavage. Les mariages mixtes se multiplièrent et le métissage se généralisa.
Certes, les Peuls ont été influencés dans leurs moeurs par les institutions des groupes ethniques au milieu desquels le hasard des conquêtes les a fixés. Il ne pouvait en être autrement. Mais il reste qu'entre tous les Peuls, subsistent, malgré l'étendue de leur aire de dispersion et la diversité des peuples qui les entourent, des traits assez semblables, des institutions communes, au nombre desquelles, en particulier, tout ce qui a trait à l'organisation familiale.
C'est dire que les traits caractéristiques du divorce demeurent dans l'ensemble, les mêmes, à quelques légères nuances près, chez tous les peuples de l'Ouest Africain.
Cependant, pour limiter mon examen à un milieu bien familier, j'ai pris pour cadre de cette étude le groupement peul sédentarisé du Fouta-Djalon, et plus particulièrement les Peuls de la région de Mamou. Au nombre de plus de 800.000, ces Peuls peuplent la presque totalité des cercles administratifs, de Mamou, Dalaba, Pita, Labé et une partie notable des cercles de Dabola, Kindia et Gaoual.
Pour bien comprendre le mécanisme du divorce et ses traits fondamentaux, il est indispensable d'examiner brièvement le mariage, en brossant un tableau succinct de cette institution, tableau qui nous permettra de mettre en relief les idées directrices qui conditionnent, expliquent et justifient les règles caractéristiques du divorce.
Comme toute institution du droit privé peul, le mariage s'inspire tout à la fois de l'Islam et des anciennes traditions pré-islamiques.
Il est essentiellement une prescription religieuse et une obligation sociale. Institution musulmane, le mariage a pour but fondamental la procréation. Obligation sociale, il est une étape naturelle dans la maturité de l'être, celle qui, succédant à la circoncision, marque la fin de l'adolescence et l'entrée dans la grande masse des chefs de famille, collège des citoyens responsables de la cité. Aussi, l'on comprend l'extrême défaveur qui s'attache, dans cette société, au célibat, lequel est, en fait, rarissime. Ce discrédit est tel qu'il justifierait le refus de sépulture à la femme âgée, morte hors mariage.
Aussi bien, l'institution du lévirat en cas de pré-décès du mari, a-t-elle été organisée pour éviter aux veuves les obstacles du remariage. Les frères et cousins du défunt épousent toutes les veuves, et ce, quelle que soit la disproportion des âges respectifs des intéressés.
Sunnites du rite malékite, les Peuls du Fouta-Djalon pratiquent naturellement la polygamie. Une seule limite : il est interdit d'avoir en même temps plus de quatre femmes de condition libre. En fait, si les chefs coutumiers, les marabouts et notables influents possèdent de vrais harems, le campagnard est généralement bigame, voire même quelquefois monogame. Le nombre de femmes est ainsi, bien souvent, un critère du rang social du chef de famille.
Outre les raisons propres à l'Islam, la polygamie, au Fouta-Djalon, s'explique par des considérations spéciales à la mentalité peule.
Dès les premiers mois de grossesse de la femme, l'homme se croit obligé, dans l'intérêt de la santé et de la formation physique et intellectuelle de l'enfant, d'interrompre tout rapport sexuel avec son épouse, et ce, jusqu'à la fin de l'allaitement de l'enfant.
Durant cette longue période de deux à trois années, le recours à la polygamie s'impose d'autant plus que dans cette société puritaine, une infamie particulièrement déshonorante sanctionne l'adultère, péché capital et délit civil très grave.
A toutes ces raisons s'ajoutent également l'institution du lévirat, l'hostilité contre le célibat, une proportion plus grande de femmes dans la composition de la population locale et enfin, le désir très vif chez tous les hommes d'avoir une nombreuse postérité.
Le consentement des familles des deux futurs conjoints et le paiement du douaire par le fiancé ou son clan demeurent les conditions essentielles du mariage. Si l'avis du futur mari est souvent pris, d'ailleurs à titre de simple renseignement, celui de la jeune fille ne l'est presque jamais, du moins lorsqu'il s'agit de son premier mariage. D'ailleurs, il n'est pas rare que le père promette en mariage sa fille dès son enfance et quelquefois même à un âge incroyablement précoce.
Le douaire, considéré à tort par les Européens comme le prix d'achat de la femme, est au contraire, en même temps qu'une mesure de publicité, une garantie efficace contre les fantaisies éventuelles de l'un des conjoints, celles du mari en particulier.
Le rang social du mari doit être au moins égal à celui de sa femme. En fait le Peul se marie souvent avec des serves alors que le captif, même affranchi et riche, trouve difficilement femme parmi les Peules [de condition libre].
Si l'homme peut épouser toute femme de religion monothéiste, la musulmane, par contre, est obligée d'épouser un musulman. Cette question, autrefois toute théorique, commence déjà à se poser avec quelque acuité en raison du brassage actuel des populations.
L'effacement des futurs conjoints qui ressort de l'examen des conditions du mariage, est encore plus sensible dans la procédure du mariage. Toutes les démarches et formalités sont effectuées par la famille ou le clan du futur mari auprès de celle de la future mariée. Le fiancé n'est astreint qu'à des visites protocolaires qui sont l'occasion d'échange de cadeaux réciproques et de civilités d'usage. Bien que la fille puisse être promise dès son bas âge, les règles de bienséance empêchent strictement les fiancés de se connaitre avant le mariage. En effet, la fille doit, sous peine de se couvrir de ridicule, fuir en toute circonstance son futur mari. C'est signe de bonne éducation.
L'unique régime matrimonial pratiqué au Fouta-Djalon est une rigoureuse séparation de biens, laissant chacun des conjoints propriétaire et administrateur de son patrimoine personnel. Quant aux effets extra-patrimoniaux du mariage, ils se rattachent tous à cette idée fondamentale que la femme est placée sous la puissance protectrice du mari, tout à la fois maître, seigneur et prêtre du foyer familial.
Lorsque la vie conjugale est jugée intolérable par les conjoints ou leur famille, et que les pressions claniques, la séparation de fait et tous les autres palliatifs coutumiers sont demeurés vains, on recourt à l'ultime et fatal remède le divorce.
Pour saisir le sens et la portée de toute institution familiale peule, il importe de ne pas perdre de vue que les Peuls sont, de tous les Africains de l'Ouest, les plus profondément islamisés. Officiellement, le droit musulman embrasse et règle la totalité de leurs rapports juridiques, bien qu'en fait leurs coutumes antiques demeurent vivaces à l'état latent et jouent un rôle infiniment plus important que les intéressés ne le soupçonnent ou ne consentent à l'avouer.
Disons tout de suite qu'en ce qui concerne le divorce, le droit coranique est pratiquement écarté et ne s'applique que très exceptionnellement quand les époux, ou l'un d'eux, ne recule pas devant le scandale.
Le Peul est en effet d'une discrétion exagérée. Aussi, dans les familles dignes — ce qui n'est pas rare — on évite, dans toute la mesure du possible, de porter ses différends en public, de les soumettre, comme l'exige le Coran, au marabout à la Mosquée, ou au chef devant sa cour. Il est de bon ton de pratiquer des arrangements amiables au sein de la famille, en l'occurrence un divorce « honorable », discret, discuté et conclu devant les seules familles des deux époux, généralement même entre les seuls chefs des deux familles.
Compte tenu du rôle effacé du futur époux dans le choix de sa femme et de l'interdiction quasi absolue faite aux futurs conjoints de se fréquenter, afin de se connaître, avant le mariage — la coutume leur interdit même, en fait, de s'adresser la parole — compte tenu aussi de la polygamie assez courante et qui est un indiscutable facteur d'instabilité du mariage, compte tenu enfin de tous ces facteurs favorables au développement du divorce, on constate que celui-ci est relativement assez rare au Fouta-Djalon. Telle est du moins la situation dans toute la campagne car, dans les grands centres administratifs, le relâchement des moeurs engendre souvent une situation spéciale. A cette relative rareté du divorce, il y a nombre de raisons qui tiennent aux croyances islamiques des Peuls, à leur mentalité caractéristique et à leur organisation familiale et sociale.
Le divorce consomme généralement la rupture non seulement entre les deux conjoints, mais aussi et surtout entre leurs deux familles. Aussi, use-t-on de tous les moyens possibles pour l'éviter dans l'intérêt des familles qu'un faisceau serré de relations de toutes sortes, et en particulier de parenté et d'alliance oblige à se ménager réciproquement.
Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler que tous les Peuls du Fouta-Djalon ne portent que quatre noms de famille : Barry, Bah, Diallo et Sow, les noms des quatre ancêtres et que, se mariant de préférence entre eux, tous ou presque tous se trouvent être en fin de compte, parents ou alliés.
La grande discrétion caractéristique des Peuls et qui les pousse à tout supporter pour éviter le scandale — et le divorce en est toujours un, même réglé en famille — n'est pas, elle aussi, sans influence heureuse sur la stabilité des mariages.
Un certain sens pratique de l'économie concourt également à limiter les divorces. C'est ce qu'exprime le proverbe peul :
« Celui-là mourra dans la misère qui n'épouse que pour répudier. »
En effet, outre que le douaire est très rarement remboursé, même en cas de torts uniques de la femme, chaque nouveau mariage est source de frais élevés.
Le désir des femmes d'éviter que leurs enfants soient élevés par d'autres, et en particulier par leurs co-épouses, et aussi leur constant souci d'éviter à tout prix l'infamie de mourir dans le célibat — ce qui autoriserait même, selon I'Islam, à leur refuser la sépulture, leur corps devant être jeté hors du village, telle une charogne — restreignent considérablement leurs exigences et leurs fantaisies, et consolident quelquefois les ménages les plus désunis.
Mais l'une deg raisons les plus décisives et aussi les plus caractéristiques qui favorisent au Fouta-Djalon la stabilité des mariages est l'opinion commune à tous les Peuls, opinion à laquelle l'Islam n'est point étranger et selon laquelle la chance et le destin même de l'enfant dépendent pour une très large part, durant toute sa vie, et de la conduite de sa mère à l'égard de son père, et de la joie qu'elle procure à son époux et des souffrances qu'elle supporte de sa part, et de son esprit de résignation et de soumission à la volonté de son mari. Il n'est pas rare, en cas de répudiation par le mari, de voir telle épouse user de toute sorte d'artifices pour ne pas s'en aller, insister auprès du mari et de sa famille afin de conserver l'inestimable privilège de continuer à peiner pour le père de ses enfants.
Ajoutons d'ailleurs que les hommes ne peuvent, en principe comme en fait, abuser de cette situation, car de rigoureuses prescriptions religieuses et traditionnelles leur fixent impérativement leurs devoirs de maris et les invitent à la modération.
Ainsi donc, dans l'ensemble du Fouta-Djallon, le divorce, malgré de nombreux facteurs en faveur de son extension, s'avère dans la pratique bien restreint pour des raisons d'ordre économique, psychologique, social et religieux.
De même l'évolution inéluctable des moeurs qu'entraînent les nouvelles conditions de vie au contact des Européens n'est pas, cela va de soi, sans influence contradictoire mais souvent jugée fâcheuse sur le développement du divorce chez les Peuls du Fouta-Djalon.
Ce tableau d'ensemble rapidement esquissé, l'on peut se demander comment se présente actuellement la physionomie réelle et précise du divorce au Fouta-Djalon. L'analyse détaillée et successive des divers éléments du mécanisme du divorce permettra d'y répondre, avec clarté et méthode.
Les Peuls du Fouta-Djalon connaissent et pratiquent à l'encontre tout à la fois des législations d'inspiration chrétienne et du droit islamique la répudiation de l'un quelconque des conjoints par l'autre, puis le divorce par consentement mutuel des deux époux et aussi, mais à titre secondaire et très exceptionnel, le divorce judiciaire.
Le droit coranique qui consacre la répudiation ne l'envisage que comme prérogative exclusive du mari et à laquelle la femme ne peut recourir. C'est une des manifestations de la subordination absolue de la femme musulmane à son mari, tout à la fois seigneur et maitre temporel et spirituel. Par rapport à cet état de fait qui ne laisse pas d'être fort regrettable, la couturne peule marque un incontestable progrès en organisant la répudiation au profit réciproque des deux conjoints. Cette sage mesure évite les abus que cette forme de divorce pourrait entrainer. Dans la pratique, la répudiation ouverte aux deux époux joue surtout comme une menace salutaire à l'encontre des caprices éventuels de l'un quelconque des conjoints. On en use, en fait, avec beaucoup de modération. Aussi, contrairement à ce qu'un nonaverti aurait pu penser, la répudiation n'est point un facteur d'abus et d'instabilité du mariage. C'est même souvent le contraire qu'on constate au Fouta-Djalon.
En effet, lorsqu'il estime intolérable la vie conjugale pour quelques raisons sérieuses, le mari peut en informer les membres de sa famille auxquels il demande de rentrer en rapport avec sa belle-famille pour lui signifier sa décision de répudier sa femme. Lorsque la faute de la femme revêt une certaine gravité, en cas de scandale flagrant, et que le mari s'estime insulté dans sa dignité et son honneur, son ressentiment est quelquefois tel qu'il invite directement sa femme à le quitter et à se retirer chez elle, dans sa famille.
Mais même dans cette rare hypothèse, les membres de la famille du mari interviennent toujours, a posteriori, car comme le mariage lui-même, le divorce intéresse essentiellement les familles des deux conjoints. Quelque limitée qu'elle soit, cette forme est l'une des plus courantes du divorce au Fouta-Djalon.
La répudiation par la femme est surtout pratiquée par les jeunes femmes nouvellement mariées qui se font souvent honneur de résister à leur mari jusqu'à leur première maternité. Cette singulière pratique est si bien entrée dans les moeurs, en certains endroits, qu'elle apparait comme une manifestation de bonne éducation. Aussi bien, la nouvelle mariée qui s'y soustrait et se montre dès le début du ménage docile et soumise à son mari, est l'objet de fort méchantes railleries des femmes de son entourage.
La femme dispose de plusieurs procédés pour signifier à son mari qu'elle ne peut plus le supporter et qu'elle a décidé de le quitter. Elle peut, soit refuser d'accomplir ses obligations essentielles d'épouse, soit bouder et même refuser d'adresser la parole à son mari, soit encore profiter d'une des nombreuses visites qu'elle rend à sa famille pour annoncer à ses parents sa décision de ne plus rejoindre le toit conjugal. Elle peut encore s'adresser directement à son mari et lui dire : « Notre vie commune ne peut continuer. Rends-moi ma liberté, je ne puis t'accepter plus longtemps pour mari. »
Dans cette possibilité offerte à la femme de répudier son mari, contrairement au droit coranique, certains auteurs ont cru discerner un reste de matriarcat. Rien n'est moins sûr, en réalité, car aucun indice sérieux n'a permis jusqu'ici de déceler la moindre trace d'un tel régime chez les Peuls du Fouta-Djalon.
C'est une forme peu usitée au Fouta-Djalon à cause des commodités qu'offre la répudiation. D'ailleurs, le divorce par consentement mutuel apparaît bien souvent comme une répudiation réciproque. C'est pour cette raison que, dans cette forme de divorce, on cherche toujours à déterminer celui des deux conjoints qui est censé avoir pris l'initiative de la rupture. C'est sur lui que pèseront, entre autres, les conséquences patrimoniales qui s'attachent à la répudiation.
L'accord des époux ne suffirait d'ailleurs pas, par lui-même, à consommer le divorce, de même qu'il est insuffisant pour la validité du mariage. Il ne produira son effet qu'en cas d'accord des familles des deux époux, ce qui ne va pas sans de longues palabres. Les parents tempèrent ainsi les sautes d'humeur de leurs enfants, cherchent dans toute la mesure du possible à obtenir une réconciliation et ne consentent au divorce que lorsque la vie conjugale leur semble pratiquement intolérable.
L'heureuse influence des familles limite beaucoup le recours à cette forme de divorce et constitue un véritable facteur de stabilité des ménages peuls au Fouta-Djalon.
Cette forme de divorce, la seule légale parce que la seule conforme au droit musulman, n'en demeure pas moins d'un usage fort rare, quasi exceptionnel. C'est que l'extrême discrétion des Peuls et leur crainte du scandale les incitent à recourir presque uniquement, en matière de divorce, à des règlements honorables en famille.
On ne se résigne à entamer la procédure du divorce judiciaire que dans des cas assez limités : lorsque les conjoints sont issus de familles en fait inexistantes ou inorganisées, lorsqu'un des conjoints particulièrement têtu refuse de s'incliner devant la décision arbitrale des parents, ou lorsque les conséquences du divorce s'avèrent très importantes à cause de la valeur du douaire ou de la garde des enfants, ou enfin lorsqu'un époux, surtout dans les mariages mixtes, désire s'entourer de garanties de l'autorité temporelle du chef de canton.
Dans ces diverses hypothèses, le conjoint demandeur s'adresse au chef de canton qui cumule le temporel et le spirituel. Toutefois, l'examen des prétentions des plaideurs et la décision appartiennent, en principe, à l'Iman, grand marabout chargé de diriger les prières communes et de dire le droit dans les contestations de toutes sortes.
Toutefois lorsque le chef n'a pas réussi à nommer un Iman à sa dévotion et que celui-ci fait montre d'esprit d'indépendance, la juridiction de l'Iman est mise en, sommeil. Le chef choisit alors dans son entourage immédiat un de ses suivants, pseudo-juge à qui il dicte bien souvent la sentence à rendre, sentence qui dépend souvent, bien moins de l'examen objectif du litige, que de la qualité et de la générosité des plaideurs. Cette fâcheuse situation, de plus en plus généralisée dans tout le pays, est une des raisons — et non des moindres on s'en doute — qui écartent les Peuls du prétoire officiel et les obligent à recourir, dans la plupart des cas, à des arrangements amiables en famille. C'est là une des tares qui handicapent le plus fâcheusement l'organisation et la distribution de la justice indigène. La nécessaire réforme de cette justice indigène exigera en premier lieu la solution du problème du recrutement du personnel judiciaire. Il faudra d'abord exiger de la compétence : c'est le moins difficile. Il faudra encore toute une moralité qui fait actuellement défaut. Il faudra enfin créer une atmosphère professionnelle, susciter cet esprit d'indépendance indispensable chez le juge. Il est vivement souhaitable que celui-ci cesse d'être un courtisan pour être un arbitre impartial, seul susceptible de mettre les éventuels plaideurs en confiance.
Les traits caractéristiques du divorce au Fouta-Djalon que révèle déjà l'étude de ses formes apparaîtront encore plus nets et plus précis à l'examen de ses causes.
Les causes générales de divorce visent un nombre considérable d'hypothèses dont les plus courantes ont trait à la dissipation des biens ou à l'excès d'économie — au refus d'accomplir les devoirs conjugaux essentiels — à l'irrespect marqué à l'égard des beauxparents — à l'atteinte grave à l'honneur d'un conjoint — et enfin à la mésintelligence générale ou incompatibilité d'humeur.
Lorsque l'un des conjoints, par prodigalité ou par simple étourderie, ne ménage pas, comme il convient, ses propres biens et surtout ceux que la confiance de son conjoint met à sa disposition, ou encore lorsqu'il refuse de le secourir suffisamment à l'occasion de certaines cérémonies familiales (mariage, baptême, circoncision, etc.) l'autre conjoint, pour éviter la ruine du ménage ou la honte d'être traité d'avare, peut recourir au divorce. C'est le cas du conjoint qui fait des libéralités excessives et inutiles au détriment du ménage, de celui qui s'endette outre mesure et compromet sa dignité, de celui qui fait des dépenses hors de proportion avec ses ressources. Mais c'est aussi le cas de l'époux qui ne consent pas à son conjoint tout le secours que celui-ci est en droit d'en attendre à l'occasion des cérémonies importantes qui ont lieu dans sa famille et au cours desquelles il est de bon ton de faire preuve du maximum de largesse possible.
Il y a là une question délicate de dosage, source abondante d'imprécision et d'abus.
Le manquement aux devoirs conjugaux essentiels est la cause générale du divorce qui se rencontre surtout chez les jeunes ménages, et particulièrement dans les familles aristocratiques où les mariages d'intérêt sont assez fréquents. Il est de bon ton, chez la nouvelle mariée, de résister à son mari, de fuir son contact et de refuser tout rapport sexuel. A l'origine, c'était une marque de bonne éducation et aussi d'amour pour son mari. Actuellement, cette attitude marque plutôt le refus de la jeune fille devant l'homme qu'elle n'aime pas mais que sa famille lui a imposé par intérêt.
De même, le jeune marié peut refuser de consommer le mariage lorsque la femme que ses parents lui imposent n'est point de son goût. Il est sûr, de cette manière, d'obtenir le divorce afin d'épouser la jeune fille à laquelle il rêve.
Une des formes les plus fréquentes de l'inexécution des devoirs conjugaux est la fuite ou abandon du domicile conjugal. Le temps d'absence jugé intolérable est laissé à l'appréciation du conjoint qui s'en plaint. Il peut être de quelques mois seulement comme il peut être de quelques années.
Il est cependant juste de noter due, quelle que soit sa durée, l'absence ne suffit point par elle-même à consommer la rupture dit mariage. C'est ainsi qu'un chef de canton de la région de Mamou eut récemment à trancher une délicate affaire qui fit scandale dans tout le pays à cause de la publicité dont elle fût l'objet.
« Une femme, lasse d'attendre son mari en détention pénitentiaire depuis de nombreuses années, se crut libérée et se remaria. Elle eut de son second mari, deux enfants.
Sa peine exécutée, le premier mari revint au village. Invoquant l'inexistence du second mariage de sa femme, il demanda à celle-ci de réintégrer son toit, et revendiqua en outre les deux enfants nés durant sa détention. L'autorité dut lui donner gain de cause, estimant que l'absence, même acompagnée de circonstances aggravantes, ne suffit en aucun cas à rompre d'office le mariage. »
L'irrespect marqué à l'égard de beaux-parents peut résulter, soit des insultes proférées, soit des grossièretés ou autres excès de langage prononcés contre les beaux-parents ou simplement devant eux. Il arrive même que le simple fait de ne pas recevoir les beauxparents et les traiter avec tous les égards qui leur sont dus, soit considéré comme une impolitesse rendant intolérable la vie conjugale. Il est de bon ton d'observer une extrême réserve devant ses beauxparents, réserve dans les paroles et les gestes, réserve dans tout le comportement général. Il y a là un domaine aux contours imprécis où la susceptibilité des conjoints se donne bien souvent libre cours.
Discret et fier, le Peul à horreur du scandale en général et de tout ce qui nuit à la dignité en particulier. Aussi était-il courant, autrefois, qu'à la suite de tout grand scandale ayant jeté le discrédit ou l'infamie sur un individu, son conjoint estimant intolérable le maintien du lien conjugal demandât le divorce pour honte légitime. Cela se produisait en cas de condamnation pour vol, pour adultère ou pour faux serment sur le Coran. Cette cause de divorce tombe de plus en plus en désuétude et certains tenants de la tradition dénoncent là une des fâcheuses manifestations de l'inquiétant relâchement des moeurs ancestrales.
L'incompatibilité d'humeur est une cause de divorce qui comporte, en fait, une gamme presque illimitée de nuances est la cause générale par excellence, celle qui recouvre, explique ou justifie toutes les autres, celle à laquelle les époux recourent le plus fréquemment pour rompre leur mariage. Elle englobe tous les griefs insuffisamment caractérisés, depuis la mauvaise humeur habituelle d'un conjoint, ses bouderies exagérées, sa méchanceté, sa jalousie excessive, son avarice, jusqu'aux menues querelles de ménage, voire la simple laideur physique, l'absence de sympathie réciproque et d'autres futiles facteurs de bien moindre importance encore. Dans ces diverses hypothèses, le mobile du divorce n'est autre, bien souvent, que le désir de remariage d'un des conjoints. « Nous ne nous entendons pas ! » est un argument courant et souvent aussi la seule raison qu'invoque le demandeur en divorce. Une question d'incompatibilité sexuelle n'est pas toujours à exclure qui justifierait suffisamment le voile pudique jeté sur les détails des raisons avancées.
Le mari invoque assez souvent le mauvais caractère de sa femme, sa jalousie, son comportement insociable qui la rend insupportable à son entourage, mais ces divers griefs constituant, en fait, autant d'éléments de mésintelligence, je me bornerai, dans ce paragraphe, à l'examen de la paresse ou du défaut d'éducation ménagère de la femme, de son inconduite notoire et enfin de sa stérilité.
A l'exception des familles de condition sociale assez humble, le mari n'exige pas de sa femme une participation effective aux durs travaux des champs. Cependant l'épouse est toujours tenue de prodiguer des soins particuliers au jardin qui entoure sa case, d'avoir pour les bêtes du troupeau l'attention toute spéciale qu'elles méritent, d'entretenir jalousement l'intérieur de sa case et de présenter en temps opportun des mets bien apprêtés et servis dans des ustensiles irréprochables. Savoir cuire le fonio 1 et le couscous au lait caillé, traire les vaches, filer le coton, tresser des lefas en vannerie, orner l'intérieur des cases à l'aide d'argile et de bouses de vache était et demeure encore exigé de toute jeune fille peule.
Le mari, sur ce chapitre, se montre assez exigeant. Il y va d'ailleurs de son honneur car on épie les moindres défaillances et les commentaires malveillants se répandent très vite dans tout le pays. Aussi l'homme n'hésite-t-il pas, en cas de négligence répétée ou d'incompétence marquée, à aller jusqu'au divorce afin de sauvegarder sa dignité de mari.
L'inconduite notoire de la femme s'entend d'ailleurs, aussi bien du comportement général de la femme en société, de ses rapports en particulier avec ses co-épouses, que de ses éventuelles infidélités conjugales. Le mari n'attend pas quelquefois que ces faits revêtent le caractère de scandale, et dès les premières rumeurs sur l'inconduite de sa femme, il met celle-ci en garde et en cas de récidive, peut se décider à la répudier.
L'adultère, à lui seul, entraine rarement le divorce lorsqu'il ne s'accompagne pas de scandale. Le mari trompé se contente souvent, dans ce cas, d'administrer une bonne correction sous forme de bastonnade discrète au complice de sa femme ou de lui imposer une très lourde réparation pécuniaire.
La stérilité de la femme n'est prise en considération, en vue du divorce, que dans les ménages monogamiques qui demeurent encore une infime minorité. D'ailleurs le retard ou l'impossibilité de la procréation est attribué bien moins à la femme, à sa stérilité, simple cause apparente, qu'à la volonté divine, cause de toutes les causes. Aussi bien lorsque tous les sacrifices et toutes les prières sont demeurés vains, le malheureux mari, au lieu de répudier sa femme stérile se décide-t-il à contracter un second mariage. C'est ainsi que la stérilité pousse à la polygamie.
Chez les polygames, par contre, la stérilité offre à la femme qui en est affligée de réels avantages. En fait, la préférée du mari polygame est souvent la femme stérile qui, exempte des dures servitudes de la maternité, est toujours disponible et conserve plus fraîches jeunesse et beauté.
Pour nous en tenir à l'essentiel, les griefs les plus fréquents que la femme allègue pour répudier son mari ou demander le divorce judiciaire, se réduisent à la dissipation de son douaire ou à son défaut de paiement par le mari, aux mauvais traitements habituels ou à l'inégalité de traitement entre co-épouses et à tous les faits divers et dimportance variable que la femme considère comme un manquement à l'obligation de bon entretien qui pèse sur le mari.
Il faut mentionner également, pour mémoire, l'impuissance du mari.
Le douaire, ou ensemble des biens légalement exigés du mari pour la conclusion du mariage, étant une propriété spéciale de la femme, le mari n'a pas, en principe, le droit de l'aliéner. Lorsque le douaire n'est pas acquitté avant le mariage, le mari est tenu de le verser dans les meilleurs délais, et sa négligence ou le simple retard dans le paiement peuvent servir à la femme de prétexte à chicane, voire de moyen de chantage pour tempérer les exigences du mari et justifier, éventuellement, une demande en divorce.
Les mauvais traitements peuvent résulter, soit des coups trop violents ayant occasionné des blessures ou des contusions, soit de toutes autres brutalités physiques ou morales, ces dernières englobant, entre autres, les grossièretés, les injures et toute manifestation ostensible de mépris.
Les co-épouses ont droit à un traitement rigoureusement égal et la moindre différence que le mari cherche à établir entre elles est amèrement ressentie, et ranime des jalousies latentes et souvent fatales au mariage. L'exigence d'égalité est telle en cette matière, que le droit musulman répartit méticuleusement le temps du mari entre ses femmes et qu'il considère, comme enfant naturel, celui qui, bien conçu des oeuvres du mari et de sa mère, l'a été un jour réservé normalement, non à celle-ci mais à une de ses co-épouses.
L'obligation d'entretien qui incombe en totalité au mari a pour objet la nourriture, l'habillement, le logement et la sécurité. Son étendue s'apprécie en fonction du rang social des conjoints bien plus que des possibilités du mari et des besoins de la femme ; ce qui n'est pas sans constituer un sujet permanent de frictions. C'est en fait, le grief le plus courant qu'invoquent les femmes désireuses de répudier leur mari.
Si la consommation du mariage est une des causes de validité de celui-ci, en droit musulman, la crainte du scandale empêche de façon quasi absolue la femme peule d'invoquer ce grief « honteux » pour obtenir le divorce. Ce serait une indélicatesse que la pudeur publique ne lui pardonnerait jamais. Aussi bien, la femme a toujours, en ce cas, recours à un autre artifice : au défaut d'entretien ou à un moyen plus radical qui est l'abandon du domicile conjugal. D'ailleurs le mari, désireux de couvrir ce qui est pour lui un sujet de honte et d'infamie, accède volontiers aux désirs de la femme. Un divorce par consentement mutuel est alors règle assez courante.
Observons que la presque totalité des causes de divorce ci-dessus exposées sont d'ordre extra-patrimonial. Si les biens des conjoints sont si peu matière à de sérieuses contestations susceptibles d'affecter le lien conjugal, c'est que le régime de complète séparation est en fait le seul connu et pratiqué au Fouta-Djalon.
Par ailleurs, il va sans dire que tout ce qui précède ne concerne que les rapports normaux entre conjoints de même condition civique, entre le mari peul et la femme peule ou autre, mais de condition libre. Les serves, encore en grand nombre dans le pays, lorsqu'elles sont épousées par leur maître, ont infiniment moins de prérogatives de fait et elles ne peuvent, en particulier, répudier leur mari qu'en prenant la fuite et en quittant la région pour échapper à la colère du maitre. Même affranchies, ces femmes demeurent en fait à la merci du mari qui fait montre à leur égard, bien souvent, d'une exigence excessive et tyrannique.
Mais comment le conjoint qui peut invoquer tant de motifs, à la fois si divers et si imprécis, doit-il procéder pour faire aboutir sa demande en divorce lorsque, la vie conjugale lui étant devenue intolérable, il entend faire valoir soit une des causes générales de divorce, soit une de celles qui lui sont spécialement réservées.
C'est ce que je vais examiner dans l'étude consacrée à la procédure du divorce.
La grande caractéristique en cette matière est le peu d'usage qu'on fait au Fouta-Djalon de la procédure prescrite par l'Islam cependant la seule légale, et le recours presque exclusif au procédé coutumier d'arrangement amiable et d'arbitrage familial qui exclut tout formalisme.
Aussi bien, la procédure est-elle, en fait, à peine organisée. Point de délais de rigueur, point de péremption ni de cause d'irrecevabilité.
Le choix de la forme du divorce détermine la procédure à suivre.
Deux moyens s'offrent au plaideur pour faire aboutir sa prétention ; la procédure officielle de l'Islam pour le divorce judiciaire et l'arrangement familial amiable pour toutes les autres formes de divorce.
Après l'étude de ces deux voies, nous mentionnerons, pour mémoire, l'existence des tribunaux dits coutumiers, créés par l'Administration française et qui, en principe, peuvent connaître entre autres matières civiles indigènes, celle du divorce mais qui, en fait, sont, ou ignorés, ou l'objet d'une méfiance générale et quasi invincible. Et cela durera tant qu'on n'aura pas apporté à ces juridictions les réformes de structure qui s'imposent, et d'abord un radical changement de personnel.
L'arrangement familial est la procédure la plus courante, la seule presque dont on use, celle qui s'impose toutes les fois que les plaideurs recourent à la répudiation ou au divorce par consentement mutuel, refusent de porter leur différend devant l'Iman ou le chef coutumier.
Le demandeur avise sa famille dont le chef, qui est en principe le doyen d'âge, réunit une sorte de conseil de famille comprenant, tantôt tous les adultes mâles et expérimentés du clan, tantôt les plus âgés des seuls proches parents. Ce conseil, réuni dans un endroit bien discret, reçoit les doléances du conjoint, tente de faire revenir celui-ci sur sa décision et, en cas d'insuccès, examine si les intérêts du clan ne s'opposent pas à la dissolution du mariage. S'il ne s'oppose pas au divorce, le conseil envoie une délégation auprès de la famille de l'autre conjoint pour lui signifier la décision familiale. Une entrevue est projetée entre les deux familles dont les délégués se rencontrent généralement en dehors des deux conjoints intéressés. Les griefs sont évoqués à nouveau, les témoins entendus et les éléments de preuve examinés. Une tentative de conciliation a lieu et, en cas d'échec, les doyens d'âge des deux clans, porte-parole respectifs des époux, décident à l'amiable soit du maintien du mariage, soit du divorce…
Essentiellement inspirée du Coran, mise au point par les grands docteurs de l'Islam, la procédure légale est enseignée et appliquée au Fouta-Djalon par les marabouts, hommes de science et de dévotion.
C'est l'Iman ou directeur des prières publiques, homme respecté pour son âge, sa science, sa probité et sa foi, qui est juge de droit.
La contestation est portée par l'un des plaideurs ou son mandataire devant le chef de village ou de canton, lequel en saisit le juge, non sans avoir tenté de concilier les conjoints auparavant. Une comparution personnelle des plaideurs est souvent ordonnée par le juge qui entend les deux parties, leur prodigue ses conseils agrémentés de savoureuses anecdotes de la vie religieuse islamique, puis s'efforce d'obtenir la réconciliation amiable des plaideurs et, en cas d'insuccès, fixe la date des débats.
L'audience est publique. Elle se déroule à la mosquée, devant les fidèles assemblés après la prière. De plus en plus souvent, les débats se déroulent dans la case à palabres du chef coutumier, où la pudeur et la dignité des conjoints et de leur famille sont soumises à une rude épreuve par le sans-gêne et l'arrogance des courtisans.
L'Iman entend les témoins, les parents des plaideurs et quelques fois les voisins, et finalement rend sa sentence, laquelle est d'autant plus réfléchie et judicieuse qu'elle engage, non seulement la science et la réputation du juge devant les fidèles, mais aussi et surtout sa conscience devant Dieu, le juge suprême devant qui tous les procès seront révisés.
Il est à signaler que certains chefs coutumiers puissants, au lieu de s'en remettre à l'Iman du soin délicat de dire le droit, préfèrent actuellement juger eux-mêmes ou par l'intermédiaire de leurs courtisans, et instaurent ainsi une jurisprudence prétorienne expéditive certes, mais non exempte d'arbitraire et de regrettables abus.
Les plaideurs ont également la faculté de porter leur litige devant les tribunaux coutumiers du premier et du deuxième degré composés d'assesseurs et présidés respectivement par l'administrateur chef de subdivision et le commandant de cercle. Devant ces juridictions, la procédure est fort simple, tout orale. La loi applicable est la coutume des parties, tempérées par les dispositions de l'ordre public.
La tare de ces juridictions est tout entière dans son personnel. Les assesseurs sont souvent des courtisans avides, ignorants et corrompus. Quant à l'administrateur, sa seule présence suffit pour éloigner le Peul de cet inutile et dangereux prétoire. Et, de fait, l'on recourt si peu à ces tribunaux, que la plupart des habitants du pays ignorent jusqu'à leur existence. En pratique, seuls quelques anciens tirailleurs déséquilibrés et le personnel domestique des Européens s'adressent à ces juridictions que la masse des Peuls évite avec soin, tant à cause de la, corruption des assesseurs, de la crainte des ordres des administrateurs que de leur répugnance à porter en public ces questions, à leurs yeux, essentiellement intimes.
Quelle que soit la forme du divorce, et partant la procédure suivie, la décision finale se prononce toujours sur les effets du di viorce auxquels sera consacrée la dernière partie de cette étude.
Quelle que soit la manière dont il est obtenu, le divorce peut entraîner des conséquences de portée variable et relatives aux raptrainer des ports pécuniaires des époux, à leur état civil respectif et éventuellement à la garde de leurs enfants communs.
Il va de soi que le divorce rompant pour l'avenir tous les liens entre les ex-conjoints supprime tous les droits successoraux auxquels ils auraient pu normalement prétendre.
Cette rupture est d'ailleurs si complète, et ses effets si étendus, que rien n'a été prévu, ni en matière de pension alimentaire au profit de l'époux innocent et dans le besoin, ni en matière de réparation sous forme de dommages-intérêts au détriment du conjoint coupable pour le préjudice subi par l'innocent du fait du divorce intervenu.
Par ailleurs, le régime matrimonial le seul connu et pratiqué dans le Fouta-Djalon étant une rigoureuse séparation de biens, tempérée seulement par la possibilité pour le mari d'administrer les biens de sa femme avec l'accord de celle-ci, les seuls effets pécuniaires du divorce sont ceux relatifs au douaire de la femme, et aux donations que les conjoints se sont faites à eux-mêmes ou à leur famille…
Payé par le mari, le douaire est en effet, durant le mariage, une propriété spéciale de la femme, qui peut en confier l'administration à ses propres parents. A la dissolution du mariage, le douaire est en principe acquis au conjoint jugé ou supposé innocent. C'est ainsi que la femme qui répudie son mari doit lui restituer son douaire, à moins que la famille du mari ne s'y refuse, ce qui est de bon ton lorsqu'il y a des enfants communs. De même le mari qui répudie sa femme renonce souvent par ce geste au douaire par lui acquitté, à moins que les torts de la femme ne soient tels qu'elle ne puisse décemment rien réclamer.
Le douaire, généralement constitué en bien de famille (animaux domestiques, esclaves, or), est loin d'être le prix d'achat de la femme, constitue au contraire, en même temps qu'une mesure de publicité, un élément essentiel de stabilité du ménage et de garantie efficace pour chacun des conjoints contre les fantaisies éventuelles de l'autre…
Lorsque les libéralités ont été faites entre eux, les conjoints s'empressent en général de les révoquer dès que la mésentente se précise. Les révocations sont en principe réciproques. Lorsque les libéralités réciproques sont de valeur sensiblement équivalentes, une compensation amiable met fin à toute contestation.
Cependant le mari ne peut réclamer certains objets d'usage courant et de peu de valeur qu'il a offerts à sa femme : c'est le cas en particulier pour les effets de corps, les menus bijoux, certains ustensiles de cuisine et tous les grains consommés avant le divorce.
Quant aux nombreux cadeaux d'usage que l'homme a coutume d'offrir à ses futurs beaux-parents avant le mariage, la tradition et la décence s'opposent, en principe, à leur remboursement dès lors que le mariage a été consommé. Toutefois, en vue de limiter les répudiations par les femmes et d'exhorter celles-ci à la patience et à la modération, certains juges, contrairement à la coutume, ont exigé et exigent de plus en plus, à titre de mesure comminatoire, des restitutions intégrales du douaire et de toutes les libéralités qui l'acompagnent. C'est une jurisprudence prétorienne qui trouve sa justification dans l'excessif relâchement des mœurs urbaines et la nécessité d'assurer la stabilité des ménages, condition essentielle de toute paix sociale.
Les conséquences judiciaires et sociales importantes du divorce ne concernent en réalité que la femme. Comme le mariage, le divorce n'entraine aucune modification relative aux noms des conjoints et à leur capacité. Les effets de la dissolution du mariage concernent entre autres le délai de viduité imposé à la femme divorcée, l'état de grossesse déclaré durant cette période, l'interdiction du lévirat et enfin la possibilité de remariage entre conjoints divorcés.
Bien que la majorité de ces effets n'intéressent point l'homme, celui-ci a le plus grand intérêt de limiter le plus possible ses divorces car, lorsque les commères s'en mêlent — et elles s'en mêlent toujours — elles ont tôt fait de jeter le discrédit sur lui au point de le ridiculiser et de lui rendre impossible tout remariage dans la région...
Le délai de viduité est suivi très strictement dans la pratique, le Coran impose à la femme divorcée un délai d'attente de trois mois lunaires avant de pouvoir se remarier. Si en principe la divorcée peut passer ce temps d'attente dans la concession de son ex-époux, en fait, elle revient toujours dans sa famille où elle reçoit discrètement les propositions des futurs prétendants à sa main.
Lorsqu'une grossesse se déclare chez une divorcée avant l'expiration du délai d'attente légale, le divorce est annulé et reporté, à défaut de réconciliation, après la naissance. Le mari est obligé d'accepter pour sien l'enfant et de le traiter comme tel, selon son rang social et son état de fortune.
Le lévirat étant le remariage de la veuve avec un des frères de son mari prédécédé, n'est point concevable, cela va de soi, en cas de divorce. Celui qui épouserait, du vivant de son frère, l'ex-épouse de ce dernier, commettrait un acte d'inélégance et de mauvais goût que son frère, sa famille et l'opinion publique ne.lui pardonneraient jamais…
Le remariage entre ex-conjoints est possible sans aucune condition de délai. Cependant l'homme doit alors recommencer toutes les démarches et effectuer toutes les formalités requises pour une première demande en mariage. En particulier il doit acquitter un nouveau douaire et faire les cadeaux d'usage aux beaux-parents. Toutefois l'Islam n'autorise pas le remariage plus de deux fois entre mêmes personnes, mais cette prescription présente peu d'intérêt pratique car, au dire des anciens, le cas ne s'est pas encore posé au Fouta-Djalon.…
Quant à la garde des enfants communs, le divorce ne modifiant pas l'état civil des enfants, ceux-ci demeurent légitimes et conservent leurs droits à l'entretien, à l'instruction religieuse, à la circoncision et au mariage, le tout à la charge des parents ou du clan paternel en cas de défaillance des premiers. De même, le divorce ne modifie point les droits des enfants dans la succession éventuelle de leurs parents. Cependant, à l'égard des enfants, les obligations des parents diffèrent, de même que leurs prérogatives.
En principe, c'est le père qui conserve seul, durant le mariage comme après le divorce, la puissance paternelle sur les enfants de tout âge. Titulaire de tous les droits, le père supporte en retour, toutes les obligations que comportent la garde et l'entretien des enfants.
Des exceptions peuvent toutefois exister que justifient, soit l'intérét évident des enfants, soit un démérite exceptionnel du mari jugé indigne, soit enfin les pleurs et les supplications de la mère.
Le père qui reprend ses enfants après le divorce les confie généralement aux soins de sa propre mère, d'une soeur, d'une simple parente ou d'une de ses femmes, la dernière hypothèse étant la plus fréquente et aussi la plus désavantageuse pour l'enfant.
Si tels sont les principes, en fait, des arrangements amiables sont toujours possibles qui concilient les prérogatives du père, les supplications maternelles et les intérêts des enfants qui demeurent les innocentes victimes de la désunion des foyers. Le père consent à laisser les enfants en bas âge aux soins de leur mère, laquelle continue alors, comme par le passé, à assurer leur entretien et leur éducation, la contribution paternelle consistant généralement en
Note
1. Céréale aux petits grains constituant la base de la nourriture des Peuls du Fouta-Djalon.