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Beatrice Appia
(1899-1998)

Béatrice Appia
Les forgerons du Fouta-Djallon

Avec la collaboration et la contribution de :
Tierno Chaikou Baldé, Germaine Dieterlen
M. Mouret et A. Hampaté Ba


Les informations recueillies auprès des forgerons du Fouta-Djallon par Mme B. Appia, de 1938 à 1940 en Guinée, lui avaient permis à l'époque de rédiger cet article. A sa demande, nous avons revu ce travail. Les textes d'invocations et de prières en peul ou malinké, ou encore faits d'un mélange de ces deux langues et comportant des mots arabes, ont été traduits par S.E. A. Hampaté Ba, érudit malien qui a également apporté un certain nombre de commentaires insérés en note sous son nom.
Nous le remercions ici de sa collaboration à cette publication.
G. Dieterlen

Note editoriale. Artiste peintre établie et reconnue, Beatrice Appia fut aussi une «Première dame de la Guinée française dans les années 1930-40.
C'est en 1938, au cours de son second voyage en Afrique qu'elle fit, à Conakry la connaissance de Louis Blacher, gouverneur de Guinée sous mandat du Gouvernement français. Elle se mariera avec lui en octobre. Formée par un ethnologue, elle fait connaissance avec les us, coutumes et travaux de diverses populations indigènes rencontrées au cours de ses périples. Elle rapportera ainsi plus d'une centaine de précieux dessins d'enfants écoliers de tous âges ainsi que des peintures et des photographies de personnages et de manifestations de fêtes qu'elle fera don plus tard au musée de l'Homme à Paris.
En juin 1939, déjà enceinte, elle revient avec son mari à Paris. Dès les premiers jours d'août, la guerre, voulue par l'Allemagne, éclate en Europe. Le 8 août, Béatrice accouche à Paris d'un petit garçon prénommé Yves puis Eugène en souvenir de feu son premier mari. En septembre elle retourne en Afrique avec son bébé rejoindre son mari en poste à Conakry. Elle fait plusieurs campagnes de peinture en Guinée française.
Source Wikipedia. — T.S. Bah


Cet article présente les résultats de huit enquêtes effectuées en Guinée dans les montagnes du Fouta-Djallon en 1938.

Les informations ont été recueillies auprès de divers forgerons :

Notre interprète fut M. Balde Sheikou, alors instituteur à Dalaba. Nous remercions M. Mouret qui nous a secondé pour la rédaction de ce texte.

Les incantations des forgerons sont composées le plus souvent en deux langues mêlées, peul et malinké. Il s'y glisse des mots « magiques » nommés tyeji en peul. Ces paroles ont beaucoup de valeur pour ceux qui les prononcent car elles constituent un langage conventionnel entre eux et les puissances surnaturelles qu'elles contraignent à ne pas demeurer inactives à leur requête. Sans ces termes magiques, les génies pourraient faire la sourde oreille en n'entendant pas le mot de passe qu'ils sont censés avoir enseigné à l'ancêtre de celui qui le formule. Les incantations ont un sens double, ou multiple, fait d'allusions créant un lien particulier entre le requérant et les images qu'elles évoquent. Chercher à en donner une explication ou une traduction trop précises demanderait de procéder à de longues et difficiles enquêtes qui n'ont pas encore été réalisées et dépassent le cadre de cet article.
Les prières sont généralement plus simples : l'influence de l'Islam empiète et évince peu à peu les restes des croyances traditionnelles.
Chaque jour davantage les incantations elles-mêmes débutent par des prières musulmanes pour se terminer par des textes ésotériques. L'ensemble des prières ci-dessous ont été recueillies au cours de huit enquêtes principales — chaque forgeron n'ayant consenti à donner qu'un nombre restreint de l'ensemble des prières que lui avaient léguées son maître et ses ancêtres. Ceci par crainte de dévoiler les « secrets n de son métier », ce qui serait dangereux pour sa personne, pour l'exécution des rites, la réussite du travail, et contraire à son serment d'initié. Les variantes existant d'un artisan à l'autre témoignent d'une protection particulière à chacun d'eux, car chacun a son propre « secret ».

La caste des forgerons

Un peu partout, en Guinée, le travail latéritique met la roche ferrugineuse à nu. Depuis des temps immémoriaux, elle est exploitée par les habitants. Ceux qui se sont spécialisés dans le travail du fer forment une caste. Ils ne connaissent leur origine que par des légendes : ignorants de leur point de départ, ils affirment cependant n'être pas autochtones et se reconnaissent dépositaires d'une tradition sacrée. Dans leurs prières généalogiques, ils évoquent les généalogies des artisans illustres qui remontent jusqu'à Annabi Dauda (David) et son « père » Anabi Syita.
On raconte que Kali Pullo 1 vint au Fouta accompagné des disciples du roi David : les Dyawogo (ou Dya Ogols). Ceux-ci auraient initié les forgerons du pays en leur révélant une partie de leurs secrets. « Si les Dyawogo, disent les informateurs, avaient tout révélé, les artisans du Fouta seraient aussi habiles que les Européens. » Voilà pourquoi presque tous les récits s'accordent pour faire remonter l'origine de la caste à David, à qui Dieu révéla le fer et qui est reconnu de tous comme « patron » 2. Mais, lorsqu'il s'agit d'expliquer l'origine du travail du métal, les légendes présentent de nombreuses variantes. Il y a superposition de croyances : l'islamisme est venu se greffer sur la religion traditionnelle et cette dernière a tendance à s'estomper devant le culte des musulmans, plus vivant actuellement.
On rapporte par exemple que l'archange Gabriel révéla le fer à Adam quand il fut chassé du paradis terrestre, en lui remettant le soufflet, l'enclume et le marteau, objets qui n'ont pu être inventés par l'homme. Ces outils sont dessinés au ciel par des étoiles. L'ange, accompagné d'un « esprit de l'Enfer » au nom inconnu, forgea devant Adam pour lui donner sa première leçon. Muni d'outils et de fer, Adam fabriqua ensuite une houe en leur présence. L'esprit s'était chargé d'apporter aussi le feu. Gabriel apprit encore au premier homme à extraire le minerai, en lui ordonnant de faire chauffer la pierre. En outre, avant de l'abandonner à lui-même, on lui enseigna comment fabriquer un mortier à piler ainsi que la poterie qui sert à cuire les aliments. Une fois seul, Adam n'aboutit à rien. A la troisième tentative, il lui fut suggéré de demander l'aide des dyinna, génies chargés par Dieu de la surveillance des métaux. Dieu fournit lui-même le matériel nécessaire aux offrandes de ce premier sacrifice. On suppose que les incantations actuelles tirent leur origine de cette première cérémonie. Grâce au pacte conclu, les génies viennent indiquer l'emplacement du minerai et font affleurer à la surface du sol les pierres ferrugineuses.
Selon d'autres versions on rapporte qu'Annabi Dauda pouvait prendre le fer rouge avec ses mains. Parmi ses enfants, il eut un bâtard, qui fut ainsi reconnu car il ne put saisir le fer rouge. Cet apprenti suppléa à son infirmité par l'invention d'un outil, fait en imitant les pinces de la crevette d'eau douce, disent les uns, du crabe, disent les autres. Une variante de cette légende relate que les forgerons, jadis capables de tenir un fer rouge entre leurs mains, perdirent cette faculté le jour où Dieu, pour punir un artisan malhonnête, leur retira le privilège de l'insensibilité.

Organisation religieuse et sociale

Les castes de forgerons portent le nom de wayluɓe, un forgeron étant toujours appelé bayillo Untel. Cette caste est nettement hiérarchisée. Dans toutes les cérémonies, prières et sacrifices sont effectués par un forgeron chef dont la fonction est héréditaire. Cependant celui-ci devra céder le pas devant un artisan plus âgé s'il est réputé et se contenter de l'assister. Certains forgerons n'appartiennent pas à la caste, ils sont d'origine captive, ayant fait leur apprentissage réglementaire chez un maître forgeron. Mais, s'ils en sont capables, ils sont autorisés à seconder les artisans de castes dans les cérémonies 3.
Plusieurs sortes d'artisans appartiennent à la caste des forgerons : bijoutiers, menuisiers, potiers et potières, teinturières. Les forgerons ne considèrent pas les griots comme des égaux. Ils craignent en particulier ceux qui fabriquent des gargoulettes ou qui font des travaux moins dignes, car ils leur prêtent la capacité de faire sortir des fourmis au lieu de fer des hauts-fourneaux en activité, simplement en passant à proximité. Il arrive que des forgerons quittent leur pays et se mettent au service d'autrui comme ouvriers, mais cela est exceptionnel.
Presque toujours, les forgerons et leurs femmes sont aussi circonciseurs ou exciseuses. Actuellement, beaucoup de forgerons n'exercent leur métier qu'en saison sèche; ils sont devenus cultivateurs et consacrent une partie de leur temps à remplir leurs propres greniers. Leur cimetière est situé à l'ouest du cimetière musulman (les vents soufflent presque toujours de l'est).
Le mode de paiement des artisans varie avec les saisons. L'échange était autrefois courant. Mais, dans les centres et dans les villages, cette coutume a cédé le pas devant la vente des objets fabriqués ou le paiement en monnaie du travail effectué.
Les forgerons invoquent dans leurs prières le « prophète David », Annabi Dauda, qu'ils considèrent comme leur initiateur. Convertis à l'islamisme, ils s'adressent également à Allah et à son Prophète.
Mais, traditionnellement, ils sont en rapports étroits avec un certain nombre de génies (dyinna), maîtres de la brousse, des arbres, des eaux et des rochers, qu'ils invoquent aux différentes étapes de leur travail. Les ancêtres sont entrés en rapport avec eux, en tant que propriétaires et surveillants des gisements de fer, pour obtenir l'autorisation d'utiliser les pierres ferrugineuses. Ces tractations légendaires sont désormais obligatoires et se renouvellent chaque année. Les conventions de ce culte varient d'un forgeron à l'autre ainsi que les incantations, secrets dont chaque artisan se trouve être le dépositaire. Ces personnalités mythiques sont très nombreuses. Il est curieux de voir à quel point leur nom varie 4. Dans une même région, l'interrogatoire de tisserands, potiers, travailleurs du bois, forgerons, chasseurs, a fourni autant de noms différents. Chacun considère que l'ancêtre a pu obtenir, comme une grâce particulière, un nom propre de génie qui l'associera davantage à son protecteur; ces noms, gardés secrets, ne sont pas livrés par le forgeron à ses confrères. Nous donnons ci-dessous une liste de ces dyinna classés par nos informateurs en catégories :

Génies du fer

  1. Dyinna Lolo
  2. Dyinna Sanmalolo
  3. Dyinna Sofon
  4. Dyinna Wondi
  5. Tambassa (génie subalterne)
  6. Doufayou
  7. Boukari
  8. Kembura Kassa
  9. Souragatawii
  10. Souragatawii
  11. Finagarawii
  12. Dougufarawii
  13. Biri Didyi
  14. Ya Didyou
  15. Goulou do Bolo
  16. Adama do Bolo
  17. Giba do Bolo
  18. Koumba do Bolo
  19. Bola Maokan
  20. Bola Dimbong Makan
  21. Kula Tege 5
  22. Koi Mafa Fulai Tege
    (ces deux derniers sont « patrons » des forges)
Dyinna des points cardinaux
Ndouhou Sebourau (est)
Ndouko Sebourou (ouest)
Ndou Hyimbilin (nord)
Ndoulo Hyimbilin (sud)
Dyinna Lolo
Etoile filante (malinké), est l'objet d'un culte le vendredi, avec offrande de tyobbal 6. Un grand sacrifice annuel lui est offert au début de la saison sèche, lors du commencement des travaux d'extraction du minerai, sous un grand arbre voisin de la mine où sont censés habiter les génies. Le contenu du sacrifice, effectué par le plus âgé des forgerons, un jeudi ou un dimanche matin, est un mouton ou une chèvre blanche 7. La terre arrosée du sang des victimes sera transportée dans le creuset du haut-fourneau dont elle tapissera les parois. C'est l'intervention de Lolo qui facilite la séparation du fer de sa gangue 8.
Dyinna Sanmalolo
Fils du précédent génie, il dirige l'air sur la masse en fusion, l'aération du haut-fourneau se faisant par des tuyères.
Dyinna Sofon
épouse de Lolo et mère duprécédent. Il est invoquée pour écarter les dangers que présente le découpage du fer en fusion. On lui offre un poulet blanc qu'on laisse errer dans la brousse.
Dyinna Wondi
Frère de la précédente. Son rôle positif est nul, mais il faut l'empêcher de nuire.
Doufayou
Il est le premier qui ait creusé un gisement de fer ; il fait remonter les pierres ferrugineuses à la surface du sol.
Boukari
Il protège les outils du forgeron d'un contact étranger ou d'un maléfice.
Kemboura Kassa
Il est le chef des génies du minerai.
Sourakatawii et Sourakattuwii
(2e enquête) ; Génies de Boundoukoura, ils sont des chefs du fer de force égale. Le premier, compagnon de Mahomet, est l'ancêtre des griots (dyeli). Les prières qui leur sont adressées écartent les maléfices qu'on impute à leur puissance : mort subite, paralysie, syncope, à proximité du fer, effondrement du trou de la mine.
Finagarawii et Dougoutarawii
(Signification: « Terre qui se fend »), ce sont les captifs des précédents et non pas moins redoutables, étant considérés comme de la famille de Ningiri 9. Sacrifices et prières leur sont adressés aux portes des cavernes et au pied des grands arbres. Ils interviennent contre les méfaits des concurrents, dans les différends entre les forgerons de caste et avec les hommes libres. L'offrande qui leur est destinée consiste en un poulet noir (qu'ils laisseront errer dans la brousse en cas de refus). Les incantations sont aussi récitées par les éleveurs de Ningiri
Boirri Dîdyou, Ya Didyou, Didyou Ladyalou
Ce sont des nains (ngottere, peul) serviteurs des précédents. Ils vivent en groupe mais peuvent protéger séparément ceux qui les invoquent.
Goulou Do Bolo, Adama Do Bolo, Koumba Do Bolo
Ce sont des naines : do bo signifie amoindrir (malinké). Si les génies et leurs nains restent peu visibles, les naines se montrent dans les cavernes soir et matin auprès d'un feu ou dans d'autres solitudes. Leur rôle se borne à surveiller le « bétail » des génies, à traire leurs vaches. Ces naines utilisent le ɓirdugal (jarre à traire), le burgal (baratte à agiter le lait caillé), le lalorgal (jarre à lait caillé), instruments qui excitent la convoitise des forgerons : en possession de ces ustensiles magiques, ils verraient leurs troupeaux prospérer. Mais les naines sont vigoureuses et capables de terrasser les hommes qni tenteraient de s'emparer des objets qu'elles détiennent 10.
Bola Makan, Bola Dimbong Makan
Ce sont des enfants de Sourakata Wii. Ce sont, ainsi que Dyinnadyi Kaƴe, des génies des pierres et Kemboure Kassa [kembu = charbon (malinké), kese = allumé (malinké)] est leur chef. Il a révélé aux ancêtres les secrets du fer. Son aspect est étrange : une peau très rouge, des dents serrées, mal rangées, qui lui sortent de la bouche, des doigts gros et courts, des pieds déformés, dont on voit la plante. Les offrandes consistent en tyobbal, colas et poulets blancs.

Génie des arbres (Dyinnaadyi Leɗɗe)

Ils donneront le charbon de bois. Le plus âgé des forgerons, au moment de lever sa hache pour abattre le premier arbre destiné au charbonnage, s'adresse au génie de cet arbre et récite une incantation sommaire 11. Cette prière est insuffisante sans le sacrifice préalable d'un bouc noir égorgé au pied d'un teli dans un coin retiré de la forêt. Le coeur et le foie de l'animal sont enfouis en récitant une autre prière 12.

Génies des vents (Dyinnaadyi Hendu)

Ils viennent souffler dans les tuyères. On se les conciliera par un sacrifice de tyobbal et de viande de bouc. Les génies des quatre points cardinaux sont censés commander aux génies du vent.

Génies des montagnes (Dyinnaadyi Pelle)

Ils favorisent les nuages chargés de bons vents frais activant la combustion des hauts fourneaux. Si les sacrifices qui leur sont offerts sont jugés insuffisants, ils provoqueront des accidents au travail.

Génies des cours d'eau (Dynnaadyi Tyanɗi)

Ils habitent les sources dont l'eau est utilisée par les forgerons pour pétrir l'argile des hauts fourneaux. Elle est versée sur les pierres ferrugineuses surchauffées pour les faire éclater. Comme elle sert en toutes circonstances, le forgeron en remplit une poterie pleine d'herbes médicinales et magiques. L'embout de terre cuite des soufflets est pétri avec la même eau. Les génies des cours d'eau ont une certaine puissance : quiconque « n'est pas propre » 13, soit devant une source pure, soit devant une mosquée, devient fou.

Génies des mosquées (Dyinnadyi Dyoulirde)

Ils ont un pouvoir de protection, mais ne participent pas aux travaux des forgerons. On voit ici la pénétration du culte musulman dans les croyances anciennes.
En résumé, l'artisan noir redoute tout acte de transformation car il entre en lutte avec les forces de la nature : les dyinnadyi. Cette intervention humaine demande une soumission absolue aux conventions créées par les ancêtres. Donc chaque famille de génies est l'objet d'un culte particulier qui apparaît à travers les actes des forgerons. Ce n'est que lorsque le fer a été fondu que les dyinnadyi s'en désintéressent, car, à partir de ce moment, le fer appartient aux hommes. Cependant, même si le fer a été acheté, il ne faut pas oublier les génies. De nombreux exemples sont donnés par les informateurs pour illustrer les malheurs qui surviennent par suite d'oubli du culte des génies. Toutes les maladies dont les forgerons sont atteints proviennent de leur vengeance. Aussi, pour les soigner ou les éviter, est-il recommandé de faire fréquemment des ablutions de nasi 14.
Les forgerons sont aussi en rapport avec certains animaux qui interviennent à divers titres dans l'exercice de leur métier. Ce sont la crevette d'eau douce et le crapaud : « observe mes pattes et leur mouvement » ; la crevette d'eau douce et le crabe furent dépêchés par Dieu sur la terre pour qu'en observation de ce conseil leurs pinces servissent de modèle aux forgerons.
Un certain nombre de croyances unissent le forgeron à la crevette d'eau douce. Elle est objet d'interdits : tout forgeron ne doit ni en manger, ni même en voir, sinon il perdrait la mémoire de son travail et ses outils se briseraient. Cet animal et le crabe sont aussi les interdits des tisserands.
Une autre tradition, assez répandue, veut que le travail du fer ait été enseigné par le crapaud (totiiru : peul) (Bufo regularis). Les premiers forgerons étaient en train de verser dans un haut fourneau le minerai qu'ils venaient d'extraire, quand ils entendirent du cours d'eau voisin un crapaud leur crier : a bora = enduis-le de boue (boko = boue). Le crapaud apprit aux forgerons l'usage de la boue, en particulier la boue de termitière « métallique », à vertu magique et habitée par le Ningiri. Quand le « fer sent le grain », qu'il devient cassant, on le trempe dans l'eau, puis dans la boue avant de le faire rougir à nouveau et de le marteler. Trois ou quatre répétitions de l'opération sont nécessaires pour qu'il devienne souple et pur. La boue sert aussi au moment de la soudure. Le crapaud est respecté par l'artisan qui ne doit en aucun cas le tuer. Les forgerons l'appellent « mon oncle » 15. Il symbolise l'immortalité, car, au lieu de pourrir, un crapaud mort se dessèche. Enfin on ne dit pas qu'il respire, on dit qu'il prie.
Voici un petit texte constituant un dialogue entre le crapaud et l'artisan au moment où il soude le fer (malinké) :

1. N'kuri n'kuri Makan 1. Sauve-moi, sauve-moi Makan
2. Kindam Makan 2. Protège-moi Makan
3. N'kuri n'kuri n'kuri Makan 3. Sauve-moi (3 fois) Makan
4. Diansaa-ta Makaan 16 4. Makan que l'on implore
5. Digi Makan 5. Makan de l'espoir.

Apprentissage d'un forgeron

La durée de l'apprentissage varie selon les régions; elle égale ou dépasse toujours deux années. L'élève habite chez son maître, participe à tous les travaux familiaux. Autrefois à l'âge d'homme, l'apprenti quittait son maître, se mariait, s'installait ; à l'heure actuelle on se libère plus vite de la tutelle des anciens. Cependant les apprentis restent souvent les compagnons de leur maître et lui succèdent si ce dernier n'a pas d'héritier. Par reconnaissance, ils dépassent la limite fixée pour l'enseignement, pour obtenir les secrets et les textes sacrés. Un apprenti peut être non casté, si ses parents payent les droits d'apprentissage 17, le forgeron pourra le considérer comme son fils, lui transmettre ses secrets et même sa forge. Cette succession n'obéit pas à des règles fixes, elle dépend des circonstances. L'apprentissage commence par le maniement du soufflet et l'entretien du feu, puis l'élève s'entraîne à frapper sur l'enclume, se met à forger. Assis en face de son maître, il imite avec soin ses mouvements. Il commence par exécuter des bagues, aiguilles, alènes, houes, petits couteaux,serpettes, que le maître fait refondre s'il n'est pas satisfait. Aucun enseignement méthodique: la routine est le facteur essentiel de cet apprentissage. Le soir, lorsque l'élève masse son patron, celui-ci décidera s'il doit lui révéler ses secrets (ce qui n'est pas obligatoire). Mais l'apprenti fait ce qu'il peut pour apprendre ce côté important de son métier, il usera d'amabilité, de cadeaux, et fera preuve de la plus grande patience.

Emancipation

La prise de possession des ses propres outils et d'une nouvelle forge marque en général pour le jeune forgeron le début réel de son métier. Après l'apprentissage, le maître forge lui-même les instruments de son élève : c'est ce qui leur confère un caractère sacré. Le jeune artisan les utilisera tant qu'ils seront aptes à fournir un travail de précision.
L'émancipation du forgeron donne lieu à une cérémonie et à des rites dont nous donnons ci-dessous le déroulement :

  1. Arrivée du maître et de l'élève dans le village du jeune homme.
    La famille a préparé un certain nombre de mets, des offrandes et tout le matériel nécessaire pour construire la forge en une seule journée.
  2. Visite de l'emplacement de la forge par le maitre. Une jeune fille vierge va chercher en silence l'eau du « baptême » et la verse dans un mortier en bois. Ce travail est contrôlé; en récompense on offre à la jeune fille une bague ou un bijou. Le maître immerge les outils neufs dans le récipient. Il commence par l'enclume, suivie de tous les outils et récite une prière (peul + malinké).
1. Bissimilahi 1. Au nom d'Allah
2. Mi disni Allah 2. J'en appelle à Allah
3. Mi disni karamoko 3. J'en appelle à mon maître
4. N'dyugu ni mina 4. Attrape l'âme de mon ennemi
5. N'dyugu teri mina 5. Attrape l'ami de l'ennemi
6. Su nyama 6. Mauvaises forces du cadavre
7. Su koto nyama 7. Mauvaises forces du vieux cadavre
8. San nyama 8. Forces vengeresses de l'espace
9. San kolo nyama 9. Forces vengeresses du ciel
10. Dugu nyama 10. Forces vengeresses du village
11. Dugu kolo nyama 11. forces vengeresses de la terre.

On dépose ensuite le mortier à l'endroit où le maître forgeron s'installe pour passer la nuit.

  1. L'apprenti étant plus connu au village de son maître que dans celui où il va s'établir, est présenté par le vieux forgeron à sa propre famille et aux anciens du village.
  2. Le lendemain, la cérémonie débute par un sacrifice. Au centre de la future forge on égorge un mouton, qui servira de repas aux gens du village ayant participé à la construction de la forge 18
  3. Tracé de la forge.
  4. Construction de la forge.
  5. Mise en place des outils, retirés du mortier. Seuls les vieux forgerons prennent part à ces opérations. Au plus vieux revient l'honneur de s'occuper de l'enclume mise la première en place. On commence par creuser le trou du foyer et on apporte l'embout des soufflets; le feu est allumé. On installe une pièce de bois de teli destinée à servir de support à l'enclume. On tait sur ce tronc d'arbre une offrande de 7 graines de chaque produit de la région ayant pour but d'attirer l'abondance. On perfore le support au moyen d'une barre de fer rougie. Il ne faut pas frapper sur l'endume non placée. « Le feu doit être uni au fer, « le fer ne se travaille pas sans le feu », dit l'informateur. Tous ces rites s'effectuent sans bruit et sans parler.
  6. Sacrifice sur l'ènclume. Le maître sacrifie un coq rouge et fait une offrande de tyobbal et de noix de cola.

Il récite alors une prière (peul) :

1. Mi disni Allah 1. Je préviens Allah
2. Disni funnaange 2. Je préviens le levant
3. Mi disni Allah 3. Je préviens Allah
4. Disni hirnaange 4. Je préviens le couchant
5. Mo adoraali inde Allah 5. Celui qui n'a pas débuté par le nom de Dieu
6. O sakkitoray inde Allah 6. Et n'a pas terminé par le nom de Dieu
7. M'baylaadyi Annabi Dauda 7. Les forges du prophète David
8. Ko ɗi dyenay 8. Sont neuf
9. Ko ka aaga woni sappo 9. La mienne est la dixième
10. Koreedyi Annabi Dauda ɗin 10. Les membres de la famille du prophète David
11. Ko ɗi dyenay 11. Sont neuf
12. Ko nde an nden woni sappo 12. La mienne porte le nombre à dix
13. Biwɗi Annabi Dauda ɗin 13. Les soufflets du prophète David
14. Ko ɗi dyenay 14. Sont neuf
15. Ko nde an nden woni sappo 15. Les miens sont les dixièmes
16. Kullaadye Annabi Dauda 16. Les marteaux du prophète David
17. Ko ɗi dyenay 17. Sont neuf
18. Ko nde an nden woni sappo 18. Les miens sont les dixièmes
19. Ga'i baali makko ɗin ko dyenay 19. Les taureaux de ses moutons (béliers) sont neuf
20. Ko nde an nden woni sappo 20. Le taureau de mes moutons est le dixième
21. Rewɓe horɓe Annabi Dauda 21. Les femmes servantes du prophète David
22. Ko dyeenay 22. Sont neuf
23. Ko mo an on woni sappo 23. La mienne porte le nombre à dix
24. ɓiɓɓe ko dyenay mo an on woni sappo. 24. Les enfants du prophète David sont neuf, le mien est le dixième.

Puis il prend son couteau, égorge l'animal. La tête du coq est mêlée aux graines déjà déposées sur l'enclume. L'apprenti s'assied sur l'enclume recouverte du sang sacrificiel. Tous les assistants se retirent et le baptême du jeune artisan commence, avec l'eau contenue dans le mortier. A partir de ce moment l'apprenti devient un forgeron. Le« lavage » terminé, l'assistance revient et le dialogue suivant s'engage :

  1. Le maître : — T'es-tu lavé sur l'enclume ?
    — L'élève : Oui.
    — Le maître : Que t'avais-je dit ?
    — L'élève : Tu m'as défendu de commettre l'adultère (sous-entendu avec une femme libre, [c'est-à-dire n'appartenant pas à la caste des forgerons]) 19 .
    — Le maître : Respecte ta mère et ton père. Ce qui ronge la houe c'est la terre, car le feu vient de la terre. Ce qui donne longevité à la hache, c'est que son fer n'abat que des arbres.
  2. Par trois fois l'apprenti prête serment sur l'enclume. Il promet de suivre l'enseignement de son maître. Puis il fabrique devant toute l'assistance un outil quelconque. Ce qui importe c'est que le bruit de la forge retentisse sous l'action de mains nouvellement consacrées 20.
  3. On verse de l'eau dans les soufflets de façon à ce qu'elle se déverse dans une calebasse contenant du riz et des noix de colas. On répète trois fois cette opération. Le riz est pétri en boulettes de tyobbal. Les assistants étendent la main au-dessus des boulettes et, prenant l'enclume comme guide et témoin, ils font part à Dieu de désirs: enfants mâles, guérisons, bref, tout ce qui est souhaitable au point de vue de la morale religieuse.

La technique

L'intervention artisanale européenne n'a en rien modifié la technique des forgerons foula. Elle leur a retiré la réalisation de certains travaux, l'artisan noir n'ayant pas pu remplacer les objets d'importation par des inventions correspondantes. Les forgerons fournissent en général la matière première, excepté dans les agglomérations où se trouve du fer européen, et lorsqu'ils ont plus de travail que de fer brut. Quand ils ont du travail toute l'année, ils abandonnent la culture et peuvent acheter le nécessaire avec leur gain.

La mine

Les anciens emplacements connus des vieux forgerons sont exploités jusqu'à épuisement. Avant de quitter une mine on essaie de l'approfondir ou de sonder les alentours. Un certain nombre de légendes s'attachent à ces emplacements. Tant que la mine n'est pas en exploitation, personne n'a rien à craindre des dyinnadyi du lieu. Mais dès que les travaux recommencent, les génies se réveillent et les gens du village évitent, par crainte des dangers, ces lieux d'extraction. Seuls les forgerons et leurs aides s'y rendent et peuvent laisser sur place leurs outils sans que personne n'y touche. Mais avant de travailler, les artisans castés doivent demander leur autorisation aux ginnadyi par des prières et des sacrifices. Ils récitent l'incantation suivante en égorgeant un mouton blanc ou une chèvre (malinké + peul) :

1. Koï kula yi te ge 1. Koï ! l'enclume t'a coupé
2. Koï ma fa kula yi tege 2. Koï ! l'enclume qui tue l'homme t'a coupé
3. Dyam kibaru 3. Nouvelles de paix
4. Dyam kibaru dyemma 4. Bonne nouvelle de la bonne nuit.

Puis, au moment de donner le premier coup de pioche, ils invoquent Doufayou, le génie qui, le premier, avait creusé une mine (malinké) :

1. Kere te n'dologa bena 21 1. Ce n'est pas par ce côté que n'dologa passera sans difficulté
2. Kèrè te n'dologa bèna 2. Ce n'est pas par ce côté que n'dologa passera sans difficulté
3. N'dologa bèna 3. N'dologa passe sans difficulté
4. Suukutu yeleta n'dologa bèna 4. La jeune fille est montée, n'dologa passe sans difficulté
5. Kamaren yeleta n'dologa bèna 5. Les jeunes gens sont montés, n'dologa passe sans difficulté
6. Kamaren yeleta n'dologa bèna 6. Les jeunes gens sont montés, n'dologa passe sans difficulté
7. Bana ba 7. Grande maladie
8. Diara yo bana ba n'dologa bèna 8. Ô force du lion, j'ai grand faim, n'dologa passe sans difficulté.

Quand il s'agit de déterminer un nouvel emplacement à exploiter, le chef forgeron, après s'être lavé la figure avec une décoction de feuilles de safaho, balinyama et yelgotel, opération qui l'aidera à trouver un nouveau gisement riche en fer, examine le terrain.
C'est par la couleur des pierres que l'on découvre un gisement : ces couleurs varient du jaune soufre au rouge et au noir. Si la pierre est bleue, sa teneur en fer est forte, une roche rouge est moins riche en métal. La pierre ferrugineuse est lourde ; on trouve parfois des blocs de plusieurs tonnes. Autour de la mine, la végétation est particulière : l'abondance des espèces suivantes : teli, kura, netehi, bani, dodyorma, kali, est révélatrice. Il faut consulter les véritables propriétaires du fer, les génies et leur demander leur protection. Une première incantation est adressée à Sourakatawii (en peul) :

1. Dyinna poore kooduudu, worin mi, mi wori ngi 1. Génie poore kooduudu portugais 22, que celui-ci le manque, que je le manque
2. Dyinna fammere, worin mi, mi wori ngi 2. Génie de la caverne, que celui-ci me manque, que je le manque
3. Dyinna lenge, worin mi, mi wori ngi 3. Génie du lenge, que celui-ci me manque, que je le manque
4. Dyinna n'gaika, worin mi, mi wori ngi 4. Génie du trou, que celui-ci me manque, que je le manque
5. Dyinna kourahi, worin mi, mi wori ngi 5. Génie du kurahi 23, que celui-ci me manque, que je le manque
6. Fon kati, fonjon kati 6. Fon kati fonfon kati (incantation intraduisible)
7. Ko haadyu mo hollitu maa mi 7. C'est l'affaire que je t'ai confiée
8. On ko ɗun diisi maa mi 8. C'est celle que je t'ai soumise
9. Yo Surakata 9. C'est Sourakata
10. A ɗa andi leydi muyba 10. Tu connais la terre que je désire
11. Ndiyam buta 11. Donne-moi une pleine poterie de satisfaction
12. Fintori dyaggira 12. Que le serpent aille par bonds
13. Huhu faa faga 13. Que Huhu me tue
14. Dan te kan faga 14. Si la bouche peut tuer la voix
15. Haray no ko a bati gan fagala. 15. Tu n'as pas cessé de te réunir en conseil pour me tuer.

Une autre incantation est adressée à Finagarawii, au serpent Ningiri et aux génies captifs (peul + malinké) :

1. Titati titati 1. Titati titati
2. Allah ma foola 2. Que Dieu fasse qu'il ne réussisse pas
3. Titati titati 3. Titati titati
4. Allah man nden dandula 4. Que Dieu protège mon fils
5. A nya te nden na 5. Il ne voit pas mon fils
6. Fuyee le mu 6. C'est un aveugle
7. A kö mani na mata yala 7. Il dit que l'homoncule 24 est paralysé
8. A ka ilabila, fuyè bita 8. Il t'a délivré
9. Dillere gaɗa wuro 9. Un grand bruit derrière le village
10. Dillere gaanin wuro 10. Un grand bruit en deçà du village
11. heɗɗere ndee rende 11. Nuit profonde de la profondeur de la haute brousse
12. Ko yi'i ɗum mayɗo na yaara hoore 12. Seul celui qui aura vu un cadavre marcher sur la tête
13. Wanaa fii ko waɗan mi koo 13. Aura vu ce que je suis en train de faire
14. Seɗu mbatu 14. Vanne l'assemblée
15. Sendu dyon mbatu 15. Reconnais le chef de l'assemblée
16. Liɓiri dyamaa 16. Pourquoi il a raison de la foule
17. Liɓiriti dyamaa 17. Pourquoi il a terrassé à nouveau la foule
18. Hombo woni kongol hunduko ɓernde 18. Qui est parmi ceux-ci le verbe qu'articule la bouche du coeur
19. On dyamaa ko min 19. Cette assemblée c'est moi
20. Demuuru 20. Chimpanzé
21. Da muru 21. Détourne la bouche
22. Da bara muru 22. Détourne la bouche
23. Fee solimuke 23. Rien n'existe dedans
24. Saa, saa ba 24. Ciel, grand ciel
25. Solimuke 25. Rien n'existe dedans
26. Dyata ma'ade neɗɗo 26. Est-ce le lion ou est-ce un être humain?
27. Yo a sompu dyamaa 27. Que tu vainques la foule
28. Sompu dyamaa 28. Tu vaincs la foule
29. Sampu tun dyamaa 29. Vaincs encore la foule
30. Ko min maani yaadya kundugal 30. C'est moi, un tel, à la large bouche
31. Folli dyamaa haɓɓa kun 31. Qui ai triomphé de la foule et l'ai attachée
32. Haɓɓee kun. 32. Attachez-la (la foule).

Le chef accompagne parfois ses invocations d'offrandes. Il creuse un trou, dépose à l'intérieur du tyobbal au miel, des noix de cola blanches et, en plaçant le doigt dessus, récite les prières suivantes (malinké et peul) :

1. Sake, sake 1. Clamez, clamez
2. Mina muso koto sooke 2. Toi vieille biche, clame
3. Sooke sooke 3. Clame, clame
4. Mina bema kota sooke 4. Toi, vieux mâle, clame
5. I si koloo tugu tille to 5. Toi tu piles en plein jour
6. Faga tille to 6. Tue en plein jour
7. I si koloo tugu su to 7. Et toi tu pileras en pleine nuit
8. Minan fa su to 8. Tue la biche la nuit !
9. Bala makan 9. Balamakan
10. Bala simbo makan 10. Balamakan Sîmbo 25
11. Na amana bala makan 11. Balamakan s'il n'est pas venu
12. Na ku wullo 12. Le bovidé pleurera
13. na bè nye lotama 13. Emportez (le) et lavez
14. m'baden donso ko 14. fils de chasseur ma mère a dit
15. Allah ni karamako 15. Que c'est grâce à Dieu et à son maître
16. Ndu useyluru 16. Ce (vent) s'appelle useyluru (nom du vent d'est)
17. Ndu utolluru 17. Ce (vent) s'appelle vent d'ouest
18. Ndu hyinbilim 18. Ce (vent) s'appelle vent du nord
19. Ndu lohimbilim 19. Ce (vent) s'appelle vent du sud
20. Yahu mi yaade 20. Vite j'ai marchée
21. Fottu mi e korgi ɓeyngii 21. J'ai rencontré une grosse servante ayant un enfant
22. Fundulô fuyô 22. Tourbillon aveugle
23. Yingi yanga 23. Marche qui balance et fatigue
24. Dyinna fammere yangalin 24. Les génies des cavernes ne m'ont pas lassé
25. Yingi yanga 25. Marche qui balance et fatigue
26. Dyinna weendu yangalin 26. Les génies des mares ne m'ont pas lassé
27. Yingi yanga 27. Marche qui balance et fatigue
28. Dyinna wondiire yangalin 28. Les génies des buissons ne m'ont pas lassé
29. Yingi yanga 29. Marche qui balance et fatigue
30. Dyinna tintiire yangalin 30. Les génies des tertres ne m'ont pas lassé
31. Mi torike ma an kadi 31. Je t'ai demandé à toi aussi
32. Surakata, wata yangan. 32. Sourakata, ne me lasse pas (c'est-à-dire : que je ne t'invoque pas en vain) 26
1. Mi disni Allah 1. Je préviens Allah
2. Mi disni hirnange Allah 2. Je préviens le couchant d'Allah
3. Ko adii ko Allah 3. Ce qui a précédé c'est Allah
4. Ko sakkiti ko Allah 4. Ce qui termine c'est Allah
5. Mi torike Allah 5. J'invoque Allah
6. Min fattike Allah 6. Nous attendons la protection d'Allah
7. Barke Allah, barke Annabi Dauda 7. Grâce à Allah, grâce au prophète David
8. Kaaƴe gen 8. Les pierres blanches
9. Funange no hirnange 9. A l'est comme à l'ouest
10. Kakkee, hakkee 10. Les fautes, les torts
11. Yaya tyaayangii 11. Yaya 27 à chevelure ébouriffée
12. Faggo toddi 12. Qui s'approvisionne dans
13. Ko woni yeso am 13. Ce qui est devant moi
14. Ko bunɗun bunɗo 14. c'est le bâton de l'aveugle 28 (sous-entendu : qui le repousse)
15. Ko woni ɓaawo 'am 15. que ce qui est (que le mal) derrière moi
16. ko ndangu ɗum 16. soit entravé.

Puis il crache sur le saraka (sacrifice). Ailleurs la cérémonie s'accompagne d'un poulet qu'on égorge et qu'on grille sur place et mange en communion. On va jusqu'à sacrifier parfois un bouc.

1. Bissimilahi 1. Au nom d'Allah
2. Rahaman Rahim, yo Allah reenam 2. Clément et Miséricordieux, qu'Allah me protège
3. Ga leydi e ngayka mun 3. Ici la terre et son excavation
4. E nano e nyaamo 4. A droite et à gauche
5. E ɓaawo e yeeso 5. Derrière et devant
6. Yo addu ƴiiƴam 6. Apporte ce sang-ci
7. Saraka ƴiiƴam 7. Ce sang propitiatoire
8. Teewu ngu saraka teewu am 8. Cette chair est mon (offre) de chair propitiatoire
9. Ƴiee ɗe ƴie am 9. Ces os sont les os de mon (offre) propitiatoire
10. Leeɓi ɗi saraka leeɓi am 10. Ces poils sont les poils de mon (offre) propitiatoire
11. Gite ɗe saraka gite am. 11. ces yeux sont les yeux de mon (offre) propitiatoire

Le sacrifice est offert en général à l'est de l'endroit où l'on creusera la mine, direction des vents dominants. Comme pour chaque offrande, on revient le lendemain voir si le sacrifice a été agréé par les génies : dans ce cas les pierres déterrées la veille ne sont plus visibles et le poulet a disparu.

Extraction du minerai — Technique de l'extraction

Selon des traditions anciennes, les forgerons d'un ou de plusieurs villages se groupent sous la direction d'un chef avant d'entreprendre les travaux. Son autorité est essentiellement religieuse. Seuls les artisans castés ont le droit de participer à l'extraction (en général). Ils se réunissent en saison sèche (un jeudi, ailleurs un vendredi ou un lundi), à l'heure où le soleil se couche (dite futuro), heure préférée des génies. La mine est exploitée à ciel ouvert, mais il arrive que la roche soit extraite au fond d'un couloir; dans ce cas, l'orifice de la mine est assez large pour qu'on puisse en apercevoir l'extrémité. Quand les roches ferrugineuses sont trop volumineuses et qu'elles affleurent, on les chauffe fortement avec un feu de bois de sindya 29, puis on verse de l'eau qui les fait éclater. Les morceaux sont attaqués au pic. Le minerai est transporté à proximité du haut fourneau soit par les forgerons, soit par les jeunes gens circoncis, les femmes et les enfants étant exclus de la mine. Tous ces travaux sont répétés plusieurs fois au cours de la saison sèche.
Le premier coup de pioche donne lieu à une cérémonie, présidée par le chef des travaux. Ce rite a lieu généralement un vendredi matin. On sacrifie un bouc que l'on mangera après cuisson, sans rien en laisser. On consomme en outre des arachides, du pain de riz. Le plus vieux forgeron tue un coq rouge. Tous les soirs on dépose sur le minerai des feuilles de sindya pour en confier la surveillance aux génies. Partout, avec des variantes, les offrandes sont accompagnées d'un sacrifice sanglant, acte qui a une valeur exemplaire. On égorge parfois les animaux au-dessus du trou de la mine; la peau de la victime est enfouie dans la terre, on nettoie les récipients avant de revenir au village et les artisans se lavent et font des ablutions avec de l'eau d'une poterie sacrée dont le liquide sera constamment utilisé au cours des travaux de la mine et du haut fourneau 30. Les prières et incantations prononcées ont pour but de prévenir les génies des intentions des forgerons qui formuleront le désir de ne plus les déranger après la fin de leurs travaux. Ces incantations obligent notamment le Génie qui le premier a creusé une mine de fer à « pousser » les pierres des profondeurs vers la surface (tel celui nommé Doufayou).

1. Bissimilahi, mi disni Allah, mi disni karamoko
1. Dyinna buele
1. Au nom d'Allah, je préviens Allah, je préviens mon maître
1. Génie tenace
2. Dyinna buele, buele 2. Génie tenace, tenace
3. « Dyinna salam aleikum » 3. « Génie la paix soit sur vous »
4. Dyinna la muso 4. Génie femelle
5. Salam aleikum 5. La paix soit sur vous
6. Dyinna maasa tökö kama 6. A cause du nom du chef des génies
7. A tökö giberi 7. Dont le nom est Guibéri
8. A ka (ou la) muso tökö kama 8. A cause du nom de sa femme
9. A teke dyinna Manaremba 9. dont le nom est Dyinna Manaremba
10. N'donta dyinna, ne boora dyinna 10. Génie je suis entré, Génie je suis sorti
11. Dyinna muso ma ye 11. Le Génie femelle ne m'a pas vu (ou n'a pas été vu).
12. Dyinna ke ma ye 12. Le Génie mâle
13. Boli bidon 13. ?
14. Sumare koota fara 14. ?
15. Muso kotondin kononto 15. Neuf petites vieilles femmes
16. Woluw ka futa 16. Se sont réunies
17. Dyinna kemoko kononto 17. Neuf vieux génies
18. Woluw ka dyanfa min na siti 18. Le complot que ceux-ci ont ourdi
19. Tagata Allah boi famela 19. Sont partis pour aller à la caverne d'Allah
20. Dyonsi wula yèlè 20. Qui peut les faire remonter ?
21. Awa ! ande ma nin si wula yèlè 21. Eh, aucune de nous ne peut les faire remonter
22. Ndelu numu so bali 31 le 22. Même nous, forgerons, à qui rien ne résiste 32

Le premier coup de pioche donne lieu à une cérémonie présidée par le chef des . travaux. Ce rite a lieu généralement un vendredi matin. On sacrifie un bouc que l'on mangera après cuisson, sans rien en laisser. On consomme en outre des arachides, du pain de riz. Le plus vieux forgeron tue un coq rouge. Tous les soirs, on dépose sur le minerai des feuilles de sindya 33 pour en confier la surveillance aux génies. Partout, avec des variantes, les offrandes sont accompagnées d'un sacrifice sanglant, acte qui a une valeur exemplaire. On égorge parfois les animaux au-dessus du trou de la mine ; la peau de la victime est enfouie dans la terre, on nettoie les récipients avant de revenir au village et les artisans se lavent et font des ablutions avec l'eau d'une poterie sacrée dont le liquide sera constamment utilisé au cours des travaux de la mine et du haut fourneau 34. Les prières et incantations prononcées ont pour but de prévenir les dyinna des intentions des forgerons qui formuleront le désir de ne plus les déranger après la fin de leurs travaux. Ces incantations obligent le génie qui le premier a creusé une mine de fer à « pousser » les pierres des profondeurs vers la surface (tel celui nommé Doufayou). Après la cérémonie, les forgerons retournent au village : l'extraction commencera le jour suivant 35. Les risques d'éboulement sont grands car la mine n'est jamais étayée. S'il se produit un accident mortel, le mort sera enterré sur le lieu de l'accident et la mine sera abandonnée jusqu'à l'année suivante.

Le charbonnage

Ce sont les jeunes gens qui sont chargés de fabriquer le charbon nécessaire aux travaux de la fusion du minerai et de la forge, travail qu'ils effectuent avant l'extraction des roches ferrugineuses. On utilise des bois de teli, tielè, sindià, n'dologa, soro et tyimme. L'abattage n'est pas sans risques, car il faut craindre le nyama de l'arbre. C'est pourquoi on recherche de préférence des arbres morts ou à demi rongés par les termites. On évite les arbres de très grande taille qui sont censés servir d'habitat aux génies «propriétaires du fer», sous lesquels on dépose les offrandes qui leur sont destinées.
Avant l'abattage, des prières sont adressées à ces génies :

a) (malinké)  
1. Dyigi sa fo 1. L'espoir a dit
2. Nyama sa fo 2. Le nyama a dit
3. Nyama lakati sa fo 3. L'antidote du nyama a dit
4. Dundu nyama 4. Nyama du bosquet
5. Waraï wombe koto 5. Tue ceux qui sont dedans
6. Tegenda ba kisi à 6. Grand gui protège-moi
7. Kahi ba ki si à 7. Grand caïlcédrat protège-moi
8. Barun ba saba tema 8. Entre les trois fourches du grand barum 36
9. Fammere dina fattu 9. Le trou de la caverne
10. Malo kè ge ma 10. Honte à l'homme blanc
11. Mimbe nyato oluw fuyeya 11. Aveugle ceux qui sont devant moi
12. Mimbe n'koma oluw namattaya 12. Ceux qui sont derrière moi paralyse-les 37
b) (peul)  
1. Bissimilahi 1. Au nom d'Allah,
2. Mi disni Allah, mi disni Allah 2. Je préviens Allah, je préviens Allah
3. Mi disni dya naange 3. Je salue celui qui coupe le soleil 38
4. Dyaliso na ga danki 4. Dyaliso est sous le hangar 39
5. Dyaliso na ga huɓɓinirde 5. Dyaliso est auprès du foyer
6. Dyaliso na ga ɓorngol 6. Dyaliso est au seuil
7. Dyaliso na ga unirde 7. Dyaliso est au lieu où l'on pile le grain
8. Dyaliso na ga saare banana 8.Dyaliso est au village de la bananeraie
9. Dyaliso na ga tyimmehi 9. Dyaliso est au tyimme 40
10. Dyaliso na ga dyulirde 10. Dyaliso est au lieu de la prière
11. Dyaliso na ga seere dungeere 11.Dyaliso est à côté de la ruche
12. Nangi mi « Kotop » 12.« Kotop » m'a saisi
13. Mi liɓi gorof, gorof, gorof, gorof, gorof, gorof, gorof Je l'ai fait tomber, tomber, tomber, tomber, tomber, tomber …

Après l'abattage, les rondins sont disposés en tas de plusieurs mètres de long auxquels on met le feu. Ce qui reste est utilisé par les forgerons comme combustible. Le travail se fait en chantant.

a) (malinké)  
1. Dulum yo 1. Que le tourbillon 41 fasse tomber
2. Tati bi borilila 2. Le tali en train de se sauver
3. Dulum ba 3. Le grand tourbillon
4. Tati bi tige tun 4. Le tali va être coupé encore
5. Kaƴe lumba 5. Et les pierres traversent
6. Tali bi tige tun 6. Le tati va être coupé encore.
b) (peul) :  
1. Dyindiandyo teli dyindandye 1. Faisons le tour du teli, fàisons le tour
2. A laala yaa, teli laa la yaa 2. Il est couché là, le teli est couché là
3. Teli wa'i ko buudi teli laa la ya 3. Le teli est semblable au papaye, le teli est couché là
4. Mi yaata dyoni, teli laa la yaa 4. Je ne pars pas maintenant, le teli est couché là
5. Sulu bee numu teli laa la yaa 5. (Ô vous) tous les hauts fourneaux des forgerons, le teli est couché ici,
6. A laala yà teli laa la yaa 6. Il est couché ici, le teli est couché ici.

Le Haut fourneau

Description

La construction du haut fourneau (sulu) dépend de deux facteurs principaux, la présence d'un cours d'eau, si petit soit-il, et la proximité du minerai. Il est installé autant que possible sur un terrain sablonneux, en un endroit bien aéré, très écarté du village. Il est bâti en superposant à la main des mottes de matière argileuse : composition de terre de termitière non abandonnée des termites 42, et de paille de fonio et argile supporte les fortes températures sans se fendiller. Les enfants pétrissent ces mottes au moment de construire ou de réparer le haut fourneau. Six pieds le soutiennent qui seront bouchés avec de l'argile (fig. 1).

Schemau haut fourneau
Haut-fourneau du Fouta-Djallon : élevation,
coupe, plan

Des tuyères, malaka (peul), kala (malinké) fabriquées de la même matière argileuse servent à son aération; leur longueur est de 60 à 70 cm et leur diamètre de 10 à 12 cm. Leur nombre varie selon les régions : tantôt, on n'en trouve que 5 ou 7, tantôt elles atteignent les chiffres de 15 à 30. Elles sont groupées dans la direction des vents principaux, en général vers l'Est. Leur construction nécessite la préparation d'un mélange visqueux d 'eau et de liane de laka écrasée 43. Un manche de houe sert de moule, que l'on recouvre de matière argileuse. Grâce à la viscosité de la liane, on dégage facilement le manche de son enveloppe; celle-ci prend l'aspect d'un gros tuyau de terre molle, que l'on fera sécher au soleil.

Organisation

Toute l'activité des hauts fourneaux d'une même localité, voire d'un canton, est placée sous la présidence d'un chef unique réputé le plus habile et chanceux, le plus âgé enfin. Parrain et porte-bonheur de tous les hauts fourneaux, il évite tous les accidents ; il porte le nom de mawɗo sulu « maître du sulu ». Chaque chef de hameau peut avoir son haut fourneau particulier si sa famille est assez nombreuse. Sinon, les forgerons se groupent et travaillent en commun à la mine et au haut fourneau. A chaque fournée, le fer fondu est distribué en parts égales. En certains endroits, au contraire, chaque chef de famille travaille à son tour et procède à son sacrifice personnel.

Relèvement d'un haut fourneau

On construit très rarement de nouveaux hauts fourneaux. Certains peuvent exister depuis plusieurs siècles. Chaque année on se contente de les relever; mais les cérémonies qui se déroulent à cette occasion sont aussi importantes que celles que nécessite leur construction. L'offrande que l'on va déposer au pied des hauts fourneaux se compose d'une poignée de riz, de fonio en paille, d'arachide en coque, de graines de coton, de tubercules, d'une liane de laka et de graines de tagalle 44. Chacune de ces plantes possède une propriété symbolique bien définie. La liane de laka nouée en couronne à la porte de la sortie du fer, communique au métal sa flexibilité. Les graines de tagalle constituent le tana (interdit des mauvais esprits) ; dispersées aux pieds des hauts fourneaux, ces graines entravent l'action des génies malfaisants, qui voudraient empêcher les pierres de fondre. Les autres graines représentent la nourriture que le forgeron devra gagner. Les graines de coton symbolisent les vêtements que les artisans espèrent se procurer grâce à leur labeur.
Ces offrandes sont déposées dans un trou à la base de chacun des pieds du haut fourneau, après une prière récitée par l'officiant. Des cérémonies moins importantes se dérouleront plusieurs fois au cours de la saison sèche au moment de réparer le haut fourneau éventré pour laisser passer le métal en fusion : on se contente alors de prières et de menus sacrifices.

Tracé du haut fourneau

Si cependant pour des raisons importantes on abandonne l'emplacement d'anciens hauts fourneaux, le choix d'un nouvel emplacement se fera avec le plus grand soin. Le tracé est l'occasion d'une cérémonie spéciale. Tenant dans sa main droite une houe ou une pioche, lorsque le sol est dur, un vieil artisan effectue ce tracé. La manière de délimiter le haut fourneau varie légèremnt selon les régions, mais, toujours on le fait face à l'Est. Se tenant en dehors des limites, le vieillard marche dans le sens inverse des aiguilles d'une montre ; c'est la direction suivie par les esprits qui distribuent les bonnes et mauvaises fortunes 45. Parfois un piquet est enfoncé au centre avec une corde qui fixera le rayon du tracé comme un compas. Tout en marchant, l'officiant prononce l'une ou l'autre de ces prières (en peul).

a)  
1. Bissimilahi, mi nangiri ɗo sunna Annabi Dauda 1. Au nom d'Allah, je tiens (cela) en vertu de la chaîne (traditionnelle) du prophète David
2. Ko ɗu'um mi tawri Annabi Dauda 2. C'est sur ce chemin (de la forge) que j'ai trouvé le prophète David
3. Ko 'on tafayno ga koppi 3. C'est lui qui forgeait sur ses genoux
4. Si himo fada ndyandi 4. Lorsqu'il façonnait le fer
5. Min kadi mi faday ndyandi 5. Moi aussi, je forgerai le fer.
b)  
1. Nurul ruyub (arabe) 1. Lumière cachée (force cachée)
2. Mi yettino Allah 2. Je loue Allah
3. Nafsul ibaadi (arabe) 3. Ame des adorateurs
4. Mi yettino Allah 4. Je loue Allah
5. Mi disike Annabi Sita 46 Je demande l'intervention de Sita 46
6. Ba Annabi Dauda 6. Père du prophète David.

Quand l'officiant a terminé son parcours, il saute au-dessus du sillon en tournant le dos à la direction des esprits. Cette opération achevée on offre aux génies un poulet blanc, des noix de cola blanches et du tyobbal. On laisse le poulet errer dans les parages; on donne le surplus des noix et du tyobbal aux enfants qui plus tard, participeront aux travaux de maçonnerie. Puis vient le sacrifice proprement dit. Un poulet rouge est égorgé dans le trou pratiqué au centre du haut fourneau par le piquer du tracé. Dans ce trou il y a déjà des crottes de chacal dont l'odeur, dit-on, favorise la combustion et aide à la séparation du fer et de sa gangue. Cette offrande, destinée à la fois à satisfaire le génie et à chasser ceux d'entre eux qui pourraient nuire, est précédée d'une prière (peul) :

1. Mi disni Allah disi funiinge 1. J'en appelle à Allah, je demande l'intervention de l'est
2. mi disni Allah disi hirntinge 2. J'en appelle à Allah, je demande l'intervention de l'ouest
3. Ko adi ko Allah 3. précédé
4. Ko sakkitii ko Allah 4. Ce qui sera à la fin c'est Allah
5. Mo adoraali inde Allah 5. Celui qui n'a pas commencé par le nom d'Allah
6. Sakkitoray inde Allah 6. Celui qui n'a pas terminé par le nom d'Allah
7. Hunde fu sina Allah ko fenaande 7. Tout sauf Allah est mensonge (éphémère)
8. Binkya, binkya kutu 8. Binkya, Binkya nain
9. Margya margya kutu 9. Margya, Margya nain
10. Kullifo wallifo 10. Kullifo, Wallifo
11. Si dyinnaadyi no ga didu mi ɗo 11. Si des génies (malfaisants) sont là où j 'ai tracé
12. Ko ɗi fu 12. De tous ces génies-là
13. Ko min bayillo dyargal ya 13. c'est moi forgeron qui suis le grand vainqueur
14. Si ɗi huɓɓiri ɗo wa'i no yiite 14. S'ils brûlent comme du feu enterré (feu central de la terre)
15. Mi ƴaway wa ƴiiwoonde 15. Je deviens impétueux comme une tornade
16. Mi disinora Allah e Annabidyo 16. je demande l'aide d'Allah et de son Prophète
17. Mi foyaɗi kep 7. Je les réduis tous totalement.

Chacun des gestes du vieux forgeron est accompagné d'une invocation ; il doit de plus s'être lavé d'une eau lustrale provenant d'une poterie confectionnée spécialement pour cette cérémonie.
L'eau sacrée est aussi obligatoire au forgeron que le charbon et le minerai, pour le fonctionnement du haut fourneau. Un certain nombre de plantes sont mises à macérer dans cette poterie, sur lesquelles on a récité des incantations afin de renforcer leur action bienfaisante et magique (peul et bambara) :

1. Dén mbete, dén mbete 1. Bon fils, bon fils
2. Yaaɓe gollooɓe 2. Parti travailler
3. Yaaɓe dyolooɓe 3. Qui traverse le lit du cours d'eau
4. Lula lisi lasa 1 4. Enclume tisi lasa 47
5. Saa Musa, saa Musa 5. Le serpent de Moïse, le serpent de Moïse 48
6. Ene simbere 6. Moi, la cisaille
7. Ene simbere 7. Moi, la cisaille
8. Ko hombo woni simbere? 8. Qui est la cisaille ?
9. Ko min woni 9. C'est moi qui suis
10. Nègè si nègè tègè 10. (Cette) espèce de fer coupant le fer.
11. Ko min woni n'dyandi 11. Je suis le fer
12. Taƴoori n'dyandi 12. Qui coupe le fer
13. Mo sappi nde ɓeyngure am 13. Celui qui montre du doigt ma descendance
14. Fow yiite bayillo sappo mo 14. Celui-là le feu de la forge le montrera du doigt
15. Tintire nodda mo 15. Le tertre l'appellera
16. Keyri e teeni nootoo mo 16. La nouvelle (terre) et l'ancienne (terre) lui répondront
17. Mbotyolo ɗowta mo 17. Le m'botyolo l'accompagnera 49
18. Pide nonoƴƴaa mo 18. Les traverses de la tombe le compresseront
19. Waaloo poma abada 19. Il se couchera complètement à jamais.

La prière tout entière constitue un témoignage solennel de la force sacrée des forgerons, capables de pousser dans la tombe quiconque s'attaque à leurs lignages et à leurs oeuvres.
Les plantes dont les feuilles ont été choisies à cet effet sont les suivantes : teli, bosse, dunduke, tieve, ketti, dyanduma, auxquelles on ajoute des racines de dukumme ; un tortillon de laka posé sur la poterie. L'eau qui se nomme nassi (terme général), sert aux ablutions des officiants et des forgerons. On en verse sur les mains et on ablutionne le visage et les bras. On en asperge dans certaines régions le minerai. Une fois le haut fourneau relevé ou construit l'officiant se lave. Si le fer a bien fondu sans accident, tout le monde fera des ablutions pour se purifier avec cette eau, très prisée par les habitants des villages 50. A la fin de la saison d'exploitation du fer, l'eau est renversée sur le sol et la poterie est cassée à un carrefour par le chef mawɗo sulu. Les carrefours sont réputés dangereux, car c'est le passage des génies autant que le lieu de rendez-vous des sorciers. La présence des débris de la poterie en éloignera les effluves malfaisantes 51.

Allumage du haut fourneau

Ils sont tous allumés en même temps, un mardi de préférence, le 7 ou le 9 du mois lunaire ; le minerai fournira alors son maximum de fer. Seuls participeront aux travaux ceux qui sont purs; les hommes, les enfants en bas âge et quelquefois les jeunes filles vierges. Si au début des travaux, dans certaines régions on tolère les forgeronnes, elles sont écartées par la suite.

Forgeron devant un haut-fourneau
Forgeron devant un haut-fourneau

L'allumage débute par un sacrifice aux génies : 7 tyobbal [sing., tyobbe, plur. — T.S. Bah] posés sur 7 feuilles de dukume et recouvertes de 7 autres mêmes feuilles. Parfois on choisit un parrain ou une marraine : la jeune épouse d'un forgeron dont la fidélité est à peu près certaine et qui lui portera bonheur. On dit même qu'elle en allumera le feu ; un enfant peut également effectuer ce geste. Pour éviter d'extraire trop de minerai à la fois on remplit le haut fourneau avant l'allumage par couches alternées de charbon et de pierres dans la proportion de deux paniers de charbon pour un panier de minerai. On utilise une échelle. On place ensuite de la paille dans le foyer, bambou, bois sec. Du village on apporte des braises et au moment de bouter le feu on prononce une invocation (peul) :

1. Bissimilahi, sulu am on wata 1. Au nom d'Allah, que mon haut fourneau devienne
2. Allah ɗannin 2. Ce que Dieu a protégé
3. So naange hino ronka ƴeltude 3. Si le soleil ne peut pas se lever
4. Sulu' am' on' hino ronka huɓɓude 4. Mon haut fourneau ne pourra pas s'allumer.

Dans certains endroits on hisse sur une perche une bande de coton blanc nouée de 3 noeuds annonçant la présence de hauts fourneaux en activité. Dès que le feu est pris, un interdit (tana) pèse sur l'assemblée, il est défendu de parler, de dormir, sinon les génies viennent éteindre le feu. Lorsque la masse est allumée on bouche hermétiquement les tuyères, mais on laisse dans le bas 2 ou 3 orifices reliés à des soufflets. Quand la fusion commence et que paraît la flamme révélatrice sortant de la cheminée, l'interdit du silence est levé par la récitation d'une prière destinée à activer les soufflets du haut fourneau (malinké et peul) :

1. Faa fen Seiku Samba 1. Seiku Samba, souffleur du soufflet 52
2. Faa fen Seiku Samba 2. Seiku Samba, souffleur du soufflet,
3. Baba kalifa be donna Père Kalifa 53 est dans la danse
4. Don ni mona 4. Parce qu'il a cuit un peu
5. Surumbali kumi Kante 5. L'inversable (celui qui ne coule pas) Koumi Kanté
6. Do ni mona 6. il a cuit un peu.

La fusion peut durer 24, 36 ou même jusqu'à 72 heures. Si les hauts fourneaux pour une raison quelconque ne fonctionnent pas ou mal, on immole un coq noir au pied des hauts fourneaux pour les génies des pierres. Les forgerons n'abandonnent leur travail que pour manger. Ils prient, dansent tout autour du haut fourneau en chantant des mélopées (malinké) :

1. Wulu be donna 1. Mille entrent
2. Keme bi böta 2. Cent sortent
3. Nafulu boton 54 fa 3. Un grand grenier de la fortume
4. Nafulu ba dyan 4. Richesse longue de la longueur d'un fleuve
5. N'di bohori ba dyan 5. ? … long fleuve
6. Nafulu ba dyan 6. Richesse longue de la longueur d'un fleuve
7. N'di bohori ba dyan 7. ? … long fleuve
8. Sulu bi boola 8. Le haut fourneau fait sortir
9. Nègè bi boola 9. Le fer sort
10. Nègè bi nya ta 10. Le fer devient bon.

On admet à ces danses terminales, dans certaines régions, les femmes et enfants wayluɓe, mais on les éloigne s'ils sont seulement de père ou de mère bayillo.

Percement du haut fourneau

Peu à peu le haut fourneau devient incandescent. Par l'aspect des flammes qui sortent de l'orifice, les forgerons jugeront du moment venu pour faire une ouverture au-dessus de la tranchée d'écoulement appelée ta mene saba « 3 feux flambants ». Après que l'interdiction de parler soit levée autour du haut fourneau, l'assistance chante (malinké et peul) :

1. Surumbali kumi 1. Souroumbali de Koumi
2. Ini samba simbe la 2. Tu m'apportes de la force
3. Ini samba sone la 3. Tu m'apportes le tisonnier
4. Dyabi no saare 4. Dyabi est au village
5. Wo nya nyale lo ko lolo 5. Vos yeux sont beaux comme des étoiles
6. Ba tema lolo 6. Comme l'étoile du milieu de fleuve
7. I nya nyali ko lolo 7. Tes yeux sont beaux comme des étoiles.

Le haut fourneau fait, de nuit, un effet saisissant; le chant compare les tuyères à des étoiles. Souroumbali (bouche du haut fourneau) de Koumi était un célèbre forgeron du Fouta. Ce travail de force est confié à de jeunes forgerons. Armés d'une longue barre de fer, sorte de tisonnier entouré de feuilles de certaines plantes ayant macéré dans la poterie. ils attaquent la partie du haut fourneau devant laquelle est creusée la « couchette du feu ». On invoque en même temps la protection de Dyinna Sofon ou de tout autre. Le fer sort rouge ; pendant qu'il s'écoule on sacrifie ici ou là, un poulet au-dessus du métal liquide. Deux forgerons se saisissent du fer avec des pinces tandis qu'un troisième artisan le débite en lingots avec une hache, et qu'une invocation est récitée (malinké) :

1. Bissimilay 1. Au nom d'Allah
2. Al huyud kanku, m'bi kilila 2. ?
3. Huyud kanku yo ko bissimilay 3. ?
4. Taga ni sagi 4. Aller et venir
5. Sila lon balia 5. C'est ignorer la route.
Haut fourneau
Haut fourneau

La Forge

Le plus souvent la forge n'est abritée que par une simple toiture reposant sur des pieux, descendant assez bas pour qu'il soit nécessaire de se baisser pour y entrer. Ce toit de charpente est recouvert de feuilles de gobi qui prennent feu difficilement. Aucune cheminée n'est percée, pas plus que pour les autres habitations. L'emplacement du forgeron est déterminé par la direction générale des vents régionaux, il ne faut pas que la flamme soit poussée par les vents sur l'ouvrier au travail. On adopte dans ces conditions une orientation nord-est ou sud-est.

Tracé de la forge

Une forge n'est tracée et élevée que pour l'installation d'un jeune forgeron après ses années d'apprentissage. C'est pourquoi la cérémonie du tracé est précédée de l'émancipation du jeune artisan 55. Le tracé commence par le sacrifice d'un mouton, d'une chèvre ou à la rigueur d'un poulet. Le vieux maître étend l'animal, puis l'immole. Les premières gouttes de sang marqueront le centre de la forge, l'emplacement de l'enclume. On dépouille l'animal que l'on offre au maître, la peau est abandonnée à l'apprenti qui s'en servira pour s'asseoir. Le sacrifice achevé, le vieux forgeron procède au tracé proprement dit. Les ossements de la bête sacrifiée et mangée seront dispersés sur le sol dans les limites du tracé. Voici une prière que prononce le maître (en peul) :

1. Bissimilahi 1. Au nom d'Allah
2. Miɗo diidande o karandendyo' an 2. Je suis en train de tracer pour mon apprenti
3. Yo heɓu balɗe ɗe mi keɓi ɗen 3. Qu'il ait la longévité que nous avons eue
4. Yo Allah hennyu bayla ka e makko 4. Qu'Allah le suffise (le fasse contenir) dans cette forge-ci

Une fois la case construite, c'est encore le maître qui plantera l'enclume sur son socle en bois de teli.

Construction et installation de la forge

Tous les villageois participent à l'installation de la forge qui doit être construite en un seul jour. Des aliments sont pris en commun après la construction de la forge et du toit. Puis on répand à l'intérieur de la forge un mélange de maïs, riz, fonio, mil afin d'appeler la prospérité de l'extérieur. On y ajoute même des pièces d'argent pour attirer celles des clients. Personne n'ose toucher à ces monnaies ni à rien de ce qui se trouve dans la forge de peur d'attirer le malheur sur lui. Le même jour on offre aux enfants du village un plat « de charité » composé de poulet et d'une bouillie faite avec quatre variétés de céréales.

Installation des outils

Lorsque ces rites sont achevés on procède à l'installation des outils.
L'enclume est enfoncée dans un gros morceau de bois non équarri. Le forgeron récite alors une prière :

1. Allah humma salli 1. Cette prière est adressée à Dieu
2. Allah Mouhammadin wo sallim 2. Par l'intermédiaire du prophète Mahomet
3. Wasahabihi wassallama tasliman 3. Ainsi que les suivants du prophète Mahomet qui assurent leur protection aux fidèles de la religion musulmane
4. Ya Mouhammadu 4. Toi, Mahomet, Prophète
5. Ya dyul gada 5. Toi qui nous conduis
6. Ya salli 6. Double ton chemin;
7. Ya Mohammad 7. Toi Mahomet
8. Ya Dauda 8. Toi David.

Après ces mots le forgeron saisit l'enclume de la main droite, puis il frappe pour fixer l'outil sur son socle. Cette prière attire sur la forge la protection du patron des forgerons Foula musulmans.

L'outillage

Outils servant à l'extraction du minerai. Il y en a deux principaux :une barre à mine ou pic sombere, et une herminette à pointe. On trouve encore des pics aplatis à une extrémité et des tiges de fer trempé so'udu, soliru, des haches : tyombedye. La fabrication de ces outils demande du soin et une technique spéciale : on creuse dans la forge un trou profond où l'on dépose des lingots de fer. On recouvre ceux-ci de poudre de charbon pilé. On active vigoureusement le feu avec les soufflets jusqu'à fusion totale. Avec une tige de fer trempé on agite le tout, on laisse refroidir lentement. Quand le fer devient rouge on le met dans du sel marin, puis on le trempe dans l'eau : il durcit et devient capable d'attaquer les roches ferrugineuses. La fabrication des outils est encore l'occasion d'un certain nombre de rites religieux. En groupe les forgerons travaillent en chantant et en dansant.

Outils de la forge

Le forgeron Foula travaille assis sur une pierre, sur une peau de chèvre ou tout simplement accroupi devant son enclume. Sa caisse d'outils est placée à sa droite et, à sa gauche, se trouve le foyer, vers le centre de la forge. Le forgeron travaille comme il a vu faire son maître: mêmes gestes, mêmes procédés. Chaque soir l'artisan met tous ses outils dans sa caisse fermée au cadenas, qu'il emporte chez lui. Seuls les soufflets et l'enclume restent dans la forge. On laisse encore, traînant sur le sol, les vieux marteaux dont on a retiré le manche; outils qui ont appartenu au maître ou au père de l'artisan et qui demeurent là pour porter bonheur et protéger la forge. Personne ne les touchera car une crainte, un interdit plane sur eux. Cela rend pauvre de toucher à l'enclume et en général, on n'ose toucher à aucun outil d'un artisan quel qu'il soit. De même on ne s'assied jamais à la place du forgeron pour éviter d'attirer le malheur sur soi.
Un texte chanté par les apprentis forgerons constitue une invocation à Boukari, petit génie invisible qui protège les outils qui jonchent le sol de la forge et qui éloigne d'elle tout maléfice (peul et malinké) :

1. Bukari yo walla kalya ma 1. Que Boukari aide à faire tomber cette petite chose
2. Bukari yo walla se so'a 2. Que Boukari aide à chasser la biche
3. A na ta natali kuntà ma 3. Il est venu sans tête
4. A na ta na ulu kombe la 4. Il est venu rencontrer mon chien
5. Mo soppi ko teli mamare 5. Il a abattu le teli de la grandmère
6. Mo atyi ko teli mamare 6. S'il a laissé le teli
7. Bukari yo walla kalya ma 7. Que Boukari aide à faire tomber cette petite chose
8. Yaya samu Yaya, Yaya samu Yaya 8. Yaya Samou Yaya, Yaya Samou Yaya.
9. Tali yo walla kalya ma 9. Que le tali aide à faire tomber cette petite chose
10. Tali yo walla kalya ma 10. Que le tali aide à faire tomber cette petite chose
11. Yaya samu 11. Yaya Samou.

L'enclume (koradye) est l'outil le plus important du forgeron. Elle est sa propriété personnelle et nul ne s'en sert à moins de travailler avec le maître. L'apprenti forgera sur une enclume d'occasion: lingot de fer, bloc de pierre, etc. L'enclume est en fer. En région forestière, elle peut être en pierre noire et dure, un aérolithe. Sa forme est très variable. Elle est enfoncée dans un bloc de bois à demi enterré dans le sol. Elle est considérée comme la mère de tous les outils. On jure sur l'enclume et tout serment faux se retourne contre le coupable et peut entraîner sa mort. On l'interroge même en cas de vol, on lui offre des noix cola rouges et blanches en disant : « Si ce qu'on me vole m'appartient en propre, que Dieu arrête le coupable. » L'artisan frappe alors trois fois l'enclume avec son marteau sur lequel on a préalablement craché ; les noix de cola sont ouvertes et partagées entre les assistants. On peut encore demander la protection de l'enclume pour la réalisation d'un voeu: avoir un enfant mâle pat exemple (prière pour la fabrication d'une enclume). C'est sur son marteau (fullaadye) que le forgeron récite tous les matins la prière coranique suivame : « Au nom d'Allah, je commence parle nom de David Syita et son père Annabi et je commence mon travail. » Il crache ensuite sur son enclume, en frappe l'enclume et se met au travail.
Les soufflets (biwɗi) se composent de deux peaux de bouc cousues, que l'apprenti gonfle et dégonfle alternativement de la main gauche et de la main droite. L'air est envoyé dans un tuyau de fer ou de terre qui aboutit au foyer.
Les forgerons fabriquent les outils les plus divers utilisés par les agriculteurs, les chasseurs, les pêcheurs et les artisans, etc., ainsi que des objets rituels; ils fabriquent également leurs propres outils, et parmi ceux-ci qui servent à l'extraction du minerai et sont utilisés en brousse et non pas dans la forge. Une cérémonie collective a lieu pour la fabrication de ces outils particuliers au cours de laquelle la prière suivante est récitée (malinké et peul) :

1. Yaya Samba Yaya Sambo Yaya 1. Yaya fils de Sambo, Yaya fils de Sambo fils de Yaya
2. Numu kamaren lu 2. Vous jeunes hommes forgerons
3. Wunu walli numu kamaren lu 3. Vous et la fatigue jeunes hommes forgerons
4. Tali yo wulu kombè 4. Le tali est allé au devant du chien
5. Tali walla wulu kombè 5. Ohé ! le tali est allé au devant du chien
6. Tali dundun ba kabannku 6. Le grand tambour du tali chose surprenante
7. Tati fi tali ge afo kabannku 7. Tali noir tali blanc dit chose étrange
8. Numu fi numu gè tali bè 8. Ce forgeron noir ce forgeron blanc c'est le tali
9. Tati bala wule kaa nani ku 9. Toi tati porc-épic (ou âne jaune) chien tu m'as injurié
10. Nde tugu sinta nyogô bi 10. moi aussi je te rendrai la pareille aujourd'hui
11. Suluko wulu kamaren ba 11. Ô toi le grand jeune homme chien du haut fourneau
12. Surumbali ho kamaren ba 12. Ô Souroumbali grand jeune homme
13. Mbade walla kalya 13. Ohé ! fils de ma mère hâtez-vous.

Notes
1. Les Koliaɓe forment une sorte de classe guerrière descendant de Koli Pullo, l'un des chefs conquérants du Sénégal et du Fouta. La trace de son pied et celle du premier boeuf qui l'accompagnait se voient souvent, les indigènes se vantant de pouvoir les montrer.
2. Coran : chapitre 34, versets 10 à 13 inclus.
3. L'origine serve des forgerons est pour beaucoup dans le mépris professé par certains hommes libres à l'égard de ceux qui travaillent de leurs mains. On leur reproche de ne pas savoir réfléchir, de ne connaître que le travail manuel, de fabriquer des armes sans participer eux-mêmes aux combats. Dans ce monde, ils n'ont pas peur du feu, dans l'autre, ils seront voués à celui de l'enfer. On les accuse d'avoir commerce avec les esprits des forêts, d'exercer leur pouvoir pour retarder la chute des pluies ou commander à la foudre (croyance soussou).
En contrepartie, ils donnent aux travailleurs les outils dont ceux-ci ont besoin. « Avant de construire une mosquée, il a fallu une forge », disent les gens du Fouta.
4. Des croyances générales s'imposent, s'étendant au-delà des frontières de la Guinée, comme celle de Ningiri, gardien des troupeaux des dyinna, qui tourmente les enfants, et porte divers noms ailleurs qu'au Fouta.
5. tege : ventre (peul), appellation affectueuse.
6. tyobbal (peul), boulettes de riz cru pilé et pétri avec du miel, préparation rituelle de sacrifice. L'assistance en consommera en commun.
7. Tout artisan jeune, désireux de se libérer de l'intermédiaire des anciens n'aurait aucune chance de recevoir l'aide d'aucun de ces génies, même en offrant un sacrifice. Le lendemain, il retrouverait son offrande à la même place, ce qui est le signe du refus.
8. Ces offrandes et sacrifices n'ont lieu que pendant la période de la fonte du fer. Voir infra p. 345.
9. Le Ningiri (au Foutah, Nikinanka en Basse-Guinée et Casamance, Niniganné sur la côte) est un serpent mythique qui est en relation avec l'arc-en-ciel, l'eau des sources, le cours du Niger et les filons aurifères. Il est censé se nourrir de fer, mais pouvoir transformer ce dernier en or. Il serait né d'un oeuf de python situé au centre de la ponte, oeuf recherché par les initiés, qui doit apporter la richesse à ceux qui , par cet intermédiaire, lui rendent un culte. Un masque baga représente ce serpent. Cf. B. Appia, “Masques de Guinée française et de Casamance”, Journal de la Société des Africanistes, 1943, t . XIII, p. 161. Cf. également A. Hampaté Bâ et G. Dieterlen, Koumen, Texte initiatique des pasteurs peul, Cahiers de l'Homme, 1961, p. 26-27, Mouton, Paris, La Haye.
10. Tout objet arraché aux ngottere prend le nom de samberi. L'expression « posséder un samberi » est passée à l'état de proverbe et signifie qu'un éleveur a de la chance.
11. Cf. p. 26 et 28 (nos. XVII et V).
12. Cf. p. 23 (XV).
13. « Ne pas être propre » signifie pour le forgeron être souillé par l'adultère (c'est-à-dire avoir eu contact avec une femme non castée), également avoir transgressé un interdit; pour une femme, être en état de menstruation, soit en état d'impureté.
14. nasi (peul) aye (arabe) : eau pure qui a « lavé » un verset du Coran, dans laquelle on fait macérer des plantes magiques et médicinales, en murmurant des incantations, et des écorces sur lesquelles on a craché. On peut y mettre un morceau de fer. Le tout sert à la fois de boisson et d'eau d'ablution. Le verset du Coran (ou une formule magique) sera écrit par le karamoko, occultiste musulman au courant de la « magie » arabe.
15. Surnom : kaawu (peul) = oncle maternel. Au Mandé, l'ensemble de l'outillage à l'intérieur de la forge (soufflets, tuyères, foyer, enclume), parfois entouré d'un muret, doit avoir la forme d'un crapaud. Le maître forgeron allume le feu et l'apprenti peut seulement ensuite s'y asseoir pour souffler. Seul le fils spirituel du forgeron qui héritera de ses secrets a le droit d'y pénétrer en l'absence de son maître (Commentaire A. Hampâté Bâ).
16. diansa-ta : qui prend les diansa ; donner un diansa, c'est faire un sacrifice à un génie en formulant des voeux précis : Makan qui accepte (prend) tous les diansa comble tous ceux qui l'implorent.
17. Pour dresser un apprenti, un forgeron reçoit, soit 160 mesures de céréales, baaku, soit 240, kaddagal, soit une somme d'argent équivalente. On lui offre de petits cadeaux et parfois, à la fin de l'apprentissage, un ou deux boeufs. Ces transactions ne sont pas les mêmes dans toutes les régions.
18. L'informateur a refusé d'indiquer les prières qui accompagnent ce sacrifice.
19. C'est leur interdit (tana), pour eux, une femme libre est une femme non castée, c'est-à-dire impure.
20. La question du bruit est importante. Le coq sacrifié devait avoir chanté. De même que son cri a retenti dans la localité, de même l'artisan dominera le village par le bruit de sa forge.
21. Le n'dologa, arbre dont les fruits sont comestibles, est abattu pour faire du charbon. Il sert aussi à faire éclater les roches ferrugineuses : on allume un grand feu de ce bois posé sur la roche, puis on verse dessus de l'eau qui fait éclater la pierre.
22. Il s'agit de l'arbre à caoutchouc (nsaba en malinké) nommé goin par les Portugais lorsqu'ils l'exploitent en Guinée. [Note. Cette explication me paraît erronée, la liane-arbuste kooduudu (ou poore laare) est en réalité une plante locale, aussi appréciée que la variété acidulée (poore lamma). — T.S. Bah]
23. Le bois du lenge et du kuru est utilisé pour la fabrication du charbon.
24. Sous-entendu : l'esprit subversif, malin.
25. N'importe quel noble chef du Mandé peut être appelé Simbo (Commentaire A. H. Ba).
26. Sourakata, nom du premier poète arabe anté-islamique qui, lors de sa conversion, chanta les louanges de Mahomet. Par extension, les griots déclarent descendre de Sourakata. De même les princes mandingues déclarent descendre de Bilal, affranchi d'Abbou-Bakr, premier calife converti, ami, beau-père et premier successeur de Mahomet (Commentaire A. H. Ba).
27. Nom d'un génie thaumaturge.
28. Le bâton de l'aveugle repousse l'obstacle devant lui (Commentaire A. H. Ba).
29. Les feuilles du sindya sont placées sur un cadavre pour le recouvrir dans la tombe avant de la combler de terre.
30. Voir infra, p. 343 et ss.
31. Sobali pourrait être un nom de clan qui signifie : à qui on ne peut résister.
32. Cette incantation doit agir contre les dangers du grisou; on demande aux forces puissantes de le faire descendre dans les profondeurs de la caverne d'Allah, pour que, même si les forgerons eux-mêmes voulaient le faire remonter, ils ne puissent pas y parvenir (Commentaire A. H. Ba).
33. Les feuilles du sindya sont placées sur un cadavre pour le recouvrir dans la tombe avant de la combler de terre.
34. Voir infra, p. 343.
35. On ne doit jamais commencer l'extraction du minerai un jour de la semaine correspondant au jour du grand sacrifice annuel. Si ce sacrifice a eu lieu un vendredi, on n'extraiera jamais le fer un vendredi pendant toute l'année.
36. Le barum est une plante aquatique dont les feuilles servent à faire des nattes luisantes et assez résistantes.
37. Ces paroles créent un cercle de protection autour du forgeron.
38. Celui qui entreprend un voyage au milieu de la journée.
39. Dyaliso est un nom propre féminin d'origine malinké très répandu dans la région de Pita, Labé et Télémélé, centres initiatiques du Foutah-Djallon. Ce nom serait également celui d'un « génie de case » (Commentaire A. H. Ba).
40. Le tyimme, toujours vert, favorise la lactation des vaches. On frotte la jarre à traire avec ses feuilles, à la fois pour la nettoyer et pour lui communiquer leur pouvoir, et maintenir l'abondance du lait qu'elle doit contenir.
41. Le tali est un arbre nocif. On réduit ses écorces ou ses racines en poudre, on les mélange avec du son et on dépose cette composition à l'entrée des champs. Tout animal qui mange ce son meurt immédiatement et ne peut donc pas attaquer les récoltes. On n'a le droit de « poser » le tali qu'après que le chef de village ait fait annoncer au village que tout propriétaire de menu bétail doit faire rentrer ses animaux, ceci pendant trois jours. Après quoi chacun est libre de « poser » le tali. L'animal mort empoisonné n'est pas consommable; on l'enterre. L'une des bases du poison du komo est le tali (Commentaire A. H. Ba).
42. Les termites sécrètent un liquide qui rend également cette terre impénétrable à l'eau.
43. Laka, liane noueuse très fragile, poussant dans les lieux sauvages; réduite en pâte, cette liane est très gluante, elle est utilisée comme purgatif pour les hommes et les animaux.
44. Le tagalle peul (fanda en malinké) est une variété de fève de Malabar ; il se présente comme un gros haricot rouge que seule la caste des forgerons a le droit d'utiliser pour remplacer la noix de cola. C'est cependant celle-ci qui est utilisée pour toutes ces cérémonies. L'officiant la partage avec les assistants ou la mâchonne et la crache en murmurant des prières sur les offrandes. Le tagalle remplace la noix de cola si elle fait défaut.
45. Cette direction change à chaque lunaison, les esprits ne restant jamais à la même place. Avant d'effectuer le tracé, on se rend chez les karamoko (chef d'école en malinké), terme employé au Fouta désignant tous ceux qui sont instruits dans la culture coranique et les livres magiques arabes. Ces devins connaissent l'orientation des esprits à chaque moment de l'année.
46. Fils d'Adam.
47. Expression ésotérique appliquée à l'enclume.
48. Le serpent de Moïse lutte contre les serpents des sorciers.
49. Le m'botiolo, plante dont on recouvre les tombes après l'enterrement.
50. Les gens viennent en demander « pour que leur corps devienne amer à leurs ennemis ». Ceux qui craignent les sorciers et les sortilèges en porteront un flacon sur eux.
51. Il est bien possible que la présence des croix et calvaires dans nos carrefours de France aient un but originel comparable.
52. Cette expression désigne l'apprenti qui fait marcher le soufflet.
53. Père Kalifa, le fer fondu, danse dans le récipient : on ne prononce pas son nom.
54. Le boton est un grand grenier cylindrique en terre de la Haute-Guinée, du Fouta et du Kissi.
55. Voir supra, p. 326.