Editions Ernest Leroux. Paris. 1921. 588 pages
Le groupement de Touba, fortement atteint depuis 1911, par l'arrestation de son chef Karamoko Sankoun, a été au dix-neuvième siècle la métropole des études islamiques du Fouta. Touba, à la lisière septentrionale du Fouta-Diallon, et Kankan sur le Milo, étaient les deux villes saintes de la Guinée.
Touba n'a rien de Foula. C'est une ville de création et de peuplement diakanké, et à ce titre elle serait même suspecte aux particularistes foulas. Ceux-ci ont dû pourtant s'incliner devant la réelle autorité scientifique des marabouts de Touba, et ont envoyé, du Labé et du Kadé, nombre de leurs enfants y parachever leurs études, dans tout le cours du dix-neuvième siècle.
Touba a été fondé vers 1815 par un pèlerin diakanké, Karamoko Ba (le grand marabout), plus connu sous le nom abrégé de Karam Ba, et dont le vrai nom était Al-Hadj Salimou.
Sa famille était originaire du Boundou et appartenait au clan des Gassama. La tradition écrite rapporte que son arrière-grand-père Abdallah habitait Dikissen Komé, village sis entre le Khasso et le Doundou. Abdallah et son fils Touré Fodé émigrèrent dans le Tenda et s'établirent au village de Safalou. C'est là qu'ils moururent et furent enterrés (dix-septième siècle).
La légende relate qu'Abdallah, plus connu sous le nom de Mama Sambo, fut un chef guerrier et pillard qui détruisit nombre de villages et en fonda d'autres, notamment ceux qui portèrent le nom de Oulli Soutourou. Deux de ses fils, Youssoufou et Fodé, qui avaient fait leurs études auprès du plus grand marabout du temps, Hadji Salimou Souaré, furent des lettrés de valeur. Mama Sambo était d'origine arabe (!), se rattachant à Djabir, fils d'Abdallah, de l'époque hégirienne.
Mamadou Fatouma, fils de Touré Fodé, revint dans le Boundou et y créa le village de Didé. Il y mourut (dix-huitième siècle).
Son fils, Karam Ba, y était né vers 1730. A la mort de son père, vers 1750, il abandonna son village, où restait son frère Diakha Salimou, et se rendit à Kounten, dans le Yani; il y étudia l'exégèse coranique avec Cheikh Othman Derri.
La tradition familiale est très explicite sur le cycle des études que parcourut le jeune Karam Ba. Il peut être cité en détail ici, car il éclaire d'un jour singulier la vie de I'étudiant islamique en pays noir, au dix-huitième siècle.
Après un court séjour à Didé, Karam Ba alla étudier le Précis de Khalil, à Kangourou (Khasso), auprès du Cheikh Ibrahima Diani Kandiourou Ba, les Séances de Hariri auprès de Fodé Khassane Kakou; puis il se rendit à Diounbourou et y apprit la grammaire avec Fodé Omar Touré.
A Barouna (Baghna), il étudia la théologie : le Fiqh avec Hassan le Poullo, et les cinq livres de Sanoussi avec Fodé Bakar Dibakiti. Il accompagna ce dernier qui se rendait à Dienné. C'est dans ce centre islamique que l'étudiant fit ses études supérieures. Il s'attacha à un maître de grand renom, Alfa Nouhou, Poullo originaire du Macina. Il eut aussi comme professeurs :
La tradition rapporte que les professeurs de Karam Ba furent, à Dienné, au nombre de 18. C'est dire qu'il suivit les cours de tous les savants du pays. Quand il quitta la ville, il savait pleinement « quarante sciences ».
Karam Ba se rendit ensuite à la ville sainte de Kankan, où il resta trois ans, puis à Timbo, où il séjourna un an, et capta la confiance des almamys du Fouta; ses études étaient finies; elles avaient duré trente ans. Il se rendit alors dans le Ouara et avec l'autorisation du chef du diiwal de Labé, Modi Abdoulaye, y fonda un village à qui il donna le nom de Touba (vers 1804). Après un séjour de onze ans, il dut évacuer le pays, par suite des incursions perpétuelles des gens du Tenda qui ne cessaient de lui tuer ses talibés. Il abandonna donc Touba, devenu Touba-Koro (Touba l'ancienne), et vint dans le Binani où il fonda une nouvelle Touba. Cette fois, son installation était définitive (vers 1815). Il devait s'y éteindre vers 1829, à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans.
Karam Ba laissait douze fils. Leurs multiples rejetons constituent aujourd'hui une grande partie de la population de Touba. Ils ont, en outre, essaimé dans les Guinées portugaise et anglaise [Sierra Leone], ainsi qu'en Casamance. Ces douze fils sont:
On pourra voir leur descendance en annexe.
A la mort de Karam Ba, ce fut son sixième fils, Mamadou Tassilimou, qui hérita de son influence spirituelle.
Ce fils de Karam Ba, dont le nom islamique fut Mohammed Taslimi, et qui fut connu aussi sous le nom de Karamoko Sankoun, était né à Kankan vers 1800, alors que son père y achevait ses études. Il le suivit dans ses dernières pérégrinations et finalement mena à Touba la sage vie de l'étudiant.
Sa science et sa sainteté étaient si bien établies, à la mort de Karam Ba, qu'il devint tout naturellement, lui sixième fils, le chef religieux du groupement déjà florissant de Touba (vers 1829).
Il fut un professeur émérite, mais ne chercha pas à répandre au dehors la Voie Qadrïa des Diakanké.
ll mena pendant vingt ans une vie retirée à Touba et n'en sortit que pour faire un voyage dans le Sahel, où il reçut le wird qadria, d'abord du Cheikh Abdel-Latif chez les Kounta, puis de Mohammed le Khalifa, fils de Cheikh Sidia Al-Kabir, chez les Oulad Biri du Trarza.
Il laissait quinze fils. Le plus brillant d'entre eux, le cinquième, Karamoko Qoutoubo, allait prendre la succession paternelle.
Karamoko Qoutoubo, de son vrai nom Abd El-Qader, était né vers 1830, un an après la mort de son grand-père Karam Ba. Il fit ses études complètes à Touba auprès de son père et de ses oncles.
Son père lui avait conféré l'initiation qadria avant sa mort, mais il se la fit confirmer par Cheikh Sidia Al-Kabir, au cours d'un voyage en Mauritanie, vers 1860. Il fit une retraite de plusieurs semaines auprès du grand Cheikh, alors à N'Touirja.
Rentré à Touba, le jeune marabout s'imposa tout de suite par ses connaissances, ses vertus, et ses qualités de commandement. Sous son pontificat d'un demi-siècle (1860-1905), Touba prit un essor incomparable. Les étudiants y affluèrent de toutes parts; les dioula-missionnaires portèrent la bonne parole dans les trois Guinées; les études islamiques s'y développèrent considérablement. Touba fut plus que jamais la ville sainte de toute la région.
Le marabout y gagna le surnom sous lequel il est resté notoire, de Karamoko Qoutoubo, c'est-à-dire de « Pôle de l'lslam » axe autour duquel gravitèrent les fidèles musulmans, ses contemporains.
Karamoko Qoutoubo fut un savant. Il a composé quinze ouvrages, et qui ont trait à la grammaire, au droit, à la théologie, à la louange du Prophète, à la langue arabe
Ce marabout était tenu en haute estime par les chefs foula du Labé. Il usa à plusieurs reprises de son caractère religieux pour s'entremettre dans leurs querelles intestines et faire aboutir des négociations de paix. Alfa Yaya, almamy de Labé, notamment, lui avait voué une grande amitié depuis 1897, époque où il avait amené son fils, Modi Aguibou, à faire sa soumission. On sait qu'Aguibou, pour se réserver toutes les chances de la succession paternelle, avait à cette date assassiné son frère. Le père, ulcéré, marcha contre lui de Kadé, à la tête d'une petite colonne. Aguibou leva ses partisans à Labé et s'avança contre son père. Celui-ci était à Touba, et Aguibou à Touhandé, la rencontre entre le père et le fils paraissait imminente, quand Karamoko Qoutoubo s'entremit, adoucit le père et ramena le fils à la soumission. Alfa Yaya lui en garda toujours une reconnaissance efficace.
C'est vers 1900 que les Français, dont l'influence progresse dans le Fouta Diallon, rencontrent les gens de Touba. Les premières entrevues furent plutôt froides, et les Diakanké, Karamoko Qoutoubo en tête, ne cachèrent pas leur mécontentement, lors de l'installation du poste administratif. Peu à peu cependant la glace se fondit, et Karamoko Qoutoubo fut le premier, dès 1903, à ramener ses fidèles au poste et à entretenir les meilleures relations avec l'autorité française.
Karamoko Qoutoubo mourut en 1905, laissant neuf fils :
Ce fut son deuxième fils, Karamoko Sankoun, de son nom islamique Mohammed Taslimi, qui hérita de son influence spirituelle. Ce surnom, de Sankoun, qui en dialecte diakanké signifie « pluie » est décerné par la voix populaire à ceux dont la générosité et la charité sont notoires.
Karamoko Sankoun est né vers 1860. Sa mère est Fatimata Ibrahima, dite « Fanta » ; il n'a pas de frère germains. Deux soeurs germaines, Khadidiatou et Aissatou, dites Bingui, vivent encore à Touba, mariées à deux Diakanké, et mères de famille.
Il avait épousé quatre femmes :
Quelque temps après son internement, comprenant que l'absence de leur mari durerait quelque temps, deux de ces femmes ont demandé et repris leur indépendance. Seules Fanta Kaba et N'Gadi lui sont restées fidèles et l'attendent toujours.
Ses fils sont:
Karamoko Sankoun a fait ses études coraniques et supérieures auprès de son père Qoutoubo.
Il les a complétées en matière de cabalistique et de divination auprès d'un marabout diakanké, réputé dans cet art: Karamoko Sakho, mort vers 1895.
Dès la fin de ses études, il ouvrit sur place une école arabe, qui fut bientôt florissante Devant ses succès, son père ne tarda pas à se reposer sur lui de la plupart des cours d'enseignement supérieur. Sa réputation de savant et de maître grandit dans tout le Fouta, et les gens de Touba se réjouirent, dit la tradition, de voir s'élever, à côté de Karamoko Qoutoubo, un digne successeur.
De 1890 à 1905, son auditoire se compose de deux cents talibés environ, non seulement Diakanké mais Foula, venus de tous les points du Fouta; et Mandingues venant du Gabou et de la Casamance.
Il conféra à cette date le wird qadria, reçu de son père à de nombreux disciples, et par eux sa renommée s'étendit encore dans tout le pays.
Entre temps, Karamoko Sankoun faisait de très nombreuses tournées pastorales, dont le but était de se procurer des ressources, de visiter ses fidèles, de distribuer des affiliations et de faire oeuvre de prédication islamique. Sa zone d'action fut toute la Guinée Occidentale, de la Casamance à Conakry. Il est très connu et très populaire dans toute cette région, même chez les fidèles des bannières rivales, même chez les peuples fétichistes. Il se rendait fréquemment dans le Nunez (Boké, Kakandé), dans le Pongo (Boffa), à Conakry, et enfin à Kindia pour porter la bonne parole et recueillir les offrandes des colonies diakanké locales et de leurs talibés.
Ses relations avec Alfa Yaya étaient excellentes. Il a été dit ailleurs pourquoi Sankoun continuait les traditions de fidélité et de loyalisme des gens de Touba envers les chefs du pays. Touba, sise d'ailleurs entre les deux capitales de Labé et de Kadé, et peuplée d'immigrants, aurait pu difficilement avoir une politique personnelle et hostile aux Foula. Elle ne l'essaya pas au surplus et ses dirigeants la maintinrent dans son rôle de métropole islamique et de centre commercial. Alfa Yaya qui prisait fort Karamoko Sankoun, et dont la prodigalité avec les marabouts était légendaire, se montre très libéral à son égard.
En 1909, Sankoun fit une visite à Cheikh Sidia en Mauritanie. Il vint par mer de Conakry à Dakar, gagna Podor par les voies ordinaires et alla passer un grand mois à Boutilimit. Son désir était de se faire confirmer le wird qadria, déjà donné vers 1860, par le grand-père du Cheikh au Karamoko Qoutoubo. Cheikh Sidi le reçut avec de grands honneurs, lui conféra à nouveau l'affiliation de Sidi Abd El-Qader le Djilani et lui fit don de livres arabes. Ils se séparèrent dans les meilleurs termes. Cheikh Sidia ne devait pas l'oublier, et quelques années plus tard, il esquissait, malgré sa réserve habituelle, une tentative de défense de son disciple et ami diakanké auprès de l'administration.
Karamoko Sankoun était accompagné dans cette visite au chef des Qadria Sidia, par son frère Khiraba et par quelques talibés.
Le marabout fut jusqu'à la dernière heure très apprécié par les différents administrateurs qui commandèrent le poste de Touba et le virent de près. Comme personnage religieux, comme conseiller musulman, comme président du tribunal de Touba, il leur rendit des services précieux.
A partir de 1910, un revirement complet se fait sentir dans la politique islamique de la Guinée.
Les nombreux et fréquents voyages de Sankoun dans toute la région côtière et plus spécialement dans le cercle de Kindia, et dans le voisinage de la misiide de Goumba; ses relations avec tous les chefs de groupements islamiques de la Guinée, les rapports de bonne amitié qu'il renoua, sans les cacher, avec Alfa Yaya, dès le retour à Conakry de cet ex-chef du Labé: les déclarations pour le moins tendancieuses et sans doute mensongères et intéressées de Abdoul Bakar, ancien chef des Landouman, et de Kali Salifou, fils du chef du Nalou, alors interprète au Gouvernement de la Guinée, tous ces symptômes, tous ces menus faits inquiétèrent l'administration sur l'attitude de Touba. On vit dans cet échange de messagers et de correspondances entre chef politique et grand marabout, les indices d'un prochain mouvement insurrectionnel, et on crut y découvrir la participation des marabouts diakanké.
Au surplus, si Karamoko Sankoun était trop intelligent, trop au courant de la situation réelle pour se compromettre réellement et ouvertement dans une affaire aussi grave, il avait des agents, disciples et amis, fort compromettants, tels Modi Oumarou Bella, du Binani, tel Diamilatou Sékou, des Fofana, hâbleurs et vaniteux, qui à bon compte désorganisaient le pays, regrettaient publiquement le régime d'Alfa Yaya, alors interné à Abomey, et ne craignaient pas de déblatérer contre les Français, auteurs responsables des souffrances matérielles et sociales des Diakanké.
A tous ces titres, et les difficultés du Goumba paraissant de par ailleurs insolubles pacifiquement, une action énergique fut résolue. Alfa Yaya, son fils et son conseiller étaient incarcérés à Conakry, le 9 février 1911; et aussitôt après, on décidait la main-mise de la justice sur les principaux marabouts de Goumba et de Touba pour le même jour (30 mars 1911).
Un mois à peine avant son arrestation, il était l'objet d'une visite prolongée de la part d'un administrateur, qui trouvait la situation des plus normales. Au cours des échanges de sympathie, Sankoun lui remettait un petit mémoire historique relatant avec une précision remarquable l'ascension et la chute des grands marabouts et conquérants du Sénégal, du Soudan et de la Guinée. Il formulait des conclusions, empreintes de loyalisme, et remarquait au surplus que sa fidélité, ne fût-elle pas née de ses sympathies naturelles, serait pour lui une nécessité de la logique et de l'histoire.
Ce jour-là même du 30 mars, l'administrateur Liurette, commandant le cercle de Kadé, secondé par un détachement de 40 tirailleurs, procédait à l'arrestation de Sankoun, de Ba Gassama, et de Diamilatou Sékou. Ba Gassama, dont divers indices faisaient craindre la fuite sur le territoire portugais, avait été convoqué l'avant-veille au poste et y était gardé à vue. Aucun incident ne se produisit.
La veille, Karamoko Sankoun, sentant que de fâcheux événements se préparaient, se rendait, accompagné d'une centaine d'indigènes en pèlerinage à la tombe de son père, protecteur de la cité, Karamoko Qoutoubo.
Dans la nuit, cette même manifestation se renouvela, à laquelle prirent part, cette fois, plusieurs milliers d'indigènes tandis que le tam-tam résonnait lugubrement en ville, appelant les descendants de Karam Ba à des prières propitiatoires.
Un notable, Diamilatou Sékou, chef du groupe des Fofana-Kounda , ami de longue date , associé commercial et débiteur de Ba Gassama, se répandit en propos violents contre les Français, préconisant le retour prochain d'un grand chef indigène qui ferait rendre les esclaves et serait le protecteur des Diakanké.
Le 30 au matin, les notables convoqués au poste y étaient amenés par Sankoun lui-même. L'incarcération de Sankoun et de Ba Gassama fut immédiatement ordonnée. On leur adjoignit le fougueux Diamilatou.
Les perquisitions amenèrent la saisie chez les inculpés d'une cinquantaine de fusils à capsule, et, dans tout le district, de 775 fusils à piston, ce qui n'a rien d'extraordinaire, attendu que les populations guinéennes n'ont jamais été désarmées et attendu, d'autre part, que toute manifestation religieuse s'accompagne chez eux d'une énorme consommation de poudre. Comme armes européennes, on ne trouve que deux carabines portugaises et quatre fusils doubles de chasse; encore étaient-elles toutes entre les mains de Modi Oumar Binani, qui en faisait plus ou moins le commerce.
Tout s'était passé dans le plus grand calme, et les Diakanké, plus marchands et marabouts que guerriers. avaient laissé se consommer sans protestations cet acte de force contre leur chef spirituel. Seul un ami de Ba Gassama avait élevé la voix.
Les prisonniers furent immédiatement conduits à Conakry. Un arrêté du Gouverneur général, en date du 21 juin 1911, les condamnait à dix ans d'internement, et fixait le lieu de cet internement à Port-Etienne. Ils y étaient immédiatement transportés.
Ils retrouvaient là Modi Aguibou, fils d'Alfa Yaya, et les fidèles du Ouali de Goumba.
L'attitude de ces internés a été des plus correctes. Dès le premier jour, Sankoun s'est imposé au respect de tous, et il fut considéré dès lors comme le marabout de la petite colonie d'internés.
On a peut-être eu tort de ne pas signaler au commandant de la baie du Lévrier la situation de Karamoko, son passé, les possibilités de son avenir. Soumis à l'obligation du pénible travail de casser des pierres ou de faire des terrassements, il a été tout de suite incapable de suivre ce régime, et ses camarades d'infortune émus et respectueux lui ont immédiatement et d'un commun accord, abandonné la tâche considérée comme la plus douce du poste: la vidange des tinettes. La chose est à la fois touchante et pénible.
Par quel enchaînement de circonstances est-on arrivé à faire du marabout sympathique et du magistrat conciliant de Touba le déporté de Port-Etienne.
Les causes en sont multiples.
La première est subjective. C'est avant tout l'inquiétude qui se répandit dans tous les échelons de l'autorité guinéenne, au fur et à mesure que les événements de Goumba se précipitaient. Cette crainte du péril islamique allait amener l'administration à faire localement, comme on l'a dit, « la Saint-Barthélemy des marabouts ». On allait jusqu'à déclarer officiellement: « Une entente avait eu lieu entre les principaux marabouts pour grouper toutes les forces musulmanes, notamment entre :
C'était là pure imagination. On voulait capter dans un même coup de filet, et par un sentiment irraisonné de crainte, toutes les notabilités islamiques du Fouta. On n'alla heureusement pas jusqu'au bout des mesures un instant envisagées.
L'arrestation de Sankoun est une conséquence directe de l'affaire de Goumba. Ce Marabout était en relations assez suivies avec le Ouali: ils échangeaient des cadeaux comme le font toutes les personnalités indigènes, et des lettres courtoises, ainsi que deux pontifes, voisins et rivaux, doivent le faire pour éviter des polémiques entre lettrés et des collisions entre talibés. Ces bons rapports étaient d'ailleurs dans le ton général du monde maraboutique du Fouta. Toutes ces personnalités se connaissent parfaitement, se sont vues , s'écrivent, s'envoient des messagers. Et cet instinct de sociabilité, ce besoin de sortir de son horizon étroit n'est pas un des moindres caractères de cette collectivité seule. Par ces qualités, elle se différencie une fois de plus des sociétés mélaniennes qui l'environnent et qui restent toujours confinées en petits groupements, dans les limites de leur village ou de leur canton.
Sankoun, loin de cacher ses relations, en avait toujours fait part au chef de poste de Touba. Il lui montrait les lettres reçues de Goumba. Au surplus, toute cette correspondance a été saisie, avec une grande habileté, lors de l'arrestation de Sankoun. Elle n'a révélé que des échanges de politesses, des renseignements sur les mercuriales du caoutchouc, du riz et du mil, des affaires de femmes ou de captifs, etc. Quand on y aura ajouté les innombrables gris-gris, talismans et amulettes, dont tout marabout possède une collection, on n'aura rien trouvé de bien compromettant.
Il n'y eut donc en réalité nulle entente de la part des Diakanké de Touba pour participer à un mouvement insurrectionnel. Comment les frères et disciples de Sankoun n'y auraient-ils pas été mêlés? Comment le chef de village et ses hommes, tous inféodes à la Zaouïa, se seraient-ils abstenus? Les chefs religieux de Touba paraissent avoir été frappés par mesure préventive et comme moyen d'intimidation.
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'arrestation de Sankoun fût une surprise considérable pour ceux des administrateurs qui, en de longs séjours à Touba, l'avaient approché et pratiqué; et on s'explique de même que, cinq ans plus tard, ceux qui commandaient la région, et opérèrent cette arrestation, ceux-là mêmes qui, par conséquent, étaient le plus intéressés à voir disparaître du pays un ferment de troubles, déclarent n'avoir agi que par ordre, en dehors de toute proposition ou suggestion de leur part.
Il faut reconnaître pourtant que de 1908 à 1911, il y eut dans la région de Touba quelques motifs, susceptibles d'éveiller véritablement les soucis de l'administration, et qui étaient plus objectifs que l'islamophobie ambiante.
La libération des captifs provoqua la ruine à peu prés complète des Diakanké. Ils y perdaient les serviteurs de leurs cases, les auxiliaires de leur commerce, et les travailleurs de leurs champs. Cette classe de lettrés qui avaient fort bien organisé leur vie d'intellectuels et de marabouts sur le labeur de leurs captifs, se trouva du jour au lendemain sans ressources; ils durent abandonner leurs prières et leurs études et mettre eux-mêmes la main à la pâte pour pouvoir vivre.
Mais cette dispersion des gens de caste dans les villages de liberté, cet exode des captifs vers le haut pays malinké ou vers les régions côtières d'où ils étaient originaires : Tenda, Mikhiforé, Nalou, Landouman et Baga, eurent d'autres conséquences qu'on ne prévoyait pas. Les Diakanké avaient choisi dans les familles de leurs serviteurs nombre de leurs filles et les avaient admises à partager leur couche, soit comme épouses légitimes, soit comme concubines. Ils en avaient eu des enfants. Quand les captifs regagnèrent leur pays, ils emmenèrent leurs filles, qui ne demandaient qu'à les suivre, et celles-ci étaient accompagnées évidemment de leurs enfants. Aux pertes matérielles des Diakanké, au bouleversement de leur vie sociale et intellectuelle s'ajoutait la désorganisation de leur foyer.
Il y avait donc du malaise à Touba, et les milieux dirigeants ne cachaient pas leurs doléances et leurs récriminations. Il y eut des conciliabules, sur place d'abord, puis chez les Landouman. On voulait tenter une politique en douceur à l'égard des captifs, les ramener par la persuasion, les convaincre individuellement de revenir. Ce fut sans succès. On décida en de grands palabres de porter une réclamation collective au Gouverneur de Conakry, de lui demander de prendre un moyen terme, de prescrire aux captifs de travailler 2 ou 3 jours par semaine, et pendant quelques années de transition, pour leurs anciens maîtres On réunit même de beaux cadeaux pour convaincre plus sûrement le Gouverneur. Mais la tentative avorta. Les palabreurs furent invités à rentrer chez eux avant d'avoir mis leur projet à exécution.
Il est alors facile de comprendre que ce grand seigneur religieux qu'était Karamoko Sankoun fut profondément atteint par les événements funestes qui s'abattaient sur lui et les siens. Sans ressources matérielles, comment nourrirait-il les centaines de Talibés qui étaient les fleurons de la ville universitaire de Touba ? Il assistait impuissant à sa ruine et à la ruine des siens, à la chute de Touba, à la dispersion de son propre foyer.
On admettra sans peine qu'il était indisposé contre les Français et que son mécontentement se traduisit, encore qu'il l'ait nié, par des plaintes, des propos malveillants, une sourde hostilité.
On ne peut nier non plus que le retour d'Alfa Yaya effectué par nos propres soins, ses intrigues, ses promesses, l'agitation créée par ses partisans, n'aient quelque peu ému d'espoir les Diakanké. Un retour à l'ancien régime paraissait la solution idéale des difficultés présentes. Alfa Yaya, ami et protégé des Français, mais maître intérieur de son diiwal, rétablissait la captivité, ramenait tout dans l'ordre et protégeait et comblait dedans, comme par le passé, ses amis les marabouts de Touba. L'écho que trouvaient parmi les Diakanké l'action et les intrigues de l'ex-chef du Labé, ne furent pas non plus sans indisposer contre eux les autorités guinéennes.
Il y avait, malgré tout, sans doute, possibilité à entente. L'exode des captifs, sagement dirigés dans leur propre intérêt d'ailleurs, devait ménager la transition à Touba, entre l'ancien et le nouvel état de choses. Les exécutions du Ouali et d'Alfa Yaya pouvaient suffire comme exemple et n'auraient pas manqué de ramener à la sagesse les pacifiques Diakanké. Au surplus, les fonds politiques ont toujours été un puissant moyen d'action sur les milieux maraboutiques, et il y avait d'autant plus lieu d'utiliser ce levier, qu'en l'occurrence c'était l'autorité française elle-même qui par ses règlements contre la captivité provoquait délibérément la ruine dans les familles, les troubles dans la société indigène et un malaise général dans la tranquillité publique.
La manière forte prévalut. Les difficultés qu'on pressentait pour Goumba empêchèrent ou ne laissèrent pas le temps de tenter quelque effort d'apprivoisement à Touba. Karamoko Sankoun paya lourdement et pour son attitude frondeuse et pour les inquiétudes que l'Islam donnait à l'autorité. Ba Gassama, notable très influent de Touba, et personnage agité, partagea son infortune. Le mot d'Horace est toujours vrai : « La foudre frappe avec ou sans discernement, les arbres et les cimes superbes. »
Le sort de Karamoko Sankoun a été adouci. Il est aujourd'hui en résidence obligatoire à Dakar, et y vit dans une semi-liberté.
En dehors de Karamoko Sankoun, déjà vu, et qui au surplus a quitté Touba, depuis 1911, les principaux marabouts Diakanké de Touba sont:
Ces personnages sont ceux qui tranchent au milieu de la population diakanké de Touba. Ils ont tous reçu l'affiliation qadria soit de Karamoko Qoutoubo, soit de ses fils, Sankoun et Modi.
L'installation de Karam Ba au point où devait s'élever Touba date de 1815 environ. Sept ans plus tard, soit vers 1822, il construisait une superbe mosquée qui a tenu pendant tout le dix neuvième siècle.
Ce nom de Touba est une réminiscence d'Islam. Touba est le nom d'un arbre du Paradis dont l'ombre est si vaste qu'un cavalier au galop met cinq cents ans pour en franchir les limites. Dans les Orientales, Victor Hugo y fait allusion, et cette illustre mention a rendu populaire cette poétique image dans notre littérature.
Touba, suivant le Coran, est le séjour de la béatitude pour ceux qui croient, et ont été vertueux. Il est naturel qu'un pieux marabout donne ce nom béni à son village, et fasse ainsi espérer à ses disciples, qu'après avoir habité le Touba de la terre, ils ne manqueront pas d'être appelés au Touba du Ciel. C'est pourquoi les agglomérations de ce nom abondent en Afrique Occidentale.
Le Touba des Diakanké s'étend sur les rives de la Komba, ou vallée supérieure du Rio-Grande, à peu près à mi-chemin entre Labé et Kadé. Il fait partie aujourd'hui du cercle de Koumbia. Le poste administratif qui y fut établi une dizaine d'années (1902- 1912), a été supprimé.
Au temps de sa splendeur, et alors que l'enseignement de Karamoko Qoutoubo y brillait de tout son éclat, Touba a compté plusieurs milliers de cases et 7.000 habitants environ. Cette prospérité s'était conservée jusqu'en 1908. A cette date la libération des captifs a fait perdre à la ville la moitié de sa population, soit par la dispersion des captifs eux-mêmes et de leurs familles, soit parce que les maîtres ont dû se répandre dans les hameaux environnants pour se mettre eux-mêmes à la culture, ou sont partis commercer et chercher fortune à travers les Guinées [portugaise, française et anglaise]. Touba ne paraît pas renfermer actuellement plus de trois mille habitants. Les petites cases rondes diakanké se sont encore resserrées, suivant les usages du peuple, et un vaste espace désert d'un kilomètre s'étend aujourd'hui entre l'agglomération et l'ancien poste administratif. A l'intérieur même de la ville, plusieurs emplacements sont encore inoccupés.
La rivale de Kankan et de Conakry est bien déchue.
L'arrestation de Karamoko Sankoun lui a porté un dernier coup. Un grand nombre de talibés, venus de l'extérieur, sont repartis chez eux, fuyant ce centre sur lequel s'appesantissaient les rigueurs de l'administration.
Les Toubakayes sont tous diakanké et appartiennent en très grande majorité au clan des Gassama, dont Karam Ba, l'ancêtre, et ses clients et serviteurs faisaient partie.
La mosquée de Touba compte parmi les plus grandes et les plus célèbres du Fouta. Construite vers 1822 par Karam Ba, restaurée, un demi-siècle plus tard, par Karamoko Qoutoubo, elle paraît aujourd'hui quelque peu fatiguée et aurait besoin d'être sérieusement retouchée. Au contraire des mosquées du Fouta qui sont généralement circulaires, elle est rectangulaire avec des angles légèrement arrondis. La toiture est en paille comme partout ailleurs. Les volants de chaume descendent très bas et recouvrent une véranda qui abrite les tombeaux des deux premiers ancêtres, Karam Ba et Karamoko Tassilimou.
On a construit à côté de la mosquée une petite case circulaire, mausolée qui renferma la tombe du grand Karamoko Qoutoubo. Elle se signale par un léger exhaussement de sable, surmontant la dalle de mortier. Ces tombes ne sont d'ailleurs l'objet d'aucune vénération particulière. On n'y vient pas en pèlerinage. On n'y fait aucun sacrifice. Les Diakanké ne diffèrent point en cela des autres noirs, et s'ils honorent la mémoire de leurs saints, ce n'est que dans leurs discours. Leur tombe, quand elle est connue, n'est l'objet d'aucune manifestation cultuelle.
L'université de Touba a suivi la décadence de la ville. Ils sont loin les temps où les Toubakayes s'enorgueillissaient de compter dans leurs murs 25 professeurs éminents et plus de 300 étudiants venus de tous les points de la Guinée et de la Casamance.
Aujourd'hui, si l'instruction coranique, qui s'adresse aux enfants de la ville, y est toujours en honneur, I'enseignement supérieur y est fortement tombé. Les fils des riches et des marabouts, qui autrefois consacraient leur jeunesse et leur adolescence aux études, sont contraints de se mettre de très bonne heure au travail de la terre ou au commerce. La grande majorité ne dépasse guère la lecture du Coran. On ne compte guère qu'une quarantaine de jeunes gens qui, le Coran achevé, étudient le droit, la théologie ou la grammaire. Sur ce nombre une vingtaine sont des Diakanké de la ville; les autres sont soit des Mandingues originaires des provinces les plus diverses de la Guinée portugaise de la Casamance, et du Sénégal: Vohi, Pakao, Combo, Niom, Rip, Niani, etc., soit des Malinké de la Haute-Guinée : Baté, Oulada, etc., soit des Landouman de la région côtière.
Ces jeunes gens, qui s'échelonnent entre vingt et trente ans, poussent leurs études jusqu'aux limites de leur courage, qui n'est pas grand, reçoivent de leur maître l'affiliation qadria et s'en retournent chez eux pour ouvrir aussitôt une école coranique, et tenir boutique d'amulettes. Ils bénéficient du prestige de l'inconnu, du mystère d'études lointaines et prolongées et de la popularité d'une initiation vénérée. Leur instruction est en somme rudimentaire, et malgré les dix, douze, quinze ans de scolarité, et les innombrables heures passées sur les auteurs arabes, ils ne comprennent guère ce qu'ils lisent, et sont incapables de s'exprimer d'une façon un peu suivie et en arabe élémentaire.
Les maîtres sont les descendants de Karam Ba qui, comme tous les Diakanké, sont marabouts et professeurs, quand ils ne sont pas dioula.
Le plus savant et le plus populaire entre eux, Karamoko Sankoun, fait défaut à l'université de Touba, et elle n'a quelque chance de recouvrer une partie de son ancien éclat que si ce marabout est appelé à rentrer dans ses
foyers.
Le principe de l'enseignement est gratuit, mais il est évident que Toubakayes comme étrangers doivent entretenir maîtres et élèves. Les étudiants étrangers notamment reçoivent chaque année de leurs familles des subventions en nature, et y font participer leurs maîtres. A la fin des études, ils reconnaissent leurs bons soins en leur versant un cadeau très important et la plupart du temps une somme d'argent. Au cours des études, suivant l'usage général, ils travaillent aux champs de leurs maîtres; ici, dans ce milieu plus spécialement commercial, certains vont même jusqu'à les accompagner dans leurs pérégrinations de dioula.
La bibliothèque de la famille de Karamoko Qoutoubo comprend 2 à 300 ouvrages et s'entasse dans une douzaine de caisses. Elle était plus nombreuse autrefois, atteignant 500 volumes, disent les lettrés. Mais les termites font leur oeuvre de destruction; et comme depuis l'internement de Sankoun, on n'en prend guère soin et qu'au surplus on n'achète plus de livres, elle se réduit tous les jours.
Ces ouvrages sont les livres classiques des études islamiques. Il n'y en a aucun qui mérite de retenir l'attention. Ce sont ou des copies manuscrites des auteurs sahariens (Kounta, Oulad Biri) dont les gens de Touba relèvent spirituellement, ou des volumes édités en Egypte et en Orient et qui ont été achetés aux boutiquiers marocains et syriens.
La véritable caractéristique du groupement diakanké de Touba, c'est son attachement à la confrérie qadrïa. C'est leur marque de fabrique, leur bien propre. Dans une région où à peu près tous les foula musulmans sont tidianes, ici Qaderisme est devenu le signe distinctif auquel on reconnaissait les Diakanké, et auquel ils se reconnaissaient eux-mêmes. Ici encore se vérifie cette loi (!!) des pays noirs que le groupement ethnique cadre avec la chapelle religieuse.
C'est au Qaderisme des Kounta de Tombouctou que, par les Sidia, se rattache ce rameau guinéen. Il suffit de dire ici que Qoutoubo fut le disciple de son père Tassilimou et que celui-ci, au cours d'un voyage dans le Sahara, reçut successivement le wird de Cheik Abd El-Latif le Kounti et du cheikh Mohammed Khalifa des Oulad Biri. Mohammed Khalifa était le disciple de son père Sidïa Al-Kabir, lequel se rattache définitivement aux Kounta par Mohammed Khalifa le Kounti mort en 1825, et par son père, le grand cheikh Sidi Al-Mokhtar, mort en 1811.
L'instruction, très répandue, sinon élevée, dans le milieu de Touba, n'emprunte pas uniquement la langue arabe. Les Diakanké usent volontiers de leur dialecte maternel pour paraphraser et expliquer les livres saints. Les prônes du vendredi se font très souvent en diakanké. Cette langue est considérée par eux, sinon comme la langue sacrée par excellence qui est l'arabe, tout au moins comme jouissant d'une place d'honneur dans le parvis du sanctuaire.Ils reconnaissent d'ailleurs cette même qualité au poul-poulle [Pular], tandis que les Foula ne veulent pas la reconnaître au diakanké, et placent cet idiome au rang des langues bambara, c'est-à-dire profanes.
Le commerce des amulettes, talismans et gris-gris de toute nature est très florissant à Touba. L'enseignement des recettes magiques tient une large place dans les cours qu'on y professe et dans les bagages scientifiques que les étudiants de l'extérieur y viennent quérir. Les plus lettrés et les plus saints ne font nullement fi de cette source de revenus. Karamoko Qoutoubo passait de son vivant pour un grand médecin et pour un magicien puissant; ses fils ont continué la tradition, et depuis le départ de Karamoko Sankoun, ses frères Karamoko Madi et Karamoko Oualo ont pris la succession.
Il ne faudrait pas croire que l'influence exercée sur leurs ressortissants par le chef ou les dirigeants spirituels de la Zaouïa de Touba soit une sorte d'autorité absolue, ne se heurtant à aucune contradiction. Il arrive que des Karamoko notoires, riches et ambitieux, refusent de reconnaître ce joug moral. C'est le cas de la famille de Ba Gassama, volontiers frondeuse à l'égard des fils de Qoutoubo.
Mais le plus souvent c'est de l'apathie de la masse que se plaignent les marabouts dirigeants. Un exemple fera bien saisir la nature et les limites de leur autorité. En 1904, Karamoko Qoutoubo, alors dans tout le prestige de sa sainteté et de son âge, essaya pendant plusieurs mois, mais en vain, de faire nettoyer la ville, remplie d'immondices et sur laquelle s'était abattue une grave épidémie. A toutes ces objurgations les fidèles répondaient par des promesses qui n'étaient suivies d'aucun effet. A la fin, craignant les foudres de l'autorité [française], il se décida un matin à se transporter à l'entrée du village, suivi de deux fidèles talibés, et se mit à creuser lui-même la terre. De toutes parts on accourt; on à ses pieds, on implore son pardon. On le ramène chez lui en triomphe, tandis que deux cents jeunes gens s'attellent avec fougue à la besogne, et en trois jours font de la ville le modèle des cités bien entretenues.
La conclusion de l'aventure, c'est que l'épidémie ne tarda pas à disparaître et que le mérite en fut attribué à la baraka du saint Qoutoubo, qui récompensait ainsi le zèle et l'obéissance de ses talibés.
Les Diakanké sont tous plus ou moins dioula. On les rencontre individuellement ou par petits groupes sur toutes les pistes de Guinée.
Ils sont en outre des cultivateurs très adroits, et leurs champs de mil, de coton, de sésame, de fonio, de gombo, d'arachides sont classés parmi les plus beaux et les mieux entretenus. Ils ont donc besoin de s'assurer des débouchés, et ils n'hésitent pas à porter eux-mêmes leurs produits à la côte de Ziguinchor, à Freetown, etc.
C'est par ce colportage et par le prosélytisme qui l'accompagne toujours peu ou prou, plutôt plus que moins d'ailleurs, car les Diakanké sont des musulmans très ardents, que leur influence s'est étendue en divers points de la Guinée.
Les colonies diakanké. Il y a d'abord lieu de signaler les petits groupements diakanké qui ont essaimé des deux Touba, et se développent aujourd'hui d'une façon autonome.
Les principales de ces colonies, dont quelques-unes atteignent plusieurs centaines d'habitants sont :
Dans tous ces villages, il semblerait que les antiques liens qui unissaient maîtres à captifs et que nous [les Français] avons, rompus non sans brutalité, tendent à se renouer, mais cette fois-ci sous la forme religieuse. Les marabouts diakanké, qui avaient d'abord fait l'opposition la plus vive et la moins déguisée au départ de leurs captifs, ont changé de tactique devant l'inutilité de leurs efforts. Ils font maintenant de l'apostolat dans les villages de liberté, distribuent largement aux enfants d'affranchis une instruction coranique qu'ils refusaient hier, sèment la bonne parole, confèrent des affiliations à leur Voie. Et l'on peut constater que l'ex-captif se transforme en client religieux et reprend le chemin de la case de son maître pour lui porter des présents. Ce n'est plus au patron qu'il obéit, c'est au Karamoko qu'il rend hommage.
Rappelons en outre pour mémoire les petits groupements, fondés en Casamance depuis un quart de siècle, par les fils et les neveux de Karamoko Qoutoubo.
Ces groupements ne comprennent qu'une minorité de Diakanké et souvent n'en comprennent pas du tout. Ce sont des filiales spirituelles de Touba.
A Bissikrima (cercle de Dinguiraye), le groupement malinké des descendants de Dioubba Almamy. Ce Dioubba était un Sarakollé du Diafounou, venu s'installer dans la région de Bissikrima au commencement du dix-neuvième siècle. Il mourut vers 1840, à Bissikrima même, et l'on y montre encore sa tombe, au pied d'un grand arbre, parmi les touffes de hautes graminées.
Il laissait un grand nombre de fils qui ont essaimé dans le pays, et qui mêlés aux Malinké, et en épousant les filles, se sont nationalisés Malinké.
L'aîné, Kankan Fodé, créa un village qui acquit, à la fin du siècle dernier, une certaine importance, Kankan Fodéya, mais qui depuis est tombé, car les habitants ont émigré vers Bissikrima-gare et Bissikrima-Koura. Le deuxième, Mori Sallou, est le père de Fodé Yaya.
Le troisième, Bouba, est le père de Fodé Baba. Fodé Yaya et Fodé Baba sont les deux chefs spirituels des groupements malinké des deux Bissikrima. Ils sont qadrïa de l'obédience de Touba. Ils ont été affiliés à cette confrérie en 1907, par un marabout diakanké de passage, Alfa Ibrahima Gassama, disciple de Qoutoubo. Les deux cousins, qui n'avaient pas encore reçu le wird, furent tellement impressionnés par la sainteté de ce marabout, qui séjourna quelques mois à Bissikrima, qu'ils lui demandèrent de les recevoir parmi ses fils spirituels Consacrés moqaddem, ils ont eux-mêmes distribué le wird à leurs talibés de la région.
Fodé Yaya, né vers 1855, était nommé en 1910 chef du village de Bissikrima-gare, qui se créait. Son influence s'étendait incontestée sur les populations d'origine diallonké et surtout malinké de la région. L'afflux d'immigrants et de dioulas de toute provenance, provoqué par la construction du chemin de fer Conakry-Niger, ouvrit l'ère des difficultés. L'établissement des camps de travailleurs les aggravèrent. Etrangers au pays, ces ouvriers et traitants ne montrèrent aucune discipline et terrorisèrent les indigènes, pillant leurs champs, violentant leurs femmes, les brutalisant eux-mêmes. Ces violences provoquèrent l'exode des premiers habitants qui s'établirent sur la Bouka, au pied des monts Balayan, au village de Bissikrima-Koura (nouveau Bissikrima)
Entre temps, les dioula de Bissikrima, se rebellant contre l'autorité d'un chef malinké, demandaient l'autonomie de leur groupement et un chef pris parmi eux (1913).
Les embûches qu'ils tendirent à Fodé Yaya le firent tomber. On dénonça les exactions qu'il commettait comme chef de village et président du tribunal de province, et il fut révoqué en septembre 1914, puis condamné en janvier 1915 à deux ans de prison par le Tribunal de province de Dinguiraye. La mesure de son influence fut donnée le 8 janvier 1915. Une manifestation violente éclata parmi ses talibés de Bissikrima, à propos des opérations du recrutement, mais en réalité comme marque d'opposition au nouveau, chef, Mokhtar Fal. Les actes d'indiscipline qui furent commis amenèrent l'arrestation de vingt-deux notables, dont les fils, frères et principaux disciples de Fodé Yaya. Ils furent condamnés à des peines diverses d'emprisonnement.
Ils les subissent, avec Fodé Yaya lui-même, à Fotoba (Iles de Los).
L'école, que dirigeait le marabout à Bissikrima et qui comprenait une vingtaine d'élèves, est restée fermée depuis son départ.
Fodé Yaya n'a rien d'un irréductible. D'intelligence moyenne, il paraît n'avoir qu'à moitié compris la succession des événements fâcheux dont il a été victime. Un de ses fils, engagé volontaire aux tirailleurs sénégalais, a été blessé à la bataille des Dardanelles [France] durant la première guerre mondiale.
Fodé Baba, son cousin, est né vers 1863, à Koukoutamba (Timbo, province de Kolen). Les guerres entre Foula et Houbbou contraignirent sa famille à émigrer vers Kouroussa en 1870. Elle s'installa dans le Oulada. Le jeune Fodé y fit ses études, mais il dut encore quitter le pays lors des incursions de Samory. Il s'installa à Bissikrima d'abord, puis lors de l'arrivée du rail à Bissikrima-Koura. Il est fixé aujourd'hui dans la marga de Souroumba, sur la montagne de Bissikrima-Koura.
Fodé Baba ne paye pas de mine. Il est chétif, grêle, et défiguré par un énorme goitre. De nombreuses cicatrices et végétations purulentes laissent supposer qu'il est lépreux. Ces infirmités ne l'empêchent pas de circuler dans la région. Les besoins de sa propagande l'incitent à vivre en excellents termes avec Tidia, chef de la province du Baïlo, où il compte un certain nombre de talibés. Il en a d'autres dans le district de Dabola, dans le cercle de Farana, dans le cercle de la Mellacoré (province de Mori Kania).
Son influence ne s'est pas toujours exercée heureusement à Bissikrima-Koura Le chef du village, fâcheusement conseillé par lui, a mis toutes sortes d'entraves au recrutement et est en instance de révocation. Le marabout lui-même a été condamné à plusieurs reprises à des peines disciplinaires (1911, dissimulation de la matière imposable; 1914, propos malveillants envers les Français).
Fodé Baba jouit d'une bonne instruction. Il a fait des études presque complètes, qui font de ce Malinké une manière de lettré arabe. On trouvera aux annexes un spécimen de sa correspondance. Il exerce en outre la profession de médecin et de vendeur d'amulettes, et à ce titre jouit d'un certain prestige, même parmi les fétichistes de la région.
Le principal disciple de Fodé Baba, méritant une mention particulière, est Fodé Billo, né v ers 1870 à Daara (Timbo) Malinké, établi à la marga de Souroumba, où il dirige une petite école coranique. Il se déplace fréquemment moitié comme dioula et moitié comme marabout quêteur. Il jouit d'une certaine considération dans la province de Baïlo et dans la région de Bissikrima.
Dans la Basse-Guinée, l'influence des marabouts de Touba s'étend :
Il a été depuis un quart de siècle l'objet d'un prosélytisme suivi de la part des missionnaires Diakanké. S'ils n'ont pas réussi à créer un centre aussi important que celui de Goumba, ils ont allumé en divers points du territoire des foyers ardents de propagande qui travaillent lentement, mais efficacement, à l'islamisation des populations Soussou.
Les deux principaux centres de rayonnement qadria sont: Dar es-Salam et Kindia même.
Dar es-Salam, dans la province du bas Tamisso, est la création d'un Malinké du Oulada, Fodé Kaba. Son père, Fodé Bokari, avait quitté Kouroussa au début du dix-neuvième siècle, et était venu faire le dioula islamique dans le cercle de la Mellacoré. Il s'établit à Laya, près de Forékaria, et y mourut vers 1835.
Fodé Kaba, ayant abandonné Layâ, fonda vers 1880 le village du salut (Dar es-Salam) dans le Tamisso, et y ouvrit une école coranique.
Ce fut son fils aîné, Fodé Madou Ciré, qui fit de ce centre une Zaouïa renommée par sa baraka et ses études. Il avait reçu le wird qadria de Karamoko Qoutoubo, et, consacré moqaddem, il ne cessa de le répandre à son tour. Il est mort en 1835, laissant une ville très florissante au point de vue islamique. On y comptait, dès 1911, 14 écoles et plus de cent élèves. Dar es-Salam était déjà à ce moment considéré comme le deuxième centre musulman de la région, et depuis la destruction de Goumba, elle a pris la première place.
Fodé Ciré a laissé une nombreuse famille. Son fils aîné, Sougandi Daramé, est déjà un personnage notoire, mais la direction de la Zaouïa est restée entre les mains des frères du marabout: Fodé Ansoumani, qui vient de mourir; Tierno Ali, son successeur; Fodé Salifou et Fodé Morouba. A signaler encore un de leurs neveux, Fodé Souleymana Daramé, né vers 1884, lettré de quelque valeur, professeur à la Zaouïa.
L'influence de Dar es-Salam s'est exercée d'abord dans le Tamisso, puis s'est étendue dans le cercle relevant de cette Zaouïa.
Le groupement de Fodé Kaba, à Tinko, bas Tamisso, né vers 1883, d'origine malinké, élève et disciple de Fodé Sori, oncle de Fodé Modou Ciré et que celui-ci employait comme missionnaire. Fodé Kaba a des élèves, originaires de Sanou (Kindia) et du Benna (Mellacoré).
Le groupement de Karamoko Karfala, à Friguiagbé, né vers 1881 à Forécaria, de race soussou. Il a reçu le wird de Modou Ciré à Dar es-Salam même.
Le groupement de Karamoko Bassi, Soussou, marabout des chefs du bas Tamisso à Médina-Oula. Il est né vers 1879, à Laya (Forécaria). Il vint s'établir en 1909 dans le cercle de Kindia (Baring) et y fit le dioula et le maître d'école. Il a été engagé en 1911 comme secrétaire du tribunal de province de Kindia.
Les petits groupements de Karamoko Fodé Kamara, à Kouloukouré (Takoubeya), et de Morlaye Touré à Facikouré (Takoubeya) tous deux Soussou, ce dernier frère de Fodé Kondetto, interprète du cercle de Kindia
Le groupement de Tanéné
Kéla, dont les personnages notoires sont:
Le centre de Dar es-Salam a gardé sa physionomie malinké. On en parle encore la langue et on en a conservé nombre d'usages. Les prônes se font la plupart du temps en malinké, qui, ici, est considéré comme une langue sacrée.
L'autre centre du rayonnement qadria de Touba, dans le cercle de Kindia, se trouve à Kindia même. Il se décompose en plusieurs petites communautés.
La plus importante de ces communautés est sous la direction spirituelle de Fodé Ansoumana.
Quoique les fondateurs de ce groupement soient d'origine malinké ils se sont fondus parmi leurs voisins soussou, et leur ont emprunté leurs moeurs et leur langue. Mais le soussou, étant considéré comme une langue profane, une langue de fétichistes, c'est encore en malinké que se font les prônes du vendredi, et les explications des textes arabes.
Le grand-père de Fodé Ansoumana, Mamadou Bitri, id est « le très fort » du clan des Mansaré-Kéita était venu du pays mandingue soudanais, au début du dix-neuvième siècle. Il ouvrit successivement une école coranique à Kankan, puis, à Kindia. lI mourut dans ce dernier village.
Il laissait un fils, Fodé Moussa, qui continua la tradition paternelle en faisant le marabout en pays soussou, et qui y acquit une certaine influence, puisqu'il put épouser une des filles (Awa Silla) de l'almamy Koumba, devenant ainsi le beau-frère de l'almamy du Kaneya, Kaya Moussa, qui avait épousé Binti Silla, seconde fille de Koumba.
Le fils de Fodé Moussa et de Ana Silla fut Fodé Ansoumana, né vers 1857, à Kindia. Il a à peu près perdu ses origines malinké et est aujourd'hui un vrai Soussou. Il continue pourtant à donner ses paraphrases du Coran en langue malinké. Il a fait ses études dans le Koïn (Tougué) chez Fodé Bokari Silla; son instruction est d'ailleurs médiocre.
Il a une école d'une douzaine d'élèves, recrutés surtout dans l'élément soussou, mais dont quelques-uns sont malinké. Il est à remarquer qu'Ansoumana a envoyé ses enfants en bas âge faire leurs études à Dar es-Salam, sous prétexte qu'un père ne peut élever lui-même ses enfants, et qu'au surplus Kindia est une ville de perdition pour les jeunes gens. C'est lui qui remplit à la mosquée de Kindia les fonctions d'imam. Ancien président du tribunal de province, il est aujourd'hui assesseur au tribunal de cercle.
Ses femmes sont au nombre de quatre, et ses concubines atteignent un chiffre plus élevé. Ses deux fils aînés: Fodé Bokari, né vers 1885, et Fodé Moussa, né vers 1890, paraissent plus instruits et plus ouverts que leur père.
Fodé Ansoumana a reçu l'affiliation qadria et le pouvoir de la confier, vers 1890, de Fodé Sékou, missionnaire diakanke envoyé par Karamoko Qoutoubo, de Touba, pour faire du prosélytisme parmi les populations soussou.
A côté de Fodé Ansoumana, ses neveux Laye Silla et Fodé Moussa sont les personnages les plus importants des Soussou de Kindia.
Laye Silla, dit Manga Laye, et plus communément Almamy Laye, est né vers 1871. C'est le fils des almamy du Kaniya. Nommé d'abord chef du canton du Ouantambakiri, un des districts du Kaniya, il y rendit les meilleurs services (1905). Son commandement fut étendu à la province entière du Kaniya (1909), mais il ne sut pas imposer son autorité aux autres chefs de canton, et lors de la dislocation de la province (1911), il redevint chef du canton de Ouantambakiri. C'est au surplus un chef sympathique et tout dévoué.
Il a fait ses études coraniques auprès de son frère cadet, Fodé Moussa, et en a reçu l'affiliation qadria. Il a dans sa case une douzaine de femmes où on distingue mal les épouses légitimes des concubines. C'est un vrai musulman soussou. Son frère, Fodé Moussa, né vers 1885, a fait ses études, plus complètes, chez les marabouts de Dar es-Salam. Il dirige à Tabouna, près Kindia; une école assez florissante, panachée de filles et de garçons. Fodé Moussa, moqaddem qadria pour la région, a reçu le wird de Fodé Modou Ciré de Dar es-Salam.
La troisième des communautés qadrïa de Kindia est dirigée par Moussa Silla, né vers 1880, fils de Wondé Sayon, fils dé Wondé Simini. C'est un Soussou, du clan des Silla, qui correspond chez les Malinke au clan des Yattara. Il a fait ses études au village de Sarakollé Ndia et dirige aujourd'hui, une école florissante de plus de vingt élèves et comprenant surtout des garçons et des filles soussou.
Moussa Silla, qui poursuivait toujours ses études, a déclaré en juillet 1915, qu'il était digne du titre de « Fodé », c'est-à-dire docteur ès sciences islamiques. En conséquence, il a coiffé le turban et a déclaré que son nom était désormais Fodé Silla. Les choses se passent plus simplement en pays soussou que dans les montagnes du Fouta.
Fodé Silla est le disciple de Alfa Sirifou, disciple lui-même de son père Onfa Sirifou. Onfa avait reçu le wird qadria de Karamoko Tassilimou, lors d'un voyage à Touba.
Une quatrième communauté qadria, filiale de Touba, est sise dans le canton de Kilissikiri, à Molota et environs.
Elle a pour chef spirituel Fodé Kourouma, imam de la mosquée de Molota.
Fodé Kourouma, d'origine mandingue, est né vers 1830. Il a fait ses premières études dans le Kolen (Timbo) où son père, Alfa Mamadou, était établi et est mort. Il est allé les compléter à Touba, où il a reçu le wird de Karamoko Qoutoubo. Il dirige une école d'une quinzaine d'élèves, mais est suppléé, la plupart du temps, à cause de son grand âge, par son fils aîné, Fodé Alfa, né vers 1870.
Fodé Kourouma a plusieurs disciples de marque dans le Kilissikiri:
Donké Fodé, de son nom islamique Fodé Kamara, né vers 1870, Soussou, chef du canton depuis 1909, où il a remplacé son père. Celui-ci Fodé Demba Kamara, fut un chef très considéré de l'époque préfrançaise. Donké Fodé a été un bon élève de l'école de Kourouma. Il en a reçu le wird Fodé Laye Kamara, né vers 1880, Soussou, maître d'une école d'une dizaine d'élèves à Molota Fodé Daffé, né vers 1873 à Forécaria, Soussou, maître d'école Fodé Laye, né vers 1880, Soussou, maître d école et cultivateur à Molota. Fodé Yoré, né vers 1857, soussou, du clan des Kamara, maître d'école et cultivateur à Molota.
Fodé Kourouma est la personnalité la plus respectée du Molota soussou; il est l'hôte des Diakanké de passage.
Il a, en outre, un disciple de choix dans le canton de Soulima: Fodé Ansoumani Bangoura, né vers 1863, à Soumbouya (Dubréka), Soussou, et qui a fait ses études à Bissikrima, chez Fodé Yaya. Ansoumani, qui dirige une école de dix élèves à Soulima, a reçu d'abord le wird de Chékou Yaya de Forécaria, disciple de Kourouma, puis l'a reçu de Fodé Kourouma lui-même.
Il reste enfin à signaler à Kondetta (Kindia) le petit groupement des Diakanké, originaires de Touba, et descendants de Sanoussi, fils de Karam Ba et de Karamoko Atigou, fils de Tassilimou. Ce groupement est sous la direction spirituelle de Lamina Sakho, fils de Fodé Sanoussi, né vers 1867, à Touba; il quitta sa ville natale, vers 1890 et s'établit à Conakry où cultivateur et marabout, il passa 16 ans. Il y laissa femmes et enfants et vint fonder une école coranique à Kondetta, près de son cousin Atigou. A la mort de celui-ci, il a pris le commandement de cette petite colonie diakanké. Il a reçu le wird qadria de Karamoko Qoutoubo.
Dans le cercle de Dubréka, on compte plusieurs groupements qadrïa relevant de l'obédience des marabouts de Touba. Ils se trouvent pour la plus grande part dans la province de Bramaya, sur les deux rives de l'embouchure du Konkouré (centre principal: Koubia). Ils doivent leur origine au prosélytisme de plusieurs des fils de Karamoko Kasso, fils de Karam Ba, qui s'établirent dans cette province dans le courant du siècle dernier.
Les personnalités marquantes de ces groupements diakanké ou soumis à l'obédience des Diakanké sont:
Dans la ville indigène de Conakry et dépendances, on signale quelques personnalités maraboutiques qui se rattachent, directement ou par une filiale, à Touba. Les principaux sont :
Les autres Qadria relèvent des marabouts de la Haute-Guinée.
L'influence des Diakanké qadria de Touba fut prépondérante à Conakry il y a un quart de siècle. C'est par eux et par leur voie que se firent les premières conversions à l'Islam. Karamoko Qoutoubo y envoyait périodiquement ses missionnaires, et quelques-uns s'y fixèrent même et ouvrirent des écoles coraniques où on attira les enfants baga et soussou. Par la suite, les marabouts foula, relevant du Tidianisme omari, ont fait une active concurrence aux Toubakayes et ce sont eux qui, maintenant, constituent la majorité des islamisés de Conakry.
La région de Rio-Nunez, que les gens de Touba considéraient et utilisaient depuis un siècle comme leur débouché naturel vers la mer avait toujours été l'objet de leurs soins religieux. Il est vrai que leur prosélytisme resta sans succès devant le fétichiste invétéré des Tenda, Mikhiforé et Landouman. Ils eurent cependant quelques conversions parmi les Nalou, mais en tout cas entretinrent généralement d'excellentes relations avec ces peuples côtiers.
C'est parmi eux qu'ils recrutèrent en grande partie leurs captifs, et Boké devint le port où les Diakanké vinrent s'approvisionner en marchandises européennes. Quelques-uns même se fixèrent en Basse-Guinée et leur présence y est devenue, à Guemé, Bel-Air, Sokobouly, le centre de petits groupements musulmans qadria, et d'écoles coraniques.
La libération des captifs n'a fait que renforcer ce mouvement naissant d'islamisation. La plupart de ces esclaves tenda, landouman, baga, en quittant Touba et en regagnant leurs villages côtiers ont rapporté avec eux quelques bribes d'Islam, quelques gestes de salam appris au contact de leurs maîtres et, rentrés parmi leurs frères fétichistes, tiennent à honneur de faire étalage de leur nouvelle science. C'est évidemment peu sérieux, mais c'est un premier pas et leurs enfants qu'ils envoient à l'école coranique, quand ils le peuvent, progressent d'un degré de plus dans la « Voie droite » du Prophète.
En dehors de la Guinée, et en dehors des petites colonies fondées en Casamance depuis un quart de siècle par les fils et neveux de Karamoko Qoutoubo et qui ont déjà été citées (Pakao, Sédhiou, Samboundou, Kabada), il reste à signaler :
Notes
1. Fort probablement le père du député de la Guinée Française Albert Liurette.