Hommage à Richard-Molard. Présence Africaine. Paris 1953, vol. 15 pp. 83-96
Le Fouta-Dialon est peuplé de Peuls et de serfs de
race nègre.
« Dans le Bas-Fouta, écrit G.
Vieillard, 1 on trouve deux-tiers de Peuls pour un tiers de serfs ;
ailleurs, dans le Haut Fouta occidental, maîtres et serfs sont à peu
près égaux en nombre. Il y aurait intérêt à préciser.
Un bon recensement par hameau doit le permettre car si le servage est aboli par
la loi française, peuls et ci-devant serfs continuent à se
distinguer entre eux et ne cohabitent pas en dépit de constants métissages.
Le Peul se groupe en villages peuls, les serfs habitent
les leurs.
Quelques individus d'origine nègre vivent parfois avec les peuls griots,
quelques serviteurs de case, épouses ou concubines. Leur proportion est inconnaissable.
Mais elle semble numériquement négligeable sauf peut-être en
ce qui concerne les épouses ou concubines.
Une autre question se pose. Le Fouta-Djalon, en dépit d'une réputation
illusoire que lui ont forgé les littérateurs est une région
très pauvre de l'Afrique occidentale 2, qui inspire cette
phrase à G. Vieillard: « La
pauvreté générale interdit une forte densité de population:
l'habitat est extraordinairement disséminé ». Or la densité de
la population sur le plateau de Labé, des Timbis, de Popodara, etc... dépasse 50
au kilomètre carré. Le canton de Bantiŋel (Pita) dépasse 68,
ce qui pour l'Ouest africain est anormal et mérite examen.
Pour la première fois, à partir de 1946, l'administration française
a entrepris au Fouta un recensement minutieux et sérieux grâce à l'Administrateur
Lescan-Dupplessis et à ses adjoints.
On sait qu'au Fouta la population se répartit en communes ou paroisses :
les misiide, avec un chef-lieu (domicile du chef, mosquée, etc...)
autour duquel gravitent les hameaux peuls ou foulaso et les hameaux de serfs ou runde.
Il n'y a pas d'écarts.
Le recensement se fait par hameau dont tous les habitants comparaissent.
Le registre porte essentiellement:
Les recensements administratifs sont considérés en Afrique noire
comme n'ayant guère de valeur scientifique, ce qui est exact.
Par exception, il nous a paru que celui-ci en a une certaine pour trois raisons:
la valeur professionnelle des fonctionnaires qui l'exécutent; l'exceptionnelle
facilité qu'il y a dans un pays aussi fortement hiérarchisé que
le Fouta à faire réellement un décompte nominatif exhaustif étant
donné le respect qu'en ont les habitants pour les ordres venus de haut et
le fait qu'un contrôle direct par le « commandant » permettra
de limiter les exactions bien connues des chefs; enfin un esprit nouveau inspire
l'opération ; le recensement en cours n'a plus seulement pour objet l'établissement
du rôle des impôts, il est le prélude à la fixation d'un état
civil individuel devenu indispensable pour des gens appelés à voter
en citoyens.
Grâce à l'obligeance de M. Lescan-Dupplessis et de MM. Bayol et Lepelle ses adjoints, il nous a été possible d'opérer un sondage rapide. Nous avons choisi deux groupes de villages; l'un autour de Labé sur un plateau à 1.000 mètres d'altitude, doucement vallonné sans grands accidents de relief; l'autre dans le canton de Djima (Koubiya)
au Nord-Est en pays montagneux.
Voici les observations que nous avons cru pouvoir en tirer :
Le canton de Labé couvre environ 870 kilomètres carrés.
Il chevauche deux régions naturelles. Le haut plateau du Fouta Central à l.000
mètres, peu accidenté, souvent comparé aux hautes pénéplaines
du Massif Central français, déboisé stérile ; l'une
des régions les plus peuplées d'Afrique occidentale. Les 19 misiide considérées,
y compris Labé, s'y trouvent. Elles comptent 35.700 habitants pour 540 kilomètres
carrés, soit une densité de 66.
L'est du canton est séparé de cette région par la grande falaise
d'altitude groupant quelques 15.000 habitants sur 350 kilomètres de Labé.
Il s'étend sur les plateaux de Kolladé, à 750 kilomètres
carrés soit une densité de 49 environ. (La densité moyenne
de Guinée est d'environ 8).
Au Fouta la densité augmente en fonction de l'altitude et l'uniformité du
relief.
Non compris Labé-ville, les 19 misiide considérées :
Labé | Daralabé | Serima | Labé-Ɗeppere |
Sempeten | Fello-Bantan | Seŋen | Kompanya |
Bagnan | Diambata | Gonku | Daara-Kettyun |
Nyogu-Saala | Hansaŋere | Kulidara | Garambe |
Naɗel | Garki | Melicaré |
comptent 308 foulaso pour 23.300 Peuls environ et 121 runde pour
11.300 serfs environ.
Soit en moyenne 75 peuls par foulaso et 93 serfs par runde.
Au total 429 hameaux de 80 habitants en moyenne.
Le nombre de hameaux est très variable par misiide. Les plus grosses : Labé et
Labé-Ɗeppere comptent respectivement 66 foulaso plus 28 runde soit
94 pour Labé, 64 foulaso plus 155 runde soit 75 pour Labé-Ɗeppere.
Par contre Diambata en a 32 foulaso, un runde.
Hormis quelques gros chefs-lieux: Labé-Ɗeppere foulaso: 545 habitants;
Garki 467, etc..., la plupart des hameaux s'écartent assez peu de la moyenne
de 80 habitants, oscillant entre quelques dizaines et 150 à 200.
Le centre n'échappe pas à la règle. On a déjà dit (Essai sur la vie paysanne...) qu'elle n'est pas une vraie ville. Même pas un gros village Elle est plutôt une juxtaposition de villages :
Non compris bien entendu Européens et Levantins on compte: le quartier peul de Ley Saare (en réalité ley signifie bas et saare signifie village) de 671 habitants.
Le quartier peul de Dow Saare (de haut et saare village), 509 habitants et ses sous-quartiers, notamment les groupements étrangers:
Ethnie |
Nombre de villages |
Nombre d'habitants |
Diakhankés | 2 | 102 et 51 |
Sarakollé | 1 | 202 |
Soussou | 1 | 103 |
Malinké | 1 | 112 |
Bambara | 1 | 209 |
Toucouleur | 1 | 85 |
Garanke cordonniers (en majorité d'origine diakhankés) |
1 | 193 |
soit une agglomération de 2.238 individus répartis en réalité en une douzaine de villages juxtaposés.
Koubiya) a 8 misiide recensées :
Bassara | Fafaya | Soulounde | Sonŋesa |
Madina-Bambaya | Moromi | Boussoura | Doŋel-Sigon |
environ 7,500 peuls occupent 52 foulaso de 144 habitants en moyenne; environ
2.800 serfs occupent
38 roundés de 73 habitants en moyenne.
Moyenne générale pour les 90 hameaux 114 habitants, soit sensiblement
plus que la moyenne des hameaux de la région de Labé. Quoiqu'encore
extraordinairement dispersé, il est possible que l'habitat le soit moins
ici en raison du relief plus accidenté. Il semble donc qu'au Fouta non seulement
la densité mais aussi le degré de dispersion diminuent quand le relief
est davantage tourmenté.
D'autre part ici les foulaso se juchent de préférence sur les
hauteurs et les roundés dans les bas-fonds.
Comme toutes les régions occupées et commandées par les Peuls, le Fouta comporte, sous-jacente, une couche d'individus de race nègre.
Quelques-uns sont de condition libre. Notamment les groupements allogènes de Labé-ville, et parfois des villages diakhanhé, sarakollé, etc. La plupart sont de condition servile. On s'accorde à attribuer à ceux-ci trois origines possibles :
Les serfs y sont en petit nombre parce que le Peul ne cohabite pas avec eux. Notons cependant que l'élément Peul est maintenant une minorité à Labé: un millier de Peuls contre plus de 1.200 allogènes.
Les 19 misiide groupent environ 23.300 peuls contre 11,300 serfs . Par misiide, pour 100 peuls, les serfs sontau nombre de :
Labé (moins Labé-ville) | 51,6 | Hansaŋere | 156 |
Sempeten | 417 | Niogou-Saala | 30,7 |
Labé-Ɗeppere | 56,4 | Dara-Kétioun | 57,7 |
Daralabé | 36,9 | Gonkou | 26,9 |
Serima | 57,2 | Diambata | 48,5 |
Melicaré | 37,3 | Bagnan | 61 |
Garki | 66,2 | Kompanya | 51,2 |
Naɗel | 30 | Seŋen | 31,7 |
Garambé | 41,7 | Fello-Bantan | 53,5 |
Koulidara | 103,3 |
soit une moyenne de 48 serfs pour 1.000 Peuls ; près du tiers de la population totale, 326 pour mille localement la proportion pouvant varier d'un minimum 26,9 pour 100 peuls jusqu'à 159.
Pour les 8 misiide recensées dans le canton de Djima (Koubya) le même calcul donne pour 100 peuls les nombres de serfs suivants :
Bassara | 40 | Sonŋessa | 43 |
Fafaya | 24,5 | Doŋol-Sigon | 68,5 |
Boussoura | 44 | Medina-Bambaya | 55,1 |
Soulounde | 30,2 | Moromi | 25,3 |
7.495 peuls au total pour 2.800 serfs, soit une moyenne de 37 serfs pour 100 Peuls ; ou une proportion par rapport à la population totale de 271 serfs pour 1.000.
Sensiblement moins que sur le plateau de Labé.
Cette remarque donne à penser qu'au Fouta-Djalon le rapport du nombre des serfs à celui des Peuls est directement proportionnel.
Si l'on est en droit de s'étonner de très fortes densités
sur des terres stériles, il convient d'abord de noter que les terres sont
stérilisées et même détruites à cause premièrement de
la surpopulation, étant donné que la culture itinérante sur
brûlis ne peut guère nourrir plus de 12 habitants au kilomètre
carré sous peine de faire du désert par raccourcissement excessif
et même disparition de la jachère arbustive. On peut se demander dès
lors si par une sorte de juste retour la nature ne tend pas à faire diminuer
le nombre des hommes (famines, misères physiologiques, épidémies,
faible natalité, etc..)
En fait, comme il est général en pays pauvre et surpeuplé,
c'est plutôt le contraire qui semble se produire.
Cela ressort des âges attribués par les recenseurs aux individus qui
ont comparu devant eux. Bien entendu il s'agit d'âge approximatif. D'où les
deux restrictions que nous nous imposons pour cette étude comparée
des âges: ne les retenir que dans le cadre de la décade car on peut
admettre qu'un recenseur expérimenté ne commet pas d'erreur supérieure à 4
ou 5 ans pour les jeunes de moins de 30 ans; ne rien conclure pour les décades
au-dessus de 40 ans, des erreurs grossières étant inévitables
pour les individus âgés,
Le sondage que nous avons fait porte sur les trois misiide de Labé (moins
Labé-ville), Serima et Daralabé, soit 13.773 individus.
Le tableau comparatif des âges chez les Peuls et les serfs est le suivant:
Ages | Peuls | serfs | ||||||||||
Moins de | Labé | Daralabé | Sérima | Total | % | % | Total | Labé | Daralabé | Sérima | ||
ans | 1.679 |
1.002 |
235 |
2.916 |
308,1 |
308,6 |
1.331 |
807 |
375 |
149 |
||
1.089 |
594 |
219 |
I.902 |
201 |
189,4 |
817 |
502 |
206 |
109 |
|||
966 |
464 |
160 |
1.590 |
168,1 |
168 |
724 |
469 |
172 |
83 |
|||
667 |
436 |
76 |
1.179 |
124,5 |
116,5 |
502 |
297 |
148 |
57 |
|||
407 |
292 |
53 |
752 |
79,3 |
85,3 |
368 |
205 |
126 |
37 |
|||
296 |
159 |
47 |
502 |
53,6 |
48,7 |
210 |
124 |
64 |
25 |
|||
243 |
103 |
66 |
412 |
43,5 |
55 |
237 |
167 |
38 |
32 |
|||
82 |
58 |
20 |
160 |
17 |
20,6 |
89 |
53 |
26 |
10 |
|||
23 |
19 |
4 |
46 |
4,8 |
8 |
34 |
25 |
7 |
2 |
|||
1 |
1 |
0 |
2 |
0,2 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
|||
Totaux | 5.453 |
3.128 |
880 |
9.461 |
1.000,1 |
1.000,1 |
4.312 |
2.649 |
1.159 |
504 |
D'où il ressort pour les trois misiide une proportion de moins de 20 ans de 309 pour mille côté Peul et 498 pour mille côté serf.
On comparera utilement avec les indices de quelques autres pays 3 :
Inde | 490 | U.R.S.S | 450 | Allemagne (1989) | 319 |
Turquie | 480 | Italie | 375 | France | 302 |
Japon | 465 | U.S.A | 345 | Angleterre | 300 |
Confirmation de cet énorme indice est donnée par le nombre des jeunes
de moins de 14 ans (non imposables) comparé à la population totale
des 19 misiide de la région de Labé (Labé-ville non
comprise), ce qui étend le sondage à plus de 34.600 individus : 9.116,
jeunes Peuls de moins de 14 ans pour 14.203 adultes, soit 391 pour mille de la population
totale côté Peul; 4.460 Jeunes serfs pour
6.868 adultes, soit 3.534 pour mille de la population servile totale.
S'agit-il là d'une réelle surabondance de jeunes, ou au contraire
d'un déficit en adultes ?
Il est certain que l'on meurt très jeune au Fouta-Djalon. Le quadragénaire
est déjà un vieux.
On ne peut pourtant guère mettre en doute que le taux de la natalité soit
fort.
Faute de données utilisables dans le passé il est impossible de savoir
les conséquences de l'administration blanche (suppression de famines, vaccinations,
etc...) sur une conservation des jeunes peut être mieux assurée pour
cette génération que pour ses devancières.
Quelles que puissent être les explications données à un taux
si élevé de jeunes, il faut bien sans doute admettre qu'on a affaire à des
populations en plein essor démographique.
D'autre part, il serait curieux de vérifier sur une échelle plus vaste
si l'avantage marqué par les Peuls sur les serfs de races nègres se confirme.
En tout cas l'étude comparée de la répartition par sexe fera
apparaître la meilleure explication du déficit en adultes: l'émigration
des hommes.
On constate comme il est normal un excédent de garçons.
Dans les 19 misiide de la région de Labé, 4 seulement ont davantage de filles, mais en nombre infime : de 2 à 6. 15 ont un excédent de
garçons allant de 1 à 88 (Labé). Au total 4.715 garçons,
4.401 filles pour les Peuls de moins de 14 ans.
Chez les serfs , l'excédent mâle est un peu moins régulier : 8 runde ont davantage
de filles (de 2 à 16), mais 9 ont un excédent de garçons qui
atteint 86 à Labé.
Au total pour les serfs 2.303
garçons, 2.157 filles, soit 516 garçons pour 1.000 jeunes serfs .
Dans le canton de Djima, même observation:
Les 8 misiide comptent un excédent de garçons au total 1.815
contre 1.496 filles pour les Peuls ; soit 548 pour mille pour les garçons.
Pour les serfs 566
garçons contre 506 filles soit 527 pour mille en faveur des mâles.
La récapitulation totale, portant sur environ 45.000 individus donne 525
pour mille en faveur des garçons chez les Peuls ; 518 pour mille en faveur
des garçons chez les serfs ,
et, en tout, 523 pour mille, ou 910 filles pour 1.000 garçons.
L'examen de la répartition des sexes à tous les âges fait apparaître
au contraire un excédent de femmes.
Chez les Peuls des 19 misiide de la région de Labé, I'excédent
des femmes est notable. Sur 23.319 individus, I'excédent féminin est
de 375, soit 529 pour mille.
Chez les serfs des
mêmes misiide, même excédent partout. Sur 11.328 individus
il y a 808 femmes en excédent; soit 536 pour mille en leur faveur.
Dans les misiide de la région de Koubya pour
les Peuls: 3.784 femmes contre 3 712 hommes, soit 505 pour mille
Pour les serfs ,
1,451 femmes pour 1.368 hommes, soit 514 pour mille.
En faisant le total de chaque sexe, Peuls et serfs réunis
pour les deux régions de Labé et de Koubya,
on fait apparaître 23.650 femmes pour 21.312 hommes, soit 1.096 femmes pour
1,000 hommes.
Nous avons vu qu'au contraire, chez les jeunes, il n'y a que 910 filles pour 1.000 garçons de moins de 14 ans. Un tel renversement laisse entendre un brusque déséquilibre entre les deux sexes à l'âge adulte.
On constate en effet parmi les individus âgés de plus de 14 ans un excédent de femmes anormalement fort.
Dans les 19 misiide de la région de Labé, pour les Peuls:
7.946 femmes, 6.257 hommes; dont 1.689 femmes en plus ; soit 559 femmes sur 1.000
adultes ou 1.269 femmes pour 1.000 hommes.
Pour les serfs:
3.911 femmes, 2.957 hommes: 954 femmes de plus d'hommes, soit 569 femmes sur 1.000
adultes, ou 1.322 femmes pour 1.000 hommes.
Dans la région de Koubya,
les excédents sont moins forts. Cependant en ce qui concerne les Peuls on
compte 1.897 hommes, 2.288 femmes dont l'excédent est de 315, soit 546 femmes
sur 1.000 adultes, ou 1.153 femmes pour 1.000 hommes.
Du côté des serfs 945
femmes, 802 hommes, soit 143 femmes en excédent représentant 541 femmes
pour 1.000 adultes ou 1.178 femmes pour 1.000 hommes.
Et sur l'ensemble des 27 misiide, 15.090 femmes, 11.913 hommes; soit 1.266 femmes pour
1.000 hommes.
Un léger excédent de femmes est une chose normale.
On sait qu'il est surtout du au fait que les hommes ne vivent pas aussi longtemps
que les femmes (et polygamie).
Mais l' équilibre entre les deux sexes commence normalement à se rompre
légèrement au-dessus de 40 ans ; le déséquilibre n'est
complet qu'à partir de 70 ans. Or au Fouta les individus de 70 ans sont extrêmement
rares. On meurt bien avant. Par conséquent, si l'on s'en tient aux principes
habituels de la démographie il paraît difficile d'expliquer par l'excédent
de femmes septuagénaires et octogénaires un renversement aussi net
de la proportion des deux sexes entre l'enfance et l'âge adulte.
Reste à savoir si au Fouta la vie est courte en raison d'un vieillissement
physiologique précoce, ce qui entraînerait entre les deux sexes un
déséquilibre normal mais plus tôt que dans les pays à civilisation
plus évoluée. Nous posons la question.
Par ailleurs, ce qui est sûr c'est que faute de terres à cultiver et
de ressources à trouver sur place, en dépit de l'ingéniosité des
agriculteurs (cf. Essai sur la vie paysanne), et de l'essence d'orange, l'homme
est obligé d'émigrer :
Il y a une ample dissémination des « Futa Fula » bien connus à des
centaines dc kilomètres autour du pays d'origine. Il y a donc une sorte de « densité sentimentale » de
la population sur ces austères plateaux, sensiblement supérieure à celle
que fait apparaître l'arithmétique démographique car la plupart
de ces émigrants sont trop attachés à leur patrie pour la quitter
définitivement, quitte à payer deux fois l'impôt : une fois
où ils sont réellement, une fois au Fouta afin de n'y point perdre
droit de cité.
La plupart au contraire n'émigrent que pour permettre à leur famille
de rester. Ils font parvenir aux leurs leurs économies chichement amassées
en terre lointaine où ils vont péniblement tenter leur chance. Aussi
sont-ce seulement les hommes qui partent, confiant femmes et enfants aux parents, « oncles
et frères » des concessions voisines. Mais si cette émigration
explique négativement l'excédent anormal des femmes, elle l'explique
aussi positivement par le fait que rentrant un jour chez lui l'émigré y
ramène les femmes qu'il a prises en terre lointaine.
On peut enfin préciser les facteurs de cette émigration.
Des chiffres indiquent les déséquilibres entre les sexes à l'âge
adulte suivant les deux régions et les deux races considérées,
deux faits se dégagent.
Notes
* Publié condensé dans la « Revue de Géographie
humaine et d'Ethnologie », Paris, Gallimard 1949.
1. G. Vieillard,
Notes sur les peuls du Fouta-Djallon, Bull. IFAN, II, 1-2, 1940 p. 89.
2. Voir ce que nous en avons déjà dit dans: « Essai
sur la vie paysanne au Fouta-Dialon. Le cadre physique, l'économie rurale,
l'habitat », Revue de Géographie Alpine (Grenoble), 32, 2, 1944, pp.
136-240
3. Landry A., Traité de démographie, Payot, Paris,
1945, p. 128.