Classiques africains. Paris. Julliard. 1966. 375 p.
Malgré l'énorme dispersion géographique des Fulɓe dans les zones sahélienne, soudanienne et guinéenne du continent africain, le fulfulde, leur langue commune, présente une remarquable unité phonologique qui se caractérise comme suit 1 :
1.1. Le système vocalique comprend une série de cinq voyelles brèves i, u, a, o, e et une série correspondante de cinq voyelles longues pertinentes notées ici par un redoublement ii, uu, aa, oo, ee.
Ainsi que l'illustreront quelques exemples du petit lexique terminal, l'allongement vocalique a toujours valeur accentuelle, morphologique, aspectuelle ou sémantique.
Exemples :
foolude, vaincre; folude, élever la voix
memude, tâtonner; meemude, toucher
tutude, planter; tuutude, vomir
baalii, un mouton; baali, des moutons
weetii, il fait jour; weeti, il fit jour.
Le degré d'aperture des voyelles médianes /e/ et /o/ et de leurs allongements /ee/ et /oo/, variable selon l'environnement phonétique considéré et parfois selon les régions et les locuteurs, ne confère aucune valeur particulière aux signifiants et n'a donc pas été retenu comme élément pertinent.
1.2. Les linguistes discutent encore si l'existence des voyelles nasales est attestée dans tous les parlers du fulfulde. Sans prétendre trancher et donner ici un avis définitif, notre réponse est positive et les publications déjà faites dans les différents dialectes nous en donnent plus d'une preuve. Si leur existence est donc indubitable à notre avis, il importe cependant de souligner que les voyelles nasales sont inégalement développées dans les différents parlers du fulfulde 2. Dans tous les cas, ces voyelles ont été transcrites, par souci de simplification et sans courir pour autant un quelconque risque de confusion, avec la nasale apicale n. Ainsi, in, un, an, on, en ont été retenus au lieu de ĩ, õ, ũ, ã, ẽ, qui sont plus classiques mais multiplieraient les signes diacritiques et compliqueraient inutilement la graphie, notamment dans les parlers où les voyelles nasales sont fréquentes.
Les diphtongues iw, aw, ow, ew, uy, ay, oy, ey sont assez fréquentes dans la langue. En effet, devant consonne, les semi-voyelles w et y se lisent avec la voyelle précédente.
Au total, le système vocalique se caractérise essentiellement par l'existence de voyelles brèves et de voyelles longues pertinentes, de voyelles nasales plus ou moins attestées selon les parlers considérés ainsi que par la fréquence de diphtongues.
Pour les besoins de l'exposé, nous présenterons le système consonantique peul en quatre points:
2.1. L'occlusive glottale qu'on notera ici par l'apostrophe /'/ est, en pular, un phonème consonantique.
(a) Elle affecte les voyelles initiales et se traduit par une attaque vocalique. Ceci, en particulier, interdit toute liaison entre la consonne finale et la voyelle initiale de deux termes consécutifs. Mais elle manque de pertinence sémantique et, par souci de simplification et d'aération des textes, n'a pas été notée ici.
(b) Elle sépare deux voyelles consécutives et marque ainsi, entre elles, un instant de silence.
Exemples: a'u, a'en, a'ee; re'ude.
Cette distinction est importante en poésie où l'occlusive glottale a valeur de procédé poétique. Elle intervient, en effet, dans la structure rythmique des vers.
Exemples :
(c) Si l'occlusive glottale se réalise donc plus ou moins en position intervocalique, elle est, par contre, fortement réalisée devant consonne et correspond alors, dans les parlers dits occidentaux du Julfulde, au ayn (ع) arabe.
Exemples :
ma'naa, signification, sens
ya'faade, pardonner.
Elle n'existe dans cette situation qu'au sein de lexèmes d'origine arabe et demeure de ce fait, au Fuuta-Jalon, essentiellement intellectuelle. Dans le langage populaire, en effet, elle se traduit ici, soit par une suppression pure et simple, soit par un allongement vocalique.
Exemples :
ma'naa vs. maanaa
ya'faade vs. yaafaade
2.2. Le système consonantique présente une série de quinze phonèmes communs au fulfulde et à nombre de langues indo-européennes, dont l'articulation, simple, ne suscite pas une remarque particulière. Ce sont b, d, f, g, h (toujours aspirée), k, k, m, n, p, r (toujours roulé), s, t, w, y.
2.3. A côté de ces phonèmes communs, existent quatre catégories de phonèmes particuliers pour lesquels quelques explications paraissent nécessaires. Ce sont :
(a) Les consonnes prénasalisées, phonèmes uniques formés d'un élément nasal suivi d'un élément oral, l'élément nasal étant toujours réalisé selon la même localisation articulatoire que l'élément oral qui le suit. Bien que cette notation ne soit pas absolument correcte du point de vue théorique, nous avons employé des digraphes pour transcrire ces phonèmes: mb, nd, ng, nj.
Une telle notation, qui présente l'avantage de tenir compte des autres graphies retenues dans de nombreuses langues négro-africaines pour transcrire les consonnes prénasalisées, pose cependant des problèmes, dans le cas particulier du fulfulde ; c'est notamment ce qui se produit lorsque deux unités signifiantes ne se distinguent l'une de l'autre que par la présence d'une consonne prénasalisée s'opposant à une séquence consonne nasale + consonne prénasalisée.
Exemples :
wonde, être; wonnde, parfois
hande, mugir; hannde, aujourd'hui.
Pour éviter d'alourdir inutilement les textes, la série consonne nasale + consonne prénasalisée n'a été mentionnée, au sein des unités signifiantes, que dans les cas où elles présentent une valeur pertinente. Ainsi :
janngude (étudier) est transcrit jangude
anndude (savoir) est transcrit andude
(b) Conformément aux systèmes de transcription actuels, les consonnes palatalisées [ty] et [dy] ont été transcrites respectivement par c et par j.
(c) De même, ŋ recommandé par l'Association phonétique internationale, a été adopté pour la nasale dorsale (son comparable à la finale de l'anglais touring) tandis que sa correspondante palatale a été notée ñ comme pour l'espagnol España.
(d) Le fulfulde comporte également des consonnes dites injectives ou jadis « claquantes », caractérisées par l'intervention quasi-simultanée d'une articulation au niveau de la bouche et de vibrations particulières de la glotte. Nous avons adopté, pour les transcrire, les lettres crossées ɓ, ɗ et le ƴ.
On remarquera qu'en pular/fulfulde, la gémination consonantique a toujours valeur distinctive pertinente.
Exemples :
saɗude (être rare;) vs. saɗɗude (être vêtu avec élégance)
folude (crier) vs. follude (révoquer un chef)
2.4. Les consonnes d'emprunt, au nombre de quatre, proviennent d'autres langues négro-africaines, de l'arabe ou des langues européennes de contact. Ainsi :
x provient de l'arabe خ
q provient de l'arabe ق
š équivalent de l'arabe ش, du français ch ou de l'anglais sh
z comme dans zigzag.
Il n'y a pas de différence, dans la graphie des manuscrits pular du Fuuta-Jalon, entre les caractères arabes ذ, ظ, et ز.
Correctement articulées par les intellectuels Fulɓe et par certains habitants bilingues des agglomérations urbaines, les consonnes d'emprunt sont pratiquement assimilées, par la grande masse des Fulɓe, aux phonèmes plus ou moins semblables du pular/fulfulde. Ainsi :
x > k
q > k ou g
š > s ou c
z > s ou j
Au Fuuta-Jalon et au Maasina, cependant, la consonne q, de l'arabe ق, est correctement réalisée par beaucoup de gens et tend même à devenir populaire.
Exemples :
qabru, tombe
haqiiqa, vérité
Qur'aana, Coran.
Note
1. M. Pierre-Francis Lacroix, professeur à l'École nationale des langues orientales de Paris, a eu l'amabilité de lire la première rédaction de ces notes et de me proposer de judicieuses rectifications. Il voudra bien trouver ici l'expression de ma reconnaissance.
2. [Depuis que feu Alfâ Ibrâhîm Sow fit cette remarque, plusieurs études, dont le mémoire de fin d'études supérieures de feu Abdoulaye Diallo (1967) sur la phonologie du Pular du Fuuta-Jalon, ont établi que les voyelles nasales ont un statut discret et une fonction pertinente (c'est-à-dire sémantique) dans ce parler. — Tierno S. Bah. Exemples :
sokude (fermer) vs. sonkude (crier)
adude (apporter) vs. andude (savoir)
faɗude (être lésé) vs. fanɗude (être petit)
kasude (emprisonner) vs. kansude (tricher)]